Amateurs cherchent sponsors désespérément
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Amateurs cherchent sponsors désespérément

Milan Derrien

Ⓒ Document remis

Après la crise du Covid et face à la baisse des subventions publiques, des associations sportives amateures partent en quête de nouvelles sources de financement. Avec leurs propres armes.

“Nous n’avons plus de sponsor. Notre partenaire historique nous a fait faux bond depuis le Covid.” Michel Corneille, vice-président du club d’athlétisme AC Nord 95 de Beaumont-sur-Oise, 150 adhérent·es, serre les dents. Cercle vert, entreprise du secteur de l'agroalimentaire dont le siège est basé à quelques kilomètres du stade, a rompu tout contact, du jour au lendemain. La firme accompagnait ce club du Val-d’Oise depuis sa création, en 1986. Un coup de massue pour l'association sportive, alors en pleine restructuration financière. “L’entreprise donnait 3 500€ par an, plus de 10% de notre budget annuel, avance le dirigeant, professeur d'EPS dans la vie professionnelle. Nous avons donc décidé de devenir tous bénévoles, alors que nous avions l’habitude de verser un peu d’argent à nos encadrants.”

L'AC Nord 95 est loin d’être un cas isolé. L’épidémie de Covid et ses conséquences sur l'économie ont aussi mis à mal les finances des entreprises. D'après une étude de l'Union sport & cycle, organisation professionnelle qui rassemble des entreprises du monde du sport, sur 900 sociétés françaises interrogées en mars 2020, seules 14% désiraient poursuivre normalement leurs partenariats avec les clubs qu'elles sponsorisaient, les autres souhaitant réduire ou supprimer leurs contributions.

Une chute des subventions publiques

Laurent Bauby, manager général du tennis club de Colomiers. Ⓒ Document remis

Trois ans plus tard, la crise continue de laisser des traces. Au tennis club de Colomiers, dans la banlieue de Toulouse, le manager général Laurent Bauby voit les commerciaux freiner des quatre fers au moment de renouveler les contrats. Les recettes liées aux sponsors sont passées de 40  000 à 16 000€. “On galère à renouveler nos partenariats. On les relance, mais ils nous disent: ‘On a des difficultés cette année’ ou ‘on va donner un peu moins’.” Sauf que pour le club aux 1 000 adhérent·es, tout cela prend du temps et de l'énergie. “Nous, on n’a pas quelqu’un dédié à la recherche de partenariats”, lâche le dirigeant. À ces difficultés conjoncturelles s’ajoute une tendance de fond: la baisse des aides publiques. Le club de tennis touche aujourd’hui 75 000€ de subventions, contre 140 000 il y a dix ans.

Membre de la section cycliste du Cam Bordeaux depuis 1992, Sylvain Minvielle a lui aussi fait les comptes. “À l’époque, sur un budget de 120 000 francs, les deux tiers provenaient de subventions publiques. Aujourd’hui, nous avons 15 000€ de budget, dont 4 500€ viennent de la mairie de Bordeaux”, calcule l'actuel vice-président. “Il y a une dizaine d’années, un club avait du mal à parler avec le monde entrepreneurial. Les gens se disaient ‘un club amateur, ça ne sert pas à faire de l’argent’, analyse Gary Tribou, professeur en marketing du sport à Strasbourg. Les clubs tentent de compenser la réduction des subventions publiques par du financement privé. Aujourd'hui, tout le monde fait preuve de pragmatisme: tout est bon à prendre. Un club qui n’aurait pas encore engagé de démarchage commercial serait mal en point.”

Alors certaines fédérations prennent les devants. En 2022, la ligue Grand Est de natation a réuni les dirigeant·es de la centaine de clubs de la région, pour un premier tour d'horizon sur le sponsoring. “Les élus de la ligue ont fixé des objectifs avec, parmi eux, la communication, pour développer une image et faire en sorte qu’elle amène des partenariats”, explique Raphaël Keller, chargé de la question au sein de la ligue. Qui contacter, quelles actions du club mettre en avant… Autant d'aspects à maîtriser pour des responsables qui, jusqu'ici, se concentraient uniquement sur le développement du volet sportif. “L’idée était surtout de désacraliser cette question, car le sponsoring est parfois mal vu. Mais c’est une source de revenus comme une autre”, expose Raphaël Keller.

Les annonceurs misent sur la “complémentarité locale”

De grands groupes sont prêts à investir. Encore faut-il trouver les bons relais locaux. Depuis 2019, la start-up Act for sport met en relation des marques d’envergure nationale voire internationale et des clubs non-professionnels. Guillaume Sarfati, son cofondateur, distingue deux types d’acteur·rices: “Les annonceurs qui font déjà du sponsoring dans le sport pro, qui viennent chercher une complémentarité locale, et ceux qui ne sont pas encore impliqués dans le sport. Par exemple, notre client Bigmat [matériaux de construction, ndlr] va chercher à engager localement chacun de ses magasins avec ce type de sponsoring, au lieu de faire une grande campagne de publicité télévisée.”

Chaque firme se présente avec un plan de communication et un budget. Tâche ensuite pour Act for sport de sélectionner les meilleurs candidats parmi des centaines d’équipes, après un appel à candidatures auquel elles peuvent répondre. “Ce qui est recherché, ce sont surtout les actions sociétales en faveur de l’inclusion ou de l’environnement, le nombre de licenciés, notamment féminins, et la présence sur les réseaux sociaux”, résume l’entrepreneur. En moyenne, un club soutenu par une de ces campagnes de communication reçoit entre 2 000 et 3 000€ d’aides, sous la forme de jeux de maillots, shorts et chaussettes.

Mais cette manière de faire reste assez marginale sur le marché du sponsoring. “Un club amateur n’a pas de visibilité à vendre à des partenaires, décrypte l'universitaire Gary Tribou. Comme il n’est pas ou peu médiatisé, son périmètre d’influence est limité. Les entreprises intéressées sont celles qui sont basées dans la même zone géographique.” De fait, selon une étude de Sporsora, une association qui milite en faveur du sponsoring sportif, publiée en 2021, les PME représentent 90% des sponsors dans le monde amateur. C'est donc aux clubs de courir après les entreprises du coin pour les convaincre de faire vivre la vie sportive locale.

“Il faut produire un maximum de contenus”

Et en la matière, chacun a sa méthode. À Colomiers, les négociations démarrent généralement au bord des courts de tennis, entre deux leçons. “Quand un chef d’entreprise a son fils qui est un élève du club, on arrive à l’accrocher et à lui demander de mettre un petit billet, sourit Laurent Bauby. On ne fait pas de gros démarchage, même si c’est une activité qu’on aimerait réaliser.” Un étudiant signé en contrat de professionnalisation aide les dirigeants du club dans cette mission. La ligue Grand Est de natation a, elle, choisi de booster sa communication digitale en recrutant deux alternantes. Elle retransmet également en ligne des événements qu’elle organise. “Il faut produire un maximum de contenus pour avoir quelque chose à vendre, juge Raphaël Keller. Depuis le 1er juin, nous avons réussi à toucher 1,5 million de personnes via les réseaux sociaux.” Un chiffre encourageant selon lui.

Plusieurs entreprises locales sponsorisent le tennis club de Colomiers. Ⓒ Document remis

Chez les cyclistes du Cam Bordeaux, le nom du sponsor principal, Sider, précède désormais celui de l’équipe. Cette pratique publicitaire appelée naming, répandue partout dans le cyclisme professionnel, gagne du terrain chez les amateurs. Les logos des partenaires s'affichent aussi sur les tenues des licencié·es et sur la voiture que le concessionnaire Skoda local loue à l’équipe lors des compétitions. Et pour démultiplier la visibilité du club, un photographe bénévole suit les passionné·es dans leurs aventures. Ses photos sont ensuite postées sur la page Facebook du club; des messages repris en cascade sur les réseaux sociaux des sponsors.

Le CAM Bordeaux communique constamment pour promouvoir ses partenaires. Ⓒ Document remis

Qu’en pensent les licencié·es? “Paradoxalement, ça donne de la crédibilité, poursuit Gary Tribou. Je préconise parfois à des clubs d’accueillir des marques, sans rien demander en retour, car c’est un gage de professionnalisme pour attirer plus de spectateurs, d’adhérents et d’autres sponsors. Ça fait partie du paysage.”

Pour le club d’athlétisme de Beaumont-sur-Oise, trouver un sponsor est la priorité pour 2024. “On veut renouer le contact avec des entreprises locales. Dans les petites communes, rien de tel que les petits commerçants. Les gens sont plus sensibles à notre cause, surtout quand on s’occupe de leurs enfants.” Le vice-président de l’AC Nord 95 se met à rêver. “Si on récupérait un sponsor, j’investirais dans deux choses: défrayer les éducateurs et investir sur du textile. Les enfants aiment bien être habillés aux couleurs du club, pour créer un sentiment d’appartenance qui est une fierté et qui renforce les liens. Ça fait pauvre si on n’en a pas.”