Pépite Strasbourgeoise, Epopia a presque bouclé une levée de fonds d’1,5 million d’euros. Derrière le succès de cette startup, des histoires en texte et en images, réalisées par trois «écrivains», deux illustrateurs et un graphiste.
Un troupeau de dinosaures décore son bureau. «Des cadeaux» des enfants qui lisent Franck au quotidien. Nous sommes à la pépinière de Hautepierre et Franck Matéyer achève le douzième et dernier chapitre de son histoire. L’ex-paléontologue et vulgarisateur scientifique met en scène Till, un aventurier qui retourne dans le passé avec une équipe de scientifiques pour étudier les dinosaures.
À 47 ans, Franck est un peu, selon ses termes, «le vieux de la boîte». La boîte ? Epopia, une startup de 20 salariés créée par Rémy Perla en 2012 à Strasbourg et sur les rails depuis 2014. La jeune pousse envoie des lettres avec plusieurs chapitres d’une histoire à des enfants. Ces derniers renvoient une lettre à Epopia dans laquelle ils fournissent des indications sur la suite de l’histoire, grâce à un questionnaire.
Franck Matéyer, 47 ans, écrit Ma Mission dinosaure. / Camille Wong
«Que doit-on faire ? Partir à la recherche de Domélia et Archi ou bien protéger le campement ?», «Raconte-moi ta devinette préférée», «Quel est ton plat préféré ?» … Même si les enfants sont orientés dans leurs réponses, certaines restent détonantes. «Je vous envoie mon copain Luke Skywalker, pour accompagner le dinosaure», avait écrit un petit garçon, se souvient Franck. Dans ces cas-là, il faut quand même trouver une solution pour répondre au mieux. «Ce genre de demande requiert un traitement spécial, avec des pirouettes narratives qui nécessitent l’ajout d’un paragraphe dans l’histoire», poursuit-il.
Logiciel de personnalisation
Trois histoires différentes (l’enfant gouverne un royaume, est capitaine d’expédition ou à la tête d’une réserve naturelle) existent, avec douze chapitres déjà pré-écrits. Derrière, un logiciel de personnalisation développé en interne rentre les informations : Till, le fan de dinosaures se retrouve à adorer les pâtes carbonaras ou veut partir à la rencontre de tel ou tel spécimen. Les écrivains - trois, un par histoire - lisent tous les jours le courrier et font fonctionner le logiciel. Au total, 100 000 lettres ont été échangées.
Les parents ont le choix entre trois forfaits, de 40 à 120 euros, sachant qu’une histoire complète nécessite l’envoi de douze courriers, échelonnés sur un an environ. À l’intérieur, plusieurs lettres que l’enfant peut lire à son rythme, mais aussi des illustrations, des cartes, des goodies et des «surprises» : des châteaux en papier à construire, des dinosaures à assembler…
Deux illustrateurs et un graphiste mettent en image ces histoires interactives. «Il faut pouvoir se mettre dans la tête des enfants, adapter les personnages à leur âge. Parfois, ce sont même les illustrations qui influencent la narration», explique Corentin Mager. L’illustrateur de 37 ans est arrivé dans l’entreprise par hasard. Il était à la tête d’une société spécialisée dans le BTP, mais dessinait souvent pour son fils. «J’ai eu vent du projet de Rémy, je lui ai montré mes planches et il a été séduit», raconte-t-il. Présent dès le début de l’aventure, il a élaboré tout l’univers graphique des personnages.
Corentin Mager, 37 ans, s’occupe de l’illustration. /Camille Wong
Des «écrivains» chefs de projets
«Chez nous, un écrivain va être malheureux», tranche Rémy Perla, le CEO. «Les rédacteurs doivent bien sur avoir une bonne plume et un bon style, mais ce n’est qu’une compétence parmi d’autres. Il faut être analytique, et avoir les connaissances suffisantes pour avoir des histoires qui ont de la valeur, qui sont “vraies”», poursuit-il. C’est le cas de Franck mais aussi de Lydie Rott, détentrice d’un master de biologie et en charge de Ma réserve naturelle. Dans cette histoire, Célestine, après avoir bu une potion, se transforme progressivement en éléphant.
Lydie Rott, 35 ans, écrit Ma Réserve naturelle. /Camille Wong
L’écrivaine de 35 ans a clos son histoire. Désormais elle la réécrit «pour les tout petits» avec le niveau de langage adapté. Au risque, à force de réécrire, de s’ennuyer ? «On a des projets en parallèle, on travaille avec des écoles et il faut assurer le lien avec les enseignants. Avec tous ces projets, c’est toujours sympa d’embrayer sur autre chose, ça nous permet de faire une pause dans l’univers de l’histoire», assure-t-elle.
Pour développer les projets, Epopia a presque bouclé une levée de fonds d’1,5 million d’euros auprès de fonds d’investissements, business angels et entreprises. Objectif : internationaliser le concept. «La Belgique cette année, on espère le Canada début 2020, et fin 2020 être prêts à nous lancer dans une nouvelle langue», ajoute Rémy Perla, qui vise le million de chiffre d’affaires cette année. D’ici-là, une quatrième histoire est en préparation pour septembre et décembre. L’univers des pirates ou le space opera à la Star Wars retiennent particulièrement l’attention de l’entrepreneur.
Camille Wong