Ligament croisé: footeuses au point de rupture
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Ligament croisé: footeuses au point de rupture

Baptiste Huguet

© Baptiste Huguet

Souvent abordées à travers le prisme des rémunérations, les inégalités entre le football féminin et masculin se manifestent aussi dans les blessures graves comme la rupture du ligament croisé antérieur. Au-delà des différences physiques et biologiques, d’autres raisons liées notamment aux conditions d’entraînement interviennent.

Alexia Putellas, Marie-Antoinette Katoto, Vivianne Miedema, Beth Mead, Catarina Macario… Ces icônes du football mondial féminin ont toutes subi la blessure tant redoutée sur les terrains, quel que soit le niveau de pratique: la rupture du ligament croisé antérieur du genou. Selon des travaux réalisés en 2011 par le chirurgien du sport Nicolas Lefevre, les footballeuses sont quatre à huit fois plus touchées que leurs homologues masculins.

L’année 2022 a connu une véritable hécatombe: 57 joueuses des cinq grands championnats européens et du championnat américain, ainsi que cinq des 20 meilleures footballeuses au classement du Ballon d’or, se sont “fait les croisés”. En 2021, 53 joueuses professionnelles ont été victimes de cette blessure. Sélectionnée à 17 reprises sous le maillot du Portugal entre 2009 et 2014, Mariane Amaro, 30 ans, a subi deux ruptures du ligament croisé, en 2015 et en 2021: “La première fois, j’ai entendu mon genou craquer. J’ai ressenti une sensation que je n’avais encore jamais connue. C’était très douloureux. Je me suis entendue crier pour la première fois.”

Les joueuses de l’US Orléans à l’entraînement. © Baptiste Huguet

L’actuelle défenseure de l’US Orléans (D2 féminine), passée par le Paris Saint-Germain, a dû effectuer un an de réathlétisation dont plusieurs semaines passées au Centre européen de rééducation du sportif (Cers) de Capbreton (Landes). À la suite de ce premier coup d’arrêt dans sa carrière, elle n’a plus jamais été appelée en sélection portugaise.

Des blessures témoins des inégalités femmes-hommes

Au niveau professionnel masculin, les délais de retour à la compétition peuvent être de six mois seulement. Les différences physiologiques entre les femmes et les hommes expliqueraient la plus grande vulnérabilité des sportives au niveau du genou. Des ligaments plus courts, une musculature moins développée, un bassin plus large et une plus grande laxité des articulations en seraient les principales causes. Une fragilité accrue en fonction des cycles menstruels qui modifient la composition des tissus et qui engendrent une fatigue supplémentaire.

Mais ces considérations anatomiques à elles seules n’expliquent pas tout. Les footballeuses ne bénéficient pas d’une reconnaissance égale à celle de leurs homologues masculins. Elles ne sont que rarement prioritaires pour jouer sur les meilleurs terrains. À l’US Orléans, les coéquipières de Mariane Amaro ont par exemple dû céder leur pelouse synthétique à l’équipe masculine qui disputait sa prochaine rencontre de National sur ce type de surface. En 2021, les joueuses du Cercle Paul-Bert Bréquigny, le plus gros club féminin de Rennes, se sont entraînées sans short ni chaussettes pour dénoncer ces inégalités. “Sans parler du manque de représentation et de considération. Les filles s’entraînent toujours sur les terrains les plus pourris”, déplorait alors Manon Éluère, joueuse et responsable du compte Instagram du club breton.

Les conditions d’entraînement ne sont pas toujours optimales dans le foot féminin. © Baptiste Huguet

Mais les équipementiers ont aussi leur part de responsabilité. Il a fallu attendre 2016 pour que Becky Sauerbrunn, alors co-capitaine de l’équipe nationale américaine, porte les premières chaussures de foot spécifiquement designées pour les femmes: les “Ace” fabriquées par Adidas. Un modèle avec une silhouette plus basse, un col plus haut et des crampons plus courts censés faciliter les déplacements des joueuses. Depuis, d’autres marques ont emboîté le pas à l'équipementier allemand, profitant notamment de la Coupe du monde 2023 qui avait lieu en Australie.

80% des ruptures du ligament croisé sont liées à un changement de direction trop brusque

Une autre piste pour limiter le risque de blessure des joueuses consiste à accorder une plus grande attention à leur préparation physique. Dans 80% des cas, la rupture du ligament croisé intervient à la suite d’un changement de direction trop brusque, lorsque les footballeur·euses se déplacent sur le terrain. Auteur du livre La Prépa physique Football féminin, Maxence Pieulhet s’appuie sur son expérience dans le staff du Paris FC en D1 Arkena (première division féminine) depuis 2019 pour proposer des pistes d’amélioration.

Il plaide en faveur d’un travail de gainage spécifique pour mieux protéger les articulations et renforcer les muscles qui soutiennent la colonne vertébrale. Des exercices à adapter au calendrier des joueuses, qui peut comprendre une quarantaine de matchs dans une saison pour les internationales. Lors de sa rupture du ligament croisé en avril 2023, Leah Williamson, qui évolue sous les couleurs du club anglais d’Arsenal, avait disputé sept matchs en trois semaines, soit une rencontre tous les trois jours.

L’UEFA a lancé une enquête le 6 décembre 2023 pour mieux prévenir les lésions du ligament croisé, avec un premier questionnaire à destination des joueuses, des staffs, des médecins et des parents. La plus haute instance de football européen justifie cette initiative sous le seul angle de la santé des joueuses. Elle pourrait aussi répondre à des considérations économiques puisque l’absence de stars lors de compétitions majeures représente une perte d’attractivité pour les diffuseurs et les équipementiers. Les premières conclusions de l’enquête de l’UEFA sont attendues à l’été 2024.

Et outre-Atlantique?

Le Français Léo Martini entraîne les catégories jeunes du Florida Premier FC, aux États-Unis. Malgré des infrastructures plus modernes qu’en Europe, il observe que les joueuses américaines ne sont pas épargnées par les blessures graves. “Les ruptures des ligaments croisés sont un sujet très largement discuté aux USA. Notamment entre les parents et les clubs”, précise le coach expatrié. En cause selon lui, une culture de l’entraînement à très haute intensité, où les joueuses n’hésitent pas à se mettre dans le rouge en pleine saison. “Elles peuvent jouer deux matchs dans le week-end et enchaîner par une session intensive à la salle de musculation le lundi”, détaille Léo Martini. Des pratiques qui n'ont pas cours en Europe où les charges de travail sont davantage adaptées aux capacités de l’athlète, en dépit d’un nombre de matchs toujours trop important.