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Mi-novembre 2024, une trentaine de tentes sont installées dans le parc. Contrairement au camp du Krimmeri - démantelé une nouvelle fois le 19 novembre - qui accueille des populations pachtounes, les sans-abris de la Montagne-Verte viennent tous des Balkans et du Caucase. Aux abords des trois tentes de la famille d’Isra, récemment déplacées à cause des rats, des palettes, des tables et des tabourets de fortune entourent le feu, tel un petit salon.
Les habitants du campement déplorent l’état des trois sanitaires et du point d’eau installés par la ville. L’absence d’entretien régulier sur ces installations pousse les familles à se tourner vers des structures d’accueil de jour telle que la Loupiote, près de la gare de Strasbourg. Ici, douches, machines à laver et cuisines sont mises à disposition des familles dans le besoin. Mais ces équipements sont victimes de leur succès : "Généralement, pour les douches, il faut réserver une semaine à l’avance", explique Dorothée Hoeffel, cheffe de service. Avec une centaine de passages par jour, difficile pour Isra et sa famille d’arriver à se doucher plus d’une fois par semaine.
À la frontière sud de la Montagne-Verte, adossé à la rue René Laennec, un filet d’eau claire s’écoule lentement sous les saules. L’Ostwaldergraben, mince affluent de l’Ill, creuse son lit dans une tranchée verte de 600 mètres sur 50. À l’aval, là où l’eau glisse sous un pont de briques, le béton remplace la terre. La rue d’Ostwald crache son flot de voitures, bus et tramways.
Il a longtemps été impossible ici pour la faune de franchir la chaussée, identifiée par la Ville de Strasbourg comme point noir pour le passage des espèces. La rue, avec ses deux voies de circulation automobile et les rails du tramway, représente une rupture dans la continuité écologique formée par le canal, lien ténu entre deux zones humides de l’Eurométropole (EMS), les étangs du Bohrie et du Gérig.
En 2012, l’EMS lance des travaux de renaturation de l’Ostwaldergraben. Sous les lignes électriques qui bordent le ruisseau, on creuse des mares.
Une douche par semaine
Les différents barbershop de la Montagne-Verte. © Augustin Brillatz et Thomas Dagnas
La mobilisation des parents d'élèves
À la Montagne-Verte, les espaces naturels, fragiles refuges pour la faune, sont soumis à une forte pression humaine. Des couloirs de végétation limitent l’impact des infrastructures de transport qui fragmentent ces sites précieux.
Miri, le père, Valdeta, la mère, et leurs trois enfants (Meris, 15 ans, Isra, 13 ans et Erblil, 8 ans) ont quitté leur ville de Shkodër, au nord de l’Albanie, le 10 juillet 2023, dans un van. Isra revient sur les raisons de leur départ : "Le cousin de mon père est un criminel et nous avons peur pour la famille."
Après avoir traversé le Kosovo, la Macédoine du Nord et la Serbie, ils ont réussi à franchir la frontière hongroise, porte d’entrée dans l’espace Schengen. Ils sont parvenus jusqu’à Turin en Italie avant de rejoindre la Suisse et enfin la France. À l'issue de ce périple de près de 2200 km à travers l’Europe, ils ont déposé une demande d’asile à Mulhouse. "Nous dormions à la gare et dans d’autres endroits. Dix jours après, nous avons été transférés à Sarre-Union", retrace Isra. La famille y est restée pendant onze mois jusqu’à l’échec de la demande d’asile qui l’a contrainte à partir. Arrivés à Strasbourg en juillet en bus, Isra et ses proches ont fini par arriver au parc Eugène-Imbs. "À Krimmeri (un campement de migrants à la Meinau), il y avait trop de tentes. Donc on a cherché ailleurs", raconte la jeune fille.
Pour la nourriture, ils s’en remettent aussi aux associations. Deux fois par semaine, Valdeta traverse la ville. Tous les lundis pour la collecte des Restos du Cœur de Cronenbourg, tous les mercredis pour celle de la Croix-Rouge, à l’Orangerie. "Mais les Restos du Cœur c’est pas bon et il y a pas beaucoup", soupire-t-elle.
Il est 16h30, Isra revient du collège Lezay-Marnésia et retrouve ses parents autour du feu. Elle retourne dans sa tente pour faire ses devoirs. Ses parents ne parlant pas français, elle ne peut pas être beaucoup aidée. Scolarisée depuis septembre dans cet établissement, l’adolescente a fait de grands progrès en français, elle qui parle déjà le turc, l’anglais et l’allemand en plus de sa langue maternelle. Sa solution : "J’utilise Google Traduction sur mon téléphone et ça va." Son professeur de français, Frédéric Laumont, est positif sur l’intégration d’Isra et sur son travail. Ce dernier insiste sur le "petit cocon" que constituent pour elle ces instants en classe.
Un transit à travers l’Europe
Pauline Braunstein et Pauline Moyer