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Tout comme les couloirs de son Parlement abandonné, les rues de Koutaïssi sont désertes ce samedi. Seuls quelques touristes se sont réfugiés dans le café Sanimusho, à quelques pas de la mairie, pour échapper à la pluie. Saba, 21 ans, s’active derrière le bar. Le jeune homme travaille en tant que serveur en parallèle de ses études de sciences sociales. Malgré son affection pour sa ville natale, il a déjà prévu son départ pour l’Allemagne d’ici quelques années. « Koutaïssi était la deuxième ville du pays avant », insiste Teimuraz Kvavadze, 68 ans, qui a participé à la construction du dôme. Une grande majorité de sa famille s’est désormais installée à Tbilissi. « Il n’y a pas d’avenir pour les jeunes ici. »

Relancer l’économie de la région

À Koutaïssi, les habitants sont unanimes. « Bien sûr que c’était mieux lorsqu’il y avait le Parlement ! Les hôtels et les restaurants tournaient, ça amenait beaucoup de monde », se souvient Khvicha Vashakmadze, journaliste et membre de l’association « Leave Parliament in Kutaisi », qui milite pour un retour de la chambre dans sa cité.

C’est à l'initiative de l’ex-président, Mikheil Saakachvili, que le Parlement a été déplacé à 220 kilomètres de Tbilissi. Le gouvernement assure à la population que le transfert de l’institution de la capitale vers Koutaïssi doit contribuer au développement économique de la région d’Iméréthie. Le 26 mai 2012, jour de l'indépendance de la Géorgie, le nouveau Parlement du pays est inauguré en grande pompe dans cette ville de 150 000 habitants. Coût du chantier : 326 millions de laris, soit 128 millions d’euros.

À l’époque, Chiora Taktakishvili, députée au sein du Mouvement national uni, le parti fondé par l’ancien chef d’État, n’est pas en faveur du projet: « Je n’étais pas convaincue que cela suffirait à redynamiser la région. » Basée à Tbilissi, comme la plupart des parlementaires, elle doit aussi réorganiser son emploi du temps. « Les trajets étaient contraignants. Il n’y avait pas de ligne de train rapide. Cela prenait plusieurs heures », reconnaît-elle. Un argument de taille pour l’opposition qui, arrivée au pouvoir cinq mois à peine après l’ouverture du Parlement, s’emploie à ramener l’institution dans la capitale.

LEGENDE

Avec ses 1,2 million d’habitants, Tbilissi héberge plus d’un tiers de la population géorgienne. Elle est le poumon économique du pays et son urbanisme un parfait témoin de l’histoire nationale. Ici, blocs soviétiques, maisons du XIXe siècle et immeubles modernes se côtoient et s'entremêlent.

En se baladant dans Tbilissi, on est frappé par la multitude d’architectures. Pourquoi de telles disparités ?
Irakli Zhvania : Cette ville est loin d’être uniforme. Il y a ces célèbres balcons, typiques de l’architecture géorgienne que l’on retrouve le long de certaines façades du Old Tbilissi.  Ils permettaient de profiter de l’extérieur. Quand, au XIXe siècle, les styles architecturaux européens ont commencé à apparaître à Tbilissi, ces balcons y ont alors été annexés. À cela se mêle l’héritage soviétique, comme les Khrouchtchevkas, ces blocs d’appartements construits à partir des années 1950. Si l’on regarde plus récemment, Saakachvili a souhaité moderniser la Géorgie en donnant un aspect occidental aux différentes villes du pays. Des bâtiments publics à l’architecture contemporaine ont alors émergé. Comme le Public service hall en 2010. Surnommé « le champignon », il a été construit par un architecte italien. Le hic, c’est que ces nouveaux bâtiments ont parfois été érigés sans consultation publique, ni compétition ou avis d’experts.

Quel est le problème des nouveaux bâtiments ?
I.Z. : L’aspect environnemental par exemple. Il y a quelques années, un parc se trouvait à la place du Public service hall. Tout a été démoli au profit de ce bâtiment et d’un parking. Quand on a une infrastructure aussi fréquentée, on ne la met pas dans cette partie centrale de la ville. Cela favorise le trafic et donc la pollution. De plus, ces constructions nouvelles ne s’intègrent pas toujours à leur environnement. C’est le cas du Rike concert hall. Il est certes beau, mais n’a pas sa place dans le quartier historique. Autre exemple, le Pont de la paix. L’idée est bonne, mais la question reste : pourquoi le coiffer d’un toit ? Cela bloque la vue sur la vieille ville.

En se développant, la ville exclut-elle certains habitants et habitantes ? 
I.Z. : Comme dans n’importe quelle capitale, Tbilissi connaît un phénomène de gentrification [la population d’un quartier populaire est remplacée par une population aisée, ndlr]. Mais elle est peut-être un peu moins marquée que dans les métropoles européennes. C’est qu’à l’époque de l’Union soviétique, la propriété privée n'existait pas. Tout appartenait à l’État. Avec l’indépendance du pays et la privatisation des logements dans les années 1990, des personnes modestes se sont retrouvées propriétaires dans des quartiers qui valent aujourd’hui cher. Si des familles ont conservé leurs maisons et les transmettent de génération en génération, d’autres les revendent. C’est le cas dans le Old Tbilissi qui a pris aujourd’hui beaucoup de valeur. Les habitants n’ont pas été forcés de partir, mais beaucoup se sont séparés de leurs appartements au profit d’investisseurs afin d’améliorer leurs conditions de vie. Ces anciennes habitations sont désormais des hôtels, des restaurants ou des bureaux.

Quelle est la principale urgence urbanistique dans la capitale géorgienne ?
I.Z. : Le développement urbain de Tbilissi est trop peu réglementé. On se retrouve avec des bâtiments surdimensionnés et une densification de population excessive. On construit à tout va, sans vision d’ensemble ni réelles anticipations des potentiels problèmes que ces constructions engendrent. C’est la spéculation immobilière qui est la principale cause de cette situation. Les autres secteurs économiques n’étant pas au beau fixe, l’immobilier est la forme d’investissement la plus accessible et rentable en Géorgie.
 

Camille Gagne Chabrol

Une pratique qui persiste

Mariam Bandzeladze, du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), se félicite que la Géorgie soit dotée « d’une des meilleures législations sur le mariage des mineures, avec une formulation qui suit les standards européens, tant au civil qu’au pénal ». Mais la responsable de programme souligne que de nombreux ados continuent d’être mariés, et que leurs unions ne sont pas enregistrées officiellement.

« La justice en Géorgie n’est pas indépendante. C’est pour cela que l’Union européenne a refusé notre candidature », soupire Nazi Janezashvili, fondatrice de l’ONG Georgian Court Watch. En juin 2022, le Conseil européen a refusé d’octroyer le « statut de pays candidat » à Tbilissi, à la différence de la Moldavie et de l’Ukraine. Il a conditionné l’obtention de ce sésame, première étape du processus d’adhésion à l’Union européenne, au respect d’une douzaine de priorités, dont une réforme profonde de la justice.

Les Vingt-Sept n’ont pas accordé le statut de candidat au pays du Caucase, notamment à cause de son système judiciaire opaque. 

Les exploitations agricoles vivotent

Teona Rostomashvili et Tamazi Valishvili rencontrent cette difficulté à leur échelle, depuis leur installation à Argokhi en 2007. Les conditions de travail sont rudes : les parents de deux enfants de 8 et 11 ans, disent ne pas compter leurs heures, du petit matin jusqu'à minuit parfois. Pour faire face aux aléas, le couple mise sur une multiplicité de petites productions : vaches laitières, cochons, chèvres, ruches, vignes, légumes et fruits. «  Il faut nécessairement être polyvalent. Si tu rates une de tes productions, tu as toujours les autres pour te rattraper  », explique l’agriculteur.

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Anna et Otari Korbesashvili ont vu Jimi, un de leurs fils, partir pour Tbilissi. © Luise Mösle

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Les familles d'Argokhi possèdent souvent quelques bêtes et une parcelle de légumes, majoritairement pour leur consommation personnelle, comme ici chez Teona et Tamazi. © Luise Mösle

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L'école maternelle d'Argokhi se situe à deux pas de l'école primaire qui accueille cette année 22 élèves de la première (équivalent du CP) à la neuvième classe (3ᵉ). © Nils Hollenstein

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