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“Il y a encore un an, il y avait très peu de scènes ici, aujourd’hui ça se développe un peu plus”, remarque Ouutch. Les artistes d’Alsace rêvent de la capitale. Souvent difficile d’accès, avec un public très exigeant. Depuis octobre, Zohar et Maurizio, qui ont longtemps fait vibrer le Bercail, font tout le contraire : ils invitent des artistes parisiens connus à se produire à Strasbourg. Ils ont créé le Plato Comedy Club. Un rendez-vous mensuel avec un artiste différent à chaque fois au Fat, un bar place d’Austerlitz à Strasbourg.

 

Manal Fkihi

Mais difficile d’en faire un métier. Ces stand-uppers ont souvent un travail à côté, sinon des jobs pour arrondir les fins de mois. Stefan Bobner, membre du St’Up, s’est lancé parce qu’il s’ennuyait quand il était au chômage à Paris, là où la scène stand-up en anglais est beaucoup plus développée. D’origine tchèque, à son arrivée à Strasbourg, il a créé le Strafunkel Comedy Club, un comedy club exclusivement en anglais. “Le Strafunkel attire surtout les étudiants internationaux. les thématiques abordées sont plus universelles. Dans le stand-up en français, les gens rient beaucoup plus de leurs habitudes régionales. D’ailleurs, 40% des blagues sont moins drôles quand elles sont traduites de l’anglais au français. Il faut vraiment adapter l’écriture selon la langue et le public”, observe Stefan Bobner.

Au sein du St’Up règne une diversité de styles. Certains aspirent à une écriture plus théâtrale, s’inspirent de la littérature, du mime, du chant. “On pense souvent que le stand-up est un exercice facile, parce qu’on parle comme si on était à la maison avec sa famille. Mais la construction du texte est la même qu’au théâtre”, affirme Shongo Tangé, artiste du St’Up. “La différence c’est que dans le théâtre, on ne va pas communiquer avec le public, on se contente de jouer un personnage. J’aime être en rapport direct avec le public, improviser des choses dans la rue, faire un peu le con, le stand-up reste l’idéal de cet esprit là.”

Blase a la lourde tâche d’ouvrir la soirée. Des premiers rires timides résonnent dans le bar. Il fait monter l’ambiance crescendo avec son humour macabre. Tangé fait le pitre, il débarque sur scène, soutiens-gorge sur le visage, son masque pour “se protéger du coronavirus”. Au programme de la soirée, six artistes dont un invité. Dans le public, des jeunes et des moins jeunes, des couples et des groupes d’amis, des habitués du lieu et des nouveaux, savourent ce moment, verres en main. 

S'inspirer du quotidien

“Je prends beaucoup de notes sur mon téléphone au fil de la journée, je m’inspire de mon quotidien, de l’actualité. Puis je me pose une après-midi dans la semaine pour écrire mon texte”, raconte Ouutch, Alexis Schneider de son vrai nom. Guest de la soirée, il a commencé le stand-up il y a tout juste un an, fortement inspiré par Jamel Debbouze. Sur scène, il crée très vite une symbiose avec son public, taquine, se confie, tacle. Il parle de sa vie avec sa petite amie comme de viol ou de pédophilie. Son humour décomplexé séduit le public.

Mecredi 11 mars, 20h30 au Bercail, un bar de la Petite France. La  serveuse fait le tour des tables pour dire que le service s’arrête, par respect pour les artistes. “Vous pouvez toujours venir au comptoir si vous voulez un truc à boire ou à manger”, glisse-t-elle aux spectateurs. Bancs en bois et chaises rouges sont alignés devant une petite estrade. Le show peut commencer.

Sans artifice ni décor

Frédéric North, fondateur du collectif, est en charge de la présentation ce soir. Formé en juin dernier, le St’Up rassemble sept artistes, une bande de copains humoristes, tous passionnés de stand-up. Le concept est simple : microphone en main, chacun a une dizaine de minutes pour faire rire le public, sans artifice vestimentaire ou décor. “Le stand-up est très différent du sketch, on s’adresse directement au public sans faire intervenir de personnage fictif. Au début, on a tendance à se baser sur des sketches, mais au fur et à mesure on commence à lâcher un peu prise et chacun de nous trouve son propre univers”, explique Fred North.

Le confinement est plus difficile à accepter pour d’autres. Louise Crahé, qui vient de finir ses études d’assistante vétérinaire, “le vit mal. J'ai besoin d'être entourée mais je n'ai pas pu retrouver ma famille, explique-t-elle. Mon sentiment profond, c'est de la colère.” Pas à cause du virus, mais en raison du comportement des gens qui sortent encore. Pour cette Strasbourgeoise, le gouvernement français n’a pas pris assez tôt la mesure de la situation.  Alors pour se changer les idées, Louise Crahé a rejoint un collectif d’artistes sur Instagram. Sous le nom “quarantaineartistique”, le compte propose de partager des œuvres d’amateurs en ligne.

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Louise Crahé a rejoint un collectif d'artistes. © Louise Crahé

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Elise Martin achève un puzzle de 5000 pièces commencé durant les fêtes de Noël. © Elise Martin

"Il y a vraiment des différences entre la Chine et l’Occident et la plus notable est le port du masque"

Etudiant en informatique à Strasbourg, Mathieu Brisset, 22 ans, était en stage à Chengdu, en Chine, lors du début de l’épidémie. Confiné à présent à la Wantzenau, il compare la France à la Chine.

“La crise a commencé au début des vacances chinoises (fin janvier) et de nombreux commerces, transports, ont été fermés et supprimés (dont mon vol retour). Les villes se sont vidées. Il y a eu des contrôles de température partout et le port du masque est devenu obligatoire dans certains endroits. Je vivais seul et n’aimais pas faire la cuisine. J’essayais de sortir de temps en temps et de manger dans les rares fast-foods ouverts. J’ai eu l’occasion de discuter avec des amis à l’extérieur avant de partir, mais très peu de personnes osaient sortir. Je n’ai eu quasiment aucune consigne ou information à mon retour. Il y a vraiment des différences entre la Chine et l’Occident et la plus notable est le port du masque. Ce n’est pas habituel en France tandis qu’en Asie c’est fréquent de croiser des personnes qui en portent, c’est culturel. Durant mon vol retour, j’ai porté un masque et j’ai eu une correspondance à Copenhague. Je devais être le seul Blanc qui en portait, tout le monde me regardait. Il y a aussi une certaine discipline accompagnée d’un autoritarisme différent entre la Chine et l’Europe. On n’aurait jamais imaginé mettre en quarantaine des régions en Europe car on a une certaine philosophie de liberté individuelle. Il a fallu attendre la quarantaine en France pour que les gens commencent à comprendre que c’est sérieux.”

 

 

Et puis il y a ceux qui en profitent pour se lancer dans de nouveaux projets. Alya Soydinc, étudiante en master de littérature à Strasbourg, rêve d’ouvrir enfin une chaîne Youtube : “J'y pense depuis des mois, je ne savais pas par où commencer !” Avant d’ajouter : “Dès que ce sera fini, je vais avoir une nouvelle vie !” Quant à Xavier, s’il reste conscient de la gravité de la situation, pas question de perdre sa bonne humeur : “Pour la Saint-Patrick, on a fait un Skype avec des copains pour boire des bières ‘ensemble’ ! Je rigole de la situation, ça emmène des choses drôles comme les policiers qui protègent le papier toilette…”

Infirmière en attente de mission

Dini Anggraini Sianturi, en master de l’éducation, compte bien se servir de cette période pour enfin écrire son mémoire, dont le thème “L'influence des plateformes pédagogiques sur la motivation des étudiants” semble en parfaite adéquation avec l’actualité. Car si les universités sont fermées, les cours continuent. Ou presque. Dans toutes les facultés et écoles de Strasbourg, les élèves doivent étudier par l’intermédiaire des plateformes numériques. “Certains professeurs ont mis leurs diaporamas sur internet”, explique Martin Balzinger, en 3e année de Sciences de la vie à Strasbourg. Il regrette le manque de cours vidéo. Mais quand ils sont proposés, difficile, parfois, d’être assidu. Xavier, étudiant en école d’ostéopathie à Strasbourg, ne s’est pas réveillé pour son cours de sémiologie des affections psychiatriques du mercredi 18 mars à 8h30.

La crise sanitaire accélère aussi la formation pratique des jeunes en formation médicale, comme Pauline Grégory, en deuxième année d’école d’infirmière à Brumath. Cette Marseillaise devait rentrer dans le Sud avant l’annonce du confinement. “Mais mon école a demandé à ce qu’on aille en mission de soins à l’hôpital”, précise-t-elle. Face au manque de personnel hospitalier, la jeune étudiante de 23 ans assurera donc la continuité des soins pour les patients, probablement en avril. Redoublante, Pauline Grégory a déjà réalisé ses stages l’année dernière. Ses camarades sont envoyés sur le terrain en priorité, les missions de soins étant considérés par son école comme des stages. Elle reste donc chez elle dans son appartement en attendant d’apporter son savoir-faire, une nécessité “pour aider les blouses blanches”.

Marylou Czaplicki

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