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L'écureuil : « J'aime pas être à découvert »

02 octobre 2019

Belle queue en panache, pinceaux sur les oreilles, allure svelte et gambadante : un écureuil roux a élu domicile dans les noisetiers du bâtiment l’Escarpe, rue du Maréchal-Juin, à deux pas de l’Esplanade. Une occasion unique de s’entretenir avec un représentant de la biodiversité à Strasbourg. Et d’interroger les rapports entre l’homme et la faune sauvage, en milieu urbain.

L'écureuil roux sautille entre l'Escarpe et la Cité administrative Gaujot. / Photo Nicolas Massol

Vous avez élu domicile sur le campus de l’Université de Strasbourg, presqu’au pied des immeubles de l’Esplanade. Franchement, il n’y a pas meilleur endroit pour un écureuil ?

Vous savez, je ne suis vraiment pas difficile : quelques arbres suffisent à mon bonheur. Depuis que j’ai signé un partenariat avec la Caisse d’épargne, tout le monde s’imagine que je ne mange que des noisettes. Mais, en vérité, je sais adapter mon régime alimentaire : glands, châtaignes, petits fruits… et même des petits invertébrés, comme le scarabée ou d’autres coléoptères. Non, ce qui me pose problème, c’est quand on abîme ma trame verte. 

Qu’est-ce qu’une trame verte ?

La trame verte, c’est comme ça que le ministère de la Transition écologique appelle mon réseau routier. Je vous l’ai dit, j’aime bien les arbres. C’est là que je mène ma vie, on appelle ça mon réservoir biologique. Alors, si je veux me déplacer, ou si je fais des enfants qui veulent prendre leur envol vers un autre réservoir biologique, nous avons intérêt à utiliser cette trame verte [des haies, des entrelacs de branches, ndlr]. Ça nous permet d’être à l’abri de nos prédateurs naturels, les rapaces, et aussi de ne pas finir en galette sur une départementale. 

La trame verte est-elle bien préservée, à Strasbourg, ou est-elle trop morcelée à votre goût ?

Ça pourrait toujours être mieux, mais on ne va pas se plaindre : Strasbourg a été désignée capitale française de la biodiversité pour l’année 2017. La forêt de la Robertsau, du Neuhof, mais aussi les étangs de la Wantzenau sont des espaces sympathiques pour la faune. Des castors y ont même pointé le bout de leur nez. 

Après, vous savez, tout ne repose pas sur les pouvoirs publics. Si, dans votre jardin, vous supprimez une haie, ou même un grillage, pour y substituer un mur, vous nous condamnez, avec les collègues hérissons ou mulots, à nous mettre à découvert. Et Dieu sait si nous n’aimons pas ça, être à découvert. C’est sûrement pour ça qu’avec la Caisse d’épargne, on se comprend si bien. 

Alors, pour nous aider à survivre, certaines associations comme la Ligue pour la protection des oiseaux étendent des cordes, entre deux arbres, au-dessus de routes passantes, pour nous permettre de traverser en toute sécurité. Un peu comme les corridors écologiques au-dessus des autoroutes. Sauf que ça s'appelle un écuroduc. On pourrait peut-être organiser ça au dessus de la rue du Maréchal Juin ? 

À part les hommes, qui vous menace, à Strasbourg ?

Le chat domestique. Vous, les humains, vous adorez les chats, et, comme parfois, vous oubliez de les stériliser, leur population augmente beaucoup. Certains individus retournent même à l’état semi-sauvage. Et ce sont des chasseurs redoutables, capables de s’éloigner jusqu’à quatre kilomètres de l’endroit où ils crèchent. Ils m’inquiètent, depuis que j’en ai vu deux rôder au pied de l’Escarpe, le soir.
Mais c’est pas tout : vos chiens, non plus, ils ne m’inspirent guère confiance. Les riverains les promènent du côté du campus. Et ils aiment me courser, les chiens. Pas pour me manger. Juste pour s’amuser. N’empêche que ça me stresse, et ça me fait perdre du poids. Ça m’affaiblit, et, à l’approche de l’hiver, je n’ai vraiment pas besoin de ça. 

Vous êtes en train de me dire que certains animaux peuvent représenter un danger pour la biodiversité ? 

Oui. Et je ne suis pas le seul à être de cet avis. Allez demander au rat musqué ce qu’il pense du ragondin. Originaire d’Amérique du Sud, il a été introduit en Europe à la fin du XIXe siècle, et il y prospère d’autant plus que les hivers sont plus doux. Il se bat avec le rat musqué, prend les meilleurs endroits pour y nicher. Résultat : la population de rats musqués ne cesse de décroître à Strasbourg.

Mais tout va bien pour vous, les écureuils ? 

Détrompez-vous ! Je risque moi aussi d’être concerné : l’écureuil gris, d’origine nord-américaine, pose désormais problème en Europe aux rouquins de mon genre. En Angleterre, on ne trouve presque plus que ça. Il a même été classé parmi les « espèces exotiques envahissantes » par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Comme le ragondin, il a été introduit en Europe par l’homme. Preuve que c’est quand même vous, les humains, qui êtes derrière tous les problèmes. 

Propos recueillis par Nicolas Massol

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