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Pipo, un braque français de 5 ans, renifle les chaussures de son propriétaire Jean-Claude Drzewinski. “Vu mon âge, c’est lui qui me promène. Il faut me faire sortir du canapé”, sourit le retraité de 78 ans qui habite le quartier Villas depuis les années 1970.

“Ça a multiplié par dix mes connaissances à la Meinau”

C’est Alban Klein, le petit nouveau de la bande avec son retriever de la Nouvelle-Écosse de 5 mois nommé Kaaris, qui lance le mouvement : “On va faire un petit tour vers chez toi, Jean-Claude !” Les promeneurs empruntent le chemin boueux qui longe le Rhin Tortu, en direction de la rue du Général-Offenstein. Le sol jonché de feuilles mortes se dévoile à la lumière des lampes frontales. Dans la nuit, l’eau ressemble à une nappe de pétrole. Difficile d’imaginer “la thalasso de la Meinau” dont parle Jean-Claude. L’été, tous les chiens se rafraîchissent dans ce bras de la rive droite de l'Ill. Rudy, le golden retriever, est le seul à plonger en janvier par -5 °C. “Quand il revient de la balade, il a des stalactites partout sur le torse”, s’amuse son maître Sébastien Gillet. 

Le géomètre de 45 ans se réjouit d’avoir intégré le groupe : “Ça fait 15 ans que je suis dans le quartier et, à part les parents d’élèves de la classe de ma fille, c’est vraiment ici que j’ai commencé à rencontrer du monde. Le parc à chiens a multiplié par dix mes connaissances à la Meinau.” Alban Klein, qui est auto-entrepreneur, renchérit : “C’est une belle vitrine sociale. Il y a de l’ambiance et beaucoup de bienveillance.” En 2021, après la longue période de confinement, Dora Kecelioglu a créé un groupe Whatsapp pour organiser ces sorties. Aujourd’hui, le fil réunit une trentaine de propriétaires de chiens. “Quand quelqu’un est absent depuis longtemps, on s’inquiète, donc on demande sur la discussion”, complète Justine Bru, emmitouflée dans son imperméable rose.

"Ce dont on a besoin, c’est d’avoir un endroit qui soit accessible à tous, rappelle Abdelkarim Ramdane, référent du quartier de la Meinau. On ne peut pas garder un truc aussi horrible que le parvis actuel. Notre objectif, c’est d’avoir un espace qui sera notamment utilisé par les étudiants de l’Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation), et par les enfants qui sortiront de l’école Krimmeri-Meinau (les deux établissements, situés rue de l’Extenwoerth, au nord du stade, sont en chantier jusqu’en 2025, NDLR)."

Réaménagement oblige, les zones de stationnement et la voirie à l’ouest du stade vont être repensées. Les parkings VIP numéro 1, 2 et 3 se déplaceront au nord-est du stade, rue des Vanneaux. La rue de l’Extenwoerth deviendra exclusivement accessible par la rue Maria-Montessori, et se transformera en impasse, avec le nord de la fanzone comme limite. Enfin, le parking du McDonald’s disparaîtra. 

Aux Villas, la future fanzone fait grincer des dents. "On aurait voulu que soit maintenu un accès routier au quartier par le nord de la Meinau. Le stade est déjà une infrastructure qui rentrait au chausse-pied dans le quartier. Avec la fanzone, le pied va augmenter en taille" se plaint Romaric David, président du comité auto-constitué des habitants des Villas, qui, comme les autres riverains, se repliera sur la rue du Général-Offenstein au trafic déjà très dense. "Il y a une poignée de personnes qui veulent garder ce passage. Mais on a une vision de quartier, on ne regarde pas les usages particuliers", répond Abdelkarim Ramdane. 

Le contraste avec le reste de la Meinau est frappant. "Il suffit de traverser la route la Meinau pour diviser de moitié les prix de l’immobilier", explique Francis Fischer, agent immobilier indépendant spécialiste des Villas. Une fracture flagrante que reflète également l’inégale répartition démographique. Aux Villas, les cadres et professions intellectuelles représentent 37 %, elles sont 21 % côté Plaine des Bouchers et seulement 7 % à la Canardière, selon la dernière étude socio-démographique de l’Insee (2016). 

Les jardins privés, argument phare des agents immobiliers

Le bruit répété de la foreuse au stade de la Meinau n’empêche pas les boulistes d’occuper le parc de l’Extenwoerthfeld depuis plus d’une heure. “On se donne rendez-vous, été comme hiver, à 14 h pétantes”, affirme Nicole. À deux pas du Rhin Tortu, Krimmeri en alsacien, les retraités des quartiers de la Meinau et de Neudorf jouent hors club, entre passionnés. Bien équipés, ils récupèrent leurs boules à l’aide de ramasseurs magnétiques. Ils se placent au centre d’un cerceau jaune, pointent tour à tour sous le regard attentif de leurs adversaires et se taquinent à mesure que la boule se rapproche du cochonnet. Deux cents mètres plus loin, les aires de jeux, elles, sont tristement vides. En ce mois de novembre, aucun enfant n’a eu le cœur à glisser le long des toboggans ou à se balancer sur les jeux à ressort.
 

Aux alentours de 18 h, un autre groupe prend possession du parc à peine éclairé et entame sa balade quotidienne. Une dizaine de personnes, en baskets et parka, se saluent et détachent leur animal. Les chiens se défoulent, s'ébrouent, reviennent vers leur maître avant de courir chercher leur jouet. Les colliers bleus, jaunes et orange s’éclairent dans la pénombre.

La fanzone est censée servir les intérêts des supporters du Racing aussi bien que ceux des habitants des Villas. Théâtre de la ferveur procurée par les Bleu et Blanc les jours de match, elle doit se muer en lieu de vie la semaine.

Un espace ouvert sur les Villas

"La fanzone va permettre de donner une autre dynamique au quartier, explique Owusu Tufuor, adjoint au maire en charge du sport. Ce sera un lieu fermé seulement lors des matchs et traversant le reste du temps."

Symbole d’un périmètre en pleine restructuration, la fanzone se veut comme le point de rendez-vous de la partie nord des Villas. 

Un entre-soi qui coûte cher

Mais ce refuge a un prix. Les villas sont généralement estimées entre 700 000 et 1 million d’euros.  Au bas de la fourchette, on trouve une maison de 250 m² en vente à 787 500 euros rue Dietterlin, au cœur du quartier des Villas. À quelques rues de là, les porte-monnaies plus larges peuvent quant à eux s’offrir une villa des années 1960 à 1 099 000 euros : onze pièces, dont sept chambres, pour une surface totale de 388 m². Sans prétendre au grand luxe, le quartier maintient tout de même un standing bourgeois.

© Fanny Lardillier et Lounès Aberkane

Place Jean-Macé, deux rangées de maisons mitoyennes s'observent. Les façades colorées et les arbres centraux lui donnent un air de "place de village". Le coin est silencieux. Deux stations de tram – Lycée-Couffignal au nord et Emile-Mathis au sud,  sur les lignes A et E – et quatre arrêts de bus entourent la zone résidentielle, sans jamais la traverser. "Un refuge", résume un agent immobilier de la société Espaces atypiques.

"La bidirectionnelle, c’est chouette, mais si elle n’existe que d’un côté, c’est pas forcément pratique. Il y a un véritable enjeu de traversée", précise Somhack Limphakdy.

Pour prévenir les conflits entre usagers aux carrefours, l’association Strasbourg à vélo réclame deux pistes unidirectionnelles, une dans chaque sens de circulation. "L’objectif n’est pas de punir les automobilistes mais de permettre aux personnes les plus exposées de pouvoir traverser un carrefour en toute sécurité", complète Ronald Baillot, un autre membre du collectif.

La suppression totale des places de parking côté est pose aussi question. "Il risque d’y avoir des véhicules qui se garent sur la piste", s’inquiète le détenteur du compte J’trace à Stras. Le danger serait de passer à côté de l’objectif visé. "Il faut vraiment, à mon sens, favoriser les usagers les plus exposés. La vie importe plus que nos contraintes respectives", avance Ronald Baillot.

Élodie Niclass et Léa Oudoire

À la Meinau, le quartier des Villas fait figure d’exception. Dans ce petit havre de paix de 0,5 km², les bâtisses sont cossues, spacieuses, avec jardin particulier et garage. Rien à voir avec les immeubles modernes de l’avenue de Colmar, qui borde l’est du quartier. Encore moins avec les barres de la cité de la Canardière, au sud. Ici, les habitants profitent de l’atmosphère "paisible", "sereine", un peu "vide" aussi, des Villas. Pierre Eber, un anesthésiste de 58 ans, y promène quotidiennement son chien Tokyo, qui s’amuse dans les hautes herbes. "L’avantage, c’est qu’on est en ville sans y être", explique Brigitte Thiry, une retraitée de la rue du Rhin-Tortu. Presque un bout de campagne en plein Strasbourg.

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