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Les eurodéputés en panne sur le paquet mobilité


28 mars 2019

Une réforme majeure du secteur routier devait être soumise aux voix des eurodéputés cette semaine. Très controversée, elle a finalement été repoussée à la prochaine session plénière.

Il n’y aura pas d’avancée sur le Paquet mobilité lors de cette session plénière du Parlement européen. En négociation depuis deux ans, les trois directives la constituant ont été retirées du vote au dernier moment, le 27 mars, victimes d’un torpillage procédural. Étaient en jeu le temps de repos des chauffeurs, l’application du travail détaché au secteur de la route, l’encadrement du cabotage… Le secteur du transport routier, qui emploie cinq millions de personnes dans près de 915 000 sociétés, devra donc encore attendre avant d’être régulé par des normes communes à l’échelle européenne.

 

Le vote ayant été repoussé, le paquet mobilité est à l'arrêt. © Pauline Dumortier

C’est un nouveau rebondissement pour ce Paquet mobilité qui suscite la controverse depuis que la Commission européenne l’a mis sur la table, en juin 2017. Adopté en commission parlementaire mais rejeté en plénière par les eurodéputés en juillet 2018, il a finalement fait l’objet d’un accord entre les États membres en décembre 2018. Au forceps : 9 pays y étaient opposés - principalement à l’Est.

Fracture Est-Ouest

Car sur le sujet du transport routier, la ligne de fracture est avant tout géographique. « L’Europe de l’Ouest cherche à limiter l’accès au marché à des pays trop compétitifs pour elle », dénonce Boguslaw Liberadzki, eurodéputé polonais (S&D, sociaux-démocrates). « Dans mon pays, le secteur des transports routiers représente 17% du PIB, abonde Ilhan Kyuchyuk, eurodéputé bulgare (ALDE, libéraux), ces mesures entraîneraient la faillite de centaines de PME ! ». « Vous voulez sacrifier les conditions de travail des routiers sur l’autel d’intérêts nationaux ! »,  leur rétorque l'eurodéputé française Karima Delli (Les Verts), présidente de la Commission transport.

Le paquet mobilité entend améliorer les conditions de travail des chauffeurs routiers et introduire des mesures de contrôle dans ce secteur jusqu’à présent peu réglementé. Une de ses mesures phares : l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine. « On parle de femmes et d'hommes qui, pour leur travail, doivent dormir sur des parkings, loin de leur famille. C’est une forme moderne d'esclavage » s’indigne Karima Delli. Les règles régissant le travail détaché - la possibilité de travailler temporairement dans un autre pays que le sien - devraient aussi désormais pouvoir s’appliquer au transport routier. Mais sous conditions : les opérations bilatérales - un aller-retour d’un État membre à un autre - en seraient toujours exclues. Quant au cabotage - la possibilité pour des entreprises de transport de faire des opérations dans un autre pays -, il resterait possible mais serait mieux encadré.

Mardi 26 mars, des syndicats de routiers manifestent devant le Parlement européen pour faire voter le paquet mobilité. © Nicolas Massol

Les directives sur le transport visent aussi à lutter contre les entreprises qui installent fictivement leur siège social dans des pays où la main d’œuvre est moins chère pour gagner en compétitivité. « Il ne faut pas figer l’opposition Est-Ouest, estime Marie-Pierre Vieu, députée française (GUE, gauche anticapitaliste). Des pays comme la France et l’Allemagne profitent des sociétés boîtes aux lettres. » Pour elle, « l’harmonisation sociale doit se faire par le haut ».

En France, l’accord est plutôt bien reçu au sein de la profession : « Nous sommes satisfaits à 90% du Paquet mobilité » déclare Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers, qui représente les entreprises du secteur en France. Même son de cloche du côté de Fred Rouaux, délégué syndical de la CFDT, adhérente de la Fédération européenne des travailleurs des transports : « Le texte n’est pas parfait mais il faut qu’il soit voté au plus vite pour qu’on avance. »

 

Bataille de procédure

Tel n’était pas l’avis d’un groupe de députés, principalement issus de pays de l’Est de l’Union européenne. Dès lundi, ils demandent en plénière à retirer le Paquet mobilité de l’agenda hebdomadaire du Parlement européen. Maintenu à deux voix près, le texte fait alors l’objet d’une avalanche d’amendements (près de 1600). Devant l’impossibilité de les traduire en temps et en heure, le Président du Parlement européen, Antonio Tajani, doit se résoudre à reporter le vote. Le Paquet mobilité retourne donc en commission parlementaire pour que le nombre d’amendements soit réduit et que les députés soient en mesure de se prononcer à leur sujet lors de la prochaine session plénière d’avril.

Si certains déplorent ce nouveau report, d’autres s’en réjouissent : « Ce sera au prochain Parlement élu en mai de retourner à la table des négociations, estime Andor Deli, eurodéputé hongrois (PPE, démocrates-chrétiens). Nous n’avons ni le temps ni le calme nécessaires pour le faire aujourd'hui. » Ni l’envie de faire des compromis, regrettent ceux qui auraient aimé adopter le texte dès cette semaine. « À deux mois de l’échéance électorale, analyse Isaskun Bilbao Barandica, députée espagnole (ALDE, libéraux), l’attitude et les positions des parlementaires sont totalement conditionnées par les élections européennes. » La bataille du transport routier ne fait que commencer.

Pauline Dumortier et Nicolas Massol

 

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