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Depuis son pré, sur le flanc de la colline qui surplombe le village, Ionuț peut voir l’Ukraine. La frontière est là-bas, à 25 km à vol d’oiseau, deux cols plus loin au Nord. Quand la guerre a éclaté au milieu de l’hiver, le fermier a tout de suite envisagé de pousser les murs de sa petite maison pour accueillir des réfugiés. Il pensait que beaucoup tenteraient de fuir par la forêt carpatienne, malgré le froid polaire qui touche la région à cette période de l’année.

Car c’est au cœur de la Bucovine, de part et d’autre d’une route longeant le cours d’eau éponyme, qu’est nichée la commune de Ionuț, Ciumârna, à 800 m d’altitude. Dans cette étroite vallée bordée de sapins, les maisons traditionnelles en bois hébergent 420 descendants des Houtsoules, une ethnie roumano-ukrainienne qui vit dans les Carpates depuis des siècles. Ukrainophone de naissance, Ionuț souhaitait apporter son aide aux réfugiés fuyant la guerre. Il y a eu du passage au début du mois de mars, mais personne ne s’est arrêté. « Seuls les riches ont pu quitter le pays. Pourquoi resteraient-ils ici, à Ciumârna ? »

Le trentenaire, lui, n’a jamais songé à quitter ses terres natales. Cadet de la famille des Loba, Ionuț a repris l’exploitation et le logis de famille, la Casa Colinita, voilà quelques années. Et c’est le cœur rempli de fierté qu’il aime présenter sa jolie fermette, son « bardage en bois en queue d’hirondelle » façonné par ses ancêtres, et la maison d’enfance de sa mère, dont il a pris le soin de conserver le caractère pittoresque. C’est d’ailleurs ce décor rural qui a séduit sa femme, Gabriela, originaire de Bucarest, arrivée en 2019 et jamais repartie.  

Depuis son pré, sur le flanc de la colline qui surplombe le village, Ionuț peut voir l’Ukraine. La frontière est là-bas, à 25 km à vol d’oiseau, deux cols plus loin au Nord. Quand la guerre a éclaté au milieu de l’hiver, le fermier a tout de suite envisagé de pousser les murs de sa petite maison pour accueillir des réfugiés. Il pensait que beaucoup tenteraient de fuir par la forêt carpatienne, malgré le froid polaire qui touche la région à cette période de l’année. 

Poste-frontière submergé 

Si le port de Constanța tourne à plein régime, les frontières de la Roumanie subissent le même afflux. Signe révélateur à Isaccea, au poste frontière avec l’Ukraine, la file des camions s’allonge de jour en jour. Entre les deux pays, le Danube et une petite barge chargée de transporter les véhicules d’une rive à l’autre. De quelques dizaines de routiers à vouloir traverser la frontière quotidiennement avant la guerre, à plusieurs centaines aujourd’hui, cette porte d’entrée vers l’Union européenne est submergée. Du jamais-vu pour les policiers du coin. « Avant, il n’y avait rien ici. » 

En Bucovine, dans le nord de la Roumanie, la campagne fait fuir plus qu'elle n'attire. Avec ses quelques animaux et son potager, Ionuț Loba, rare trentenaire de la vallée, porte à bout de bras les traditions de son village et de la vie rurale. Récit et diaporama.

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À chaque saison, Ionuț part à la cueillette. Comme presque 900 000 il ne bénéficie pas des aides de la PAC. © Juliette Lacroix

Prendre la relève : une responsabilité collective

Derrière ses larges lunettes et son sourire en coin, l’homme d’affaires reconnaît l’opportunité économique que représentent ces nouveaux flux de marchandises pour son pays. Il le croit dur comme fer : aider l’Ukraine à exporter ses marchandises permettra de financer et de gagner la guerre. « On a accueilli les réfugiés, c’est très bien. Maintenant, il faut aider les fermiers à vendre leurs produits et à faire tourner l’économie. » La Commission européenne a bien versé 450 millions d’euros à la Roumanie pour donner asile aux déplacés, mais le soutien sonnant et trébuchant pour la reprise en main des marchandises ukrainiennes est encore en suspens. Un oubli intenable pour Viorel Panait, qui juge le sujet explosif. « Les Ukrainiens sont assis sur 25 millions de tonnes de céréales qui attendent d’être exportées. À la fin de l’année, ce sera 110 millions de tonnes de plus. Au-delà de la famine, il s’agit de soutenir les industries du monde entier. Pour le fer, on parle de 40 millions de tonnes bloquées en Ukraine. Sans ces matières premières, votre frigo coûtera le double l’année prochaine. » 

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Niché au coeur de la Bucovine, Ciumârna compte 420 habitants. © Juliette Lacroix

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Depuis l'entrée du pays dans l'UE en 2007, les anciens voient leurs campagnes se vider. © Juliette Lacroix

Avec la guerre à ses portes, la Roumanie se charge désormais d’une large partie du transfert des exportations de l’Ukraine. Par camion, train et barges, les marchandises transitent largement par le sud du pays, mettant à rude épreuve des infrastructures dépassées. 

Pour régler le problème et accélérer les flux, le ministère des Transports, Sorin Grindeanu, s’est engagé à rénover les cinq kilomètres de rails problématiques avant septembre. Une opération à 260 millions d’euros, à laquelle un responsable du groupe allemand DB Schenker, chargé de la logistique des exportations internationales, ne croit guère. « Entre ce que le gouvernement dit et ce qu’il fait… J’attends de voir. » Sans attendre les investissements promis, le transit des marchandises ukrainiennes à Galați a d’ores et déjà augmenté de 15 %. 

Le conflit accélère la mise en place de ces nouvelles routes commerciales, une opportunité de taille pour la Roumanie et l’UE, ainsi mieux connectées à l’Ukraine et au reste du monde. Plusieurs observateurs roumains s’accordent à penser que cette « porte de secours » que représente leur pays sera toujours utile après la guerre. Les investisseurs espèrent que ces chemins se pérenniseront, quand bien même le ciel d’Odessa s’éclaircit. 

Éléonore Disdero

 

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