Toustes ensemble!
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Toustes ensemble!

Pauline Beignon & Manon Boudsocq

© Guillaume Colleoni

Dans les compétitions internationales comme dans le sport amateur, la mixité gagne doucement du terrain, mais les réticences ont la vie dure. Des associations mouillent le maillot pour déconstruire les idées reçues et défier les arguments biologiques.

Voile, athlétisme, tir. Point commun de ces trois sports: l’arrivée de nouvelles épreuves mixtes aux Jeux olympiques de Paris 2024. Au moins 21 épreuves sur 329 verront s’affronter hommes et femmes. Un chiffre en légère augmentation par rapport à l’édition de Tokyo en 2021 qui comptait 18 épreuves mixtes sur 339. Au-delà des JO, la séparation des sportifs et sportives reste la règle dans une écrasante majorité de disciplines. Quelques pratiques entièrement mixtes comme l’équitation ou les sports mécaniques détonnent, en tout cas sur le papier. Car même dans ces activités, les femmes sont reléguées au second plan. L’Italienne Giovanni Amati est la dernière pilote à avoir concouru en Formule 1 en… 1992. En équitation, les propriétaires de chevaux se tournent majoritairement vers les hommes quand il s’agit de choisir un·e cavalier·e pour leur monture, alors même que les capacités physiques de ces dernier·es n’ont pas d’impact sur la performance du cheval.

Certaines disciplines autorisent des rencontres mixtes, mais seulement dans le cadre d’épreuves particulières: le tennis en double, les relais en biathlon et en triathlon ou encore le patinage artistique en couple. Même dans les sports collectifs, la mixité reste marginale: seuls quelques-uns y sont ouverts comme l’ultimate frisbee ou le basket 3x3.

La séparation hommes-femmes, ancrée dans notre manière de classer les athlètes, est d’abord fondée sur des différences biologiques. Le taux de testostérone, en moyenne plus élevé chez les hommes, joue un rôle prépondérant sur les capacités physiques. Une différence que les scientifiques sont parvenu·es à mesurer: en moyenne, on enregistre un écart de force en faveur des hommes pouvant aller jusqu’à 50% sur le haut du corps et 20% sur le bas du corps. Ces mesures rendent encore plus difficilement envisageable la tenue de compétitions individuelles où s’affronteraient les deux sexes. Une idée qui fait consensus dans le milieu. “Pour que le sport puisse vivre, il faut du suspense. Or, dans le cas des performances individuelles, s’il n’y avait pas de catégories séparées, les femmes seraient découragées parce qu’elles ne pourraient jamais gagner”, justifie Guillaume Millet, physiologiste du sport à l’Université de Saint-Étienne. Une situation en compétition qui tranche avec les entraînements souvent mixtes comme chez les judokat·es, les escrimeur·euses ou les tireur·euses à l’arc.

L'écart de force en faveur des hommes peut aller jusqu'à 50%. © Coline Playoust

Pourtant le taux de testostérone varie aussi chez les individus de même sexe. Un constat qui interroge l’équité au sein des catégories actuelles. Certaines femmes s’en retrouvent d’ailleurs exclues à cause d’un taux naturellement trop élevé. Ce fut le cas de Caster Semenya, athlète sud-africaine spécialiste du 800 mètres, reconnue intersexe et qui s’est vue empêchée de participer à certaines courses en 2019, après avoir refusé de prendre un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone. Une décision qui a été jugée comme discriminatoire par la Cour européenne des droits de l’homme.

Cette surproduction hormonale, aussi appelée hyperandrogénie, est parfois considérée comme une sorte de dopage naturel. Pour les personnes qui présentent des profils hormonaux et chromosomiques atypiques, “il faudrait presque inventer une troisième catégorie, parce qu'on n'arrive pas à les caser”, soutient Julien Feurer, médecin du sport. La sociologue Christine Mennesson, spécialisée dans les rapports de sexe dans le domaine sportif, va jusqu’à évoquer l’idée de “créer des catégories en fonction du taux de testostérone si on estime que c’est ce qui détermine la performance”.

Transgenres et intersexes sur la touche

La séparation actuelle des hommes et des femmes met de côté une autre partie de la population: les personnes transgenres et intersexes. En juillet 2023, une proposition de loi a été déposée par le Rassemblement national avec l’objectif de faire concourir les sportif·ves dans la catégorie correspondant au sexe figurant sur leur acte de naissance. Le groupe politique met en avant la volonté de protéger le sport féminin qui risquerait d’être impacté par la participation de femmes transgenres, nées de sexe masculin, qui disposeraient de meilleures capacités physiques. Malgré une prise d’hormones, les capacités physiques développées à la puberté des femmes transgenres restent plus élevées que les femmes cisgenres. Le physiologiste du sport Guillaume Millet estime, lui, que “les personnes transgenres doivent pouvoir concourir avec les femmes seulement si elles ont eu une transition avant la puberté, ce qui n’arrive jamais”.

Cette proposition de loi soulève une autre question: quid des hommes transgenres, nés de sexe féminin (qui prennent bien souvent de la testostérone)? Devraient-ils concourir avec des femmes cisgenres ou seraient-ils contraints d’arrêter leur traitement, au risque d’être exclus à leur tour des compétitions?

Si cette loi était adoptée, elle remettrait en cause la décision prise en 2021 par la Fédération française de rugby d’intégrer les personnes transgenres dans les compétitions qu’elle organise. Une position inédite dans le sport français et qui va à l’encontre de la volonté de la Fédération internationale World rugby. De leur côté, scientifiques et sociologues restent prudents sur la question.

Le cas des personnes intersexes, les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité ou de la féminité (1,7% de la population mondiale), est encore plus complexe. Dans les sports collectifs, la mixité pourrait leur éviter d'être questionnées sur la catégorie dans laquelle ces personnes concourent. Un sujet épineux selon le médecin du sport Julien Feurer: “C’est injuste pour les autres femmes qui ont un taux de testostérone dans la moyenne mais ça l’est aussi pour les personnes intersexes qui se trouvent exclues des compétitions alors que leur taux de testostérone est naturel et qu’elles s’entraînent autant que les autres.”

Entre 2010 et 2023, le nombre de licenciées à la Fédération française de football est passée de 90 000 à 220 000. © Pauline Beignon

Séparer les hommes et les femmes se justifie-t-il aussi dans les sports collectifs? Ici, l’argument de l’équité est évincé par celui de la sécurité. “On n’aurait pas idée d’organiser un match de rugby avec des hommes et des femmes même s’il y avait le même nombre de femmes dans chaque équipe, avance Guillaume Millet. Ce serait dangereux, elles se feraient massacrer.” Un raisonnement battu en brèche par Julien Feurer: “La dangerosité, c’est une fausse excuse. Au rugby par exemple, les règles ont évolué pour protéger le joueur, donc on peut continuer de les adapter. Ce sont les mentalités qu’il faut travailler. Pendant longtemps, on a interdit le marathon et le saut à la perche aux femmes au même prétexte, mais au final elles le pratiquent sans contrainte. Elles ne sont pas plus fragiles.”


Dès le plus jeune âge

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les écarts de performance ne tiennent pas qu'à des facteurs biologiques, l’éducation joue aussi un rôle. Les hommes et femmes n’ont pas le même rapport au sport. Selon Christine Mennesson “les filles sont incitées à développer leur souplesse et sont orientées vers des activités comme la gym, la danse et l'équitation. Les garçons, eux, sont davantage incités à la pratique sportive et à entretenir certaines qualités physiques attribuées au sexe masculin, comme la force”. Raison pour laquelle on retrouve principalement les hommes dans les sports de combat et collectifs, même si les femmes y sont de plus en plus nombreuses. Entre 2010 et 2023, le nombre de licenciées à la Fédération française de football est passé d’environ 90 000 à plus de 220 000 (sur un total de 2,1 millions de licencié·es) selon les chiffres officiels. Quant au judo et aux disciplines qui y sont associées (jujitsu, kendo), la part des femmes atteint 32% des licencié·es en 2023.

À l'entraînement, hommes et femmes évoluent souvent ensemble. © Justine Le Pourhiet

Mais les différences de pratiques qui persistent ont un impact durable sur la performance. Selon Christine Mennesson, “il est compliqué de démêler le biologique du social et il y a une tendance à surestimer la part du biologique. On dit d’ailleurs que les hommes ont davantage de qualités physiques, or ils ont juste des qualités physiques distinctes de celles des femmes” Les différences biologiques sont d’ailleurs accentuées par l’éducation qui n’offre pas aux garçons et aux filles la même chance de performer selon les sports. La sociologue plaide aussi pour y renforcer la mixité, à condition d’adapter les gestes et pourquoi pas les règles du jeu. “Cela pourrait transformer positivement la pratique, qui serait moins frontale et moins dans la démonstration d'agressivité.”

La mixité permettrait également de sensibiliser les enfants à une vision plus équitable du sport ainsi qu'à des valeurs d’égalité, transposables dans la vie de tous les jours. “Mais la mixité, ce n'est pas l'égalité. Il ne suffit pas de mettre ensemble des filles et des garçons pour faire disparaître les logiques de domination ou les stéréotypes de genre”, prévient Cécile Ottogalli, maîtresse de conférences à l’Université Lyon 1. Le laboratoire sur les vulnérabilités et l'innovation dans le sport (L-ViS) dont elle dépend, a accompagné pendant deux ans l’ONG PLAY International dans la formation d’éducateur·ices et d’entraîneur·euses à la promotion de la mixité. L’objectif: sensibiliser au danger de “véhiculer sans le savoir un certain nombre de stéréotypes”, explique-t-elle.

Dès l'enfance, filles et garçons évitent la mixité. © Jean Lebreton

Sur le terrain, PLAY International constate notamment que “les éducateurs sont beaucoup plus exigeants et sévères avec les filles. Par exemple, un geste violent sera moins bien accepté s’il vient d’une fille parce que c’est considéré comme moins courant et donc moins bien vu. Pour une même faute, la sanction sera généralement plus importante que pour un garçon”, souligne Henri Lelorrain, référent pédagogique au sein de l’ONG.

Une formation d’autant plus importante que le laboratoire constate que filles comme garçons développent très tôt des stratégies d’évitement de la mixité. Une tendance qui pourrait être contrecarrée par une généralisation d’une pratique sportive en totale mixité, tout à fait envisageable, puisque les capacités physiques sont quasiment identiques avant la puberté.