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Le mouvement de grève des robes noires contre la réforme des retraites entame sa cinquième semaine. Justiciables et magistrats en paient le prix fort.

Les avocats multiplient les demandes de renvois, ce qui risque de créer un engorgement dans les prochaines semaines. Photo Marine Godelier / CUEJ

Le surnom ironique de « magiciens », donné aux colons, montre également l’humour de l’artiste. Une facette que l’on retrouve aussi sur le tube Magma où le Bruxellois explique regarder des « documentaires sur crimes organisés, un peu comme si c’était des tutos ». Ce titre, très dynamique et mélodique, produit par King Doudou, qui a notamment travaillé avec le duo de superstars PNL, évoque également les tourments de l’artiste : « J’ai besoin de rester seul pour entrevoir un ciel tout blanc. » Une personnalité difficile à totalement cerner mais qui fait la patte de l’artiste et de son écriture impudique, lui qui explique dans Idole « écrire pour guérir ses maladies ». 

Dinos, PLK, Green Montana et Sofiane Pamart en featuring

Isha sait bien s’entourer. On retrouve sur le projet Dinos, l’un des meilleurs lyricistes de la scène rap sur le morceau Idole, mais aussi PLK la nouvelle tête d’affiche du rap français sur Tradition, et Green Montana, qu’Isha avait repéré, désormais signé sur 92i le label de Booba (Bad Boy). Le pianiste lillois Sofiane Pamart a collaboré pour produire Décorer les murs, dernier track de l’album. Les boucles de piano du musicien viennent magnifier la fin du projet et ne sont pas s’en rappeler celles du morceau Journal Perso II de Vald, également produit par le pianiste.

Reste que le troisième opus de La vie augmente réussit à se diversifier des deux précédents par des sonorités plus variées, sans diluer le fond et l’authenticité qui fait la marque de l’artiste. Ce projet devrait donner suite à un premier véritable album l’an prochain, avant de peut-être quitter le milieu : « Le rap c’est un chapitre de ma vie mais j’ai des visions sur autre chose » expliquait-il chez Clique fin janvier. Un profil définitivement unique.

Victor Boutonnat

Et Isha n’a pas changé. Son rap est toujours brut, froid, d’inspiration new-yorkaise, notamment de la scène underground. De ce fan de Mobb Deep ressort une façon de poser sa voix et ses mots sur l’instru, mais aussi une attitude et un style vestimentaire dont le port du durag, un bandeau issu des ghettos noirs-américains, qui donne son nom au premier titre de l’album. L’ homme semble toujours torturé. Le décès de son père en 2005, au sortir de l’adolescence, accompagne le projet après avoir fait l’objet d’un morceau entier sur le précédent opus : « Mon père est parti vers le nouveau monde, je sais qu’il ne va jamais revenir » (Les magiciens) ; « J’ai l’amour de ma mère mais mon papa me manque » (Boulot / Baobab). De même, le retour vers ses démons n’est jamais très loin : « Je n’arrive jamais à savourer mes victoires, je pense tellement à la prochaine période de crise » (Décorer les murs).

« J’ai besoin de rester seul pour entrevoir un ciel tout blanc »

Si le propos est souvent sombre, les productions apportent, elles, une certaine variété. Comme sur Les magiciens, produit par Katrina Squad, célèbres beatmakers connus pour leurs collaborations avec le rappeur SCH. L’instrumental mélodieux et le refrain chanté entrent en opposition avec le thème du morceau : la colonisation du Congo belge : « Ils ont pris l’or et les diamants, ils ont laissé le livre magique. Tous ceux qui les ont vu de près disent que leurs yeux ont la couleur du ciel. Ils portaient tous un homme mort attaché à une croix de fer. »

« Je ne peux pas m’imaginer parler de lumière sans parler de noirceur » déclarait Isha dans une interview au site spécialisé Yard. Cette dualité se retrouve de nouveau sur La vie augmente volume 3, sorti ce vendredi 7 février. Le rappeur belge de 33 ans, avance toujours dans l’ombre de ses compatriotes Damso, Hamza, ou Roméo Elvis, mais affirme de nouveau son identité singulière.

Le rap et la musique comme pouvoir thérapeutique. Des écrits d’Isha en ressort une vie marquée par la violence, la pauvreté ou l’alcoolisme. Son dos reste marqué par le coup de couteau d’un ami dans une soirée qui a dérapée. « Quand j’avais 20 ans je croyais qu’à 25 ans je serai mort, parce que c’est la rue, confiait-il à Viceland il y a quelques mois. Ma mère me disait ça. Bruxelles c’est imprévisible. »

Influence new-yorkaise

La capitale belge, ses habitants et ses moeurs sont d’ailleurs en filigrane tout le long du projet. « Nos rues sont froides, y a que des dingues, y a que des thugs, déclare-t-il dans Bad Boy, un morceau plus électro qu’à l’accoutumée. Dans les paroles de Décorer les murs, la bascule vers la délinquance est évoquée : « On joue, on grandit, on va au catéchisme, on en sort on s’essaye au ce-vi. »

« On va procéder comme depuis un mois », commence le président lors de l’audience en comparution immédiate ce jeudi 6 février. Le refrain est devenu habituel. « On demandera à chacun s’il souhaite être jugé sans la présence de son avocat. »

« J’aurais préféré qu’il soit là », lui répond le premier prévenu depuis son box. « Mais il ne sera pas là », assène le président. « Vous pouvez vous défendre seul, ou l’affaire sera renvoyée », répète-t-il machinalement. Soit, il accepte d’être jugé sans assistance. Le quarantenaire écouté pour défaut de permis peinera à s'exprimer.

La désorganisation au cœur de l’action de grève

À Strasbourg, le mouvement de grève des avocats s’est installé de façon pérenne. « Nous allons nous faire entendre en désorganisant la mécanique judiciaire », avait prévenu début janvier la présidente du Conseil national des Barreaux (CNB), Christiane Féral-Schul. De fait, la promesse a été tenue : toute la justice fonctionne désormais au ralenti et par à-coups. Les renvois d’affaire se multiplient et perturbent des juridictions déjà engorgées.

Une paralysie qui dessert le justiciable. Chaque avocat est libre de s’abstenir ou non de plaider, quand bien même il se dit en grève. Mais quand la défense n’intervient pas, l’équité du jugement en pâtit. Un tort pour leurs clients que les robes noires n’ignorent pas, mais « nécessaire à leur action », estiment-ils. « Entraver le travail des tribunaux est le seul moyen d’obtenir des résultats », explique maître Lefebvre, avocat au barreau de Strasbourg.

« J’ai du mal à me taire quand la liberté de mon client est en jeu »

Pourtant, aujourd’hui, il a choisi de plaider. L’affaire est complexe, les peines encourues lourdes. Il défendra l’un des cinq prévenus serrés dans le box. Agés de 20 à 25 ans, ils doivent être jugés pour trafic d’héroïne et de cocaïne. Leurs avocats, tous en grève, ont décidé « d’un commun accord » de venir les assister, indique à CUEJ.info maître Lefebvre.

Une trêve directement liée aux enjeux de l’affaire. « J’ai vraiment du mal à me taire quand la liberté de mon client est en jeu », confie maître Thommans, l’avocate d’un des prévenus. Surtout, l’audience avait déjà été renvoyée le 10 janvier en raison du mouvement social.

Des magistrats surmenés

Mais au bout de quelques minutes, l'un des prévenus, diabétique, doit être hospitalisé d’urgence. Le procureur de la République veut poursuivre sans lui : « Si l’on renvoie encore, il sera compliqué de trouver une autre place. » Les avocats s’y opposent. « D’un côté, il y a le fonctionnement de la justice, de l’autre le droit de la défense, répond sèchement l’une des avocates. Je vous laisse apprécier. »

L’examen du dossier est finalement reporté au 21 février. « Ce sera très compliqué pour nous de juger sereinement dans les prochaines semaines », regrette le président, qui croule déjà sous les renvois. « Cela va entamer la santé des magistrats. »

« On n’est pas en guerre contre l’institution »

Un épuisement que maître Lefebvre comprend. « On n’est pas en guerre contre l’institution judiciaire, avance-t-il. Ils pourraient dédoubler les audiences, ouvrir une autre salle. La justice n’est pas une usine à profit, mais un service public. »

Le 21 février, les cinq avocats seront au rendez-vous, assure-t-il. « On ne lâchera pas nos clients. » Mais pas question pour autant de stigmatiser ses confrères en grève totale. « Le gouvernement aura réussi un tour de force : c’est la première fois qu’un mouvement fédère une profession aussi hétéroclite que la nôtre. »

Marine Godelier

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