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De rares solutions à court terme

Les parlementaires et la Commission partagent un constat : les plus pauvres ne doivent pas souffrir des conséquences des sanctions. Cependant, des désaccords apparaissent quand il s’agit de trouver des solutions. Pour les partis de gauche et écologiste européens, l’UE peut et doit faire quelque chose malgré les limites de ses compétences sur le social. Mounir Satouri avance que « la Banque centrale européenne doit jouer son rôle » en finançant par exemple des initiatives comme les chèques énergie, tout en appelant l’UE à « faciliter les politiques nationales » d’aide aux plus démunis. Les bénéfices records de certaines entreprises sont dans le radar d’une grande partie de la gauche européenne. Le député allemand Martin Schirdewan (The Left, extrême-gauche) en appelle à un impôt sur les bénéfices issus des crises. Selon lui, les Gafam, les compagnies d’armement et les géants de l’énergie affichent des gains inédits, ce prélèvement « aiderait à dégager de l’argent qui pourrait servir à la production agricole, à l’aide des plus démunis et des réfugiés ».

Du centre à la droite, on souligne à l’inverse l’incapacité d’agir de l’Union. Des députés des groupes de Renew et PPE ont évoqué les plans européens de relance mis en place après la pandémie (Facilité pour la reprise et la résilience et EU next generation). Seuls ces instruments pourraient selon eux être à nouveau déployés pour répondre à cette crise. Mais selon des experts, ces programmes ne peuvent pas s’appliquer dans le cadre de cette nouvelle crise. Ces plans « ne sont pas des mécanismes qui imposeraient à tous les États d’agir de la même façon, chaque État décide de sa propre politique d’aide aux ménages et aux entreprises », selon Pierre Jaillet, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors et l’Iris. 

Le premier ministre Italien Mario Draghi s'est ouvertement positionné en faveur d'une révision des traités européens. © Alain Rolland, European Union 2022 - Source : EP

« Ce ne sera pas facile, mais c’est une chose que nous devons faire », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, devant le Parlement européen le 4 mai. Par ces mots, elle alertait sur l’impact qu’aura le sixième paquet de sanctions contre la Russie, qui contient un embargo sur le pétrole. En 2020, l’UE importait 45% de tous ses hydrocarbures de Russie. L’augmentation des prix de l’énergie de ces derniers mois risque de jouer les prolongations. Autre conséquence de la guerre, l’Ukraine, autrefois grenier à céréales de l’Europe, ne peut plus tenir son rythme d’exportation. La situation pourrait devenir critique.

« Une urgence sociale criante »

 

Les parlementaires, réunis en session plénière, ont avancé des chiffres alarmants. Selon l’Espagnol Ernest Urtasun, vice-président du Parlement européen, 96 millions de personnes en Europe risquent de tomber dans la pauvreté. Un propos illustré par son collègue français, Mounir Satouri (Verts/ALE, écologistes), qui affirme que « cette guerre nous met face à une urgence sociale criante ».

Une procédure longue et incertaine

 

Ce qui est sûr, c’est que cette modification des traités, par sa durée et sa complexité, met en péril la mise en œuvre de nombreuses propositions citoyennes, qui ne nécessitent pas forcément un tel changement. 

Le Traité de Lisbonne prévoit qu’une convention, composée des représentants des parlements nationaux, des gouvernements des Etats membres, du parlement européen et de la commission européenne, soit chargée d'examiner les projets de révision. Elle adopte par consensus une recommandation et laisse place ensuite à une conférence intergouvernementale, dont le rôle est de statuer sur l’ouverture d’une révision de la Constitution. Enfin, chaque État membre procède à un vote national, parlementaire ou référendaire. 

Emmanuel Macron, en visite au Parlement le 9 mai prochain à l’occasion de la fête de l’Europe, et de la clôture officielle de la conférence citoyenne, aura l’occasion de s’exprimer sur le sujet. À n’en pas douter, son discours devrait être cohérent avec les positions du premier ministre italien.

Corentin Chabot-Agnesina et Luca Salvatore

 

Une conférence instrumentalisée ?

Mais plusieurs groupes parlementaires ont exprimé leur réticence, estimant que la conférence sur l’avenir de l’Europe n’est qu’une instrumentalisation politique contrôlée par les partisans d’une révision des traités.  « De quelle représentativité parle-t-on ? Vous auriez dû inviter un clown, ça aurait été la même chose ! », lance Angel Dzhambazki (ECR, ultraconservateurs) aux élus de gauche, dénonçant une assemblée de citoyens qui n’incarnerait pas le peuple européen avec légitimité. Par la voix de son député Michiel Hoogeveen, le parti des conservateurs et réformistes critiquait quant à lui une conférence contrôlée par les « fédéralistes ». Une expérience qualifiée, enfin, de « pièce de théâtre Macronienne et Verhofstadtienne » par Gerolf Annemans (ID, extrême-droite). Ambiance. 

De son côté, Eric Maurice, membre de la fondation Robert Schuman, estime que la mise en œuvre des propositions citoyennes n’est pas forcément conditionnée par la révision des traités européens : « Beaucoup de points concernant la transition climatique et énergétique peuvent être réalisés sous les traités actuels ». Eric Maurice ne cache pas ses craintes de voir une grande partie de ces propositions oubliée avec le temps que prendrait une telle révision. 

« Une Europe capable de décider rapidement serait une Europe plus crédible », a clamé le Premier ministre italien devant les eurodéputés ce mardi à Strasbourg. Mario Draghi souhaite ainsi instaurer le principe de vote à l’unanimité qui accélérerait fortement la prise de décisions de l’Union européenne. Cela implique le passage à la majorité qualifiée qui nécessiterait forcément une révision des traités européens. Une annonce choc puisque jamais, depuis l’échec du projet de constitution européenne en 2005, un chef d'État de l’un des pays membres ne s’était risqué à se positionner en faveur d’une telle révision.

Accélérer la prise de décisions

Lors de son discours, le transalpin n’a pas caché sa volonté de dessiner les contours d’une Europe élargie avec l’adhésion de l’Ukraine, et de nombreux pays des Balkans occidentaux. Mais le principe d’unanimité représenterait aujourd’hui un frein pour l’UE, chacun des 27 pays membres pouvant user de son droit de veto pour bloquer la procédure d’élargissement. Autre exemple significatif : le sixième train de sanctions à l’encontre de la Russie, ralenti en raison de la frilosité de la Slovaquie et de la Hongrie de Viktor Orbán.

Le Parlement et Mario Draghi, qui poussent ensemble pour une révision des traités, vont dans le sens de Guy Verhofstadt, eurodéputé belge (Renew, libéraux) et coprésident de la conférence sur l’avenir de l’Europe, vaste consultation citoyenne : « La seule manière de respecter ces conclusions est de démarrer une révision des traités ». Mario Draghi n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler que parmi les 325 propositions formulées par près de 800 citoyens figurait la suppression du droit de veto.

Taper du poing sur la table

En juillet, la Commission européenne va publier son troisième rapport annuel sur l'État de droit dans l’UE, en ciblant particulièrement la Pologne et la Hongrie. Pour la première fois, l’institution va inclure des recommandations à adopter sur la justice et la liberté des médias dans ces pays.

La Hongrie va diriger l’agenda européen en 2024. D’après les députés, il s’agit de rendre les mesures effectives avant que Budapest n’ait la main sur le dossier. Le scénario d’un pays qui viole l’État de droit à la tête des démocraties occidentales serait paradoxal.

Vincent Le Goff et Tifenn Leriche

Des sanctions difficiles à mettre en œuvre

Le Conseil de l’UE, dont la France a pris la présidence en janvier, est le seul véritable acteur qui a la mainmise sur le sujet. Il manquait à l’appel pour cette séance plénière. Pour Éric Maurice, responsable de la fondation Robert Schuman à Bruxelles, le message est clair : « Il y a un manque de volonté politique et le désir de ne pas aller en confrontation directe ». Cette absence « provoque de l’inquiétude chez les parlementaires », selon Gwendoline Delbos-Corfield (Verts/ALE, écologistes), membre de la commission des libertés civiles. 

En réalité, la position de l’UE vise davantage à maintenir un dialogue pour éviter que la Pologne ou la Hongrie ne l’empêche d’avancer sur d’autres sujets, comme la taxation des multinationales. La guerre en Ukraine embarrasse aussi les députés. La majorité de la population fuit le conflit vers ces deux pays. « La Pologne a invité des millions de réfugiés », souhaite rappeler Joachim Brudziński.

La procédure à appliquer complique en plus la tâche. Pour retirer des droits politiques à la Pologne ou à la Hongrie, il faut d’abord voter à l’unanimité des États membres le constat de violation des valeurs de l’UE. « La Pologne votera toujours contre, pour la Hongrie, et la Hongrie votera toujours contre, pour la Pologne, donc cela ne sert à rien », explique Eric Maurice. Le spécialiste des relations européennes affirme que « la suspension du droit de vote à l’un de ces pays ne risque pas d’arriver »

Cette procédure est prévue à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE), en cas de violation « grave et persistante » des valeurs établies à l’article 2 du TUE. Elle a déjà été enclenchée en 2017 pour Budapest et un an plus tard pour Varsovie, sans aboutir à des mesures effectives.

 

Faire respecter l’État de droit

Les députés s’inquiètent des atteintes aux valeurs européennes dans ces pays. L'Allemande Katarina Barley (S&D, sociaux-démocrates) dénonce : « En Hongrie, il n’y a pas eu d’élection équitable pendant les neuf dernières années ». Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, sape l’indépendance des médias. Concernant les droits humains, la « promotion de l’homosexualité » y est interdite et la Constitution interdit le mariage aux personnes de même sexe.

En Pologne, en 2015, le gouvernement a aboli l’indépendance du tribunal constitutionnel. La chambre disciplinaire de la Cour suprême est également accusée de remettre en cause l’indépendance des juges. Dans ce pays, les droits des femmes sont aussi en recul : l’avortement est strictement limité depuis 2020.

Jeroen Lenaers (EPP, droite) dénonce la lenteur de la procédure. « Pendant longtemps au Conseil, l’État de droit, c’était un peu comme Voldemort dans Harry Potter, nous n’en parlions pas ». Pour le néerlandais, il faut aller plus vite : « Nous avons besoin de recommandations concrètes ».

« Pourquoi voulez-vous nous enlever notre fierté d’être polonais, le jour de notre fête nationale ? », s'est indigné le député Joachim Brudziński (ECR, ultraconservateurs), ce 3 mai. À l’occasion de la session parlementaire, les eurodéputés ont voté une résolution qui appelle les États membres à renforcer les sanctions contre la Pologne et la Hongrie pour leur non-respect des valeurs de l’Union européenne (UE). 

Le 27 avril, la Commission européenne a conditionné les versements européens au respect des principes de l’État de droit. La Hongrie est déjà privée d’un accès au fonds de résilience, qui soutient la relance de l’activité dans les pays européens après la crise sanitaire. « Une procédure qu’il faut aussi déclencher pour la Pologne », estime Juan Fernando López Aguilar (S&D, sociaux-démocrates), président de la commission des libertés civiles. 

Les députés indiquent vouloir aller plus loin dans les sanctions économiques, tout en misant sur le retrait de certains droits politiques de ces pays. Notamment leur droit de vote au sein du Conseil de l’UE, qui représente les vingt-sept ministres des pays membres.

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