De l’autre côté de la rue du Général-Offenstein, le Rhin Tortu continue de s’écouler, entraînant poules d’eau et ragondins. Anne Muller, une quadragénaire de Neudorf, marche d’un pas rapide. Le maximum qu’elle s’autorise avec sa grippe du jour.
Mais les promoteurs immobiliers ne sont jamais loin, à l'affût du moindre terrain constructible. Francis Fischer fait barrière. Hors de question de leur céder des ventes. "C’est le seul quartier résidentiel de Strasbourg où vous n’aurez jamais un immeuble dans votre cour", observe le connaisseur, qui s’est donné pour mission de garder les Villas dans leur jus.
Louisa Chausse-Dumont et Sylia Lefevre
Justement, ce qui leur plaît, c’est la boxe. Depuis plusieurs années, le cours du mardi soir du CSC connaît un engouement particulier. La rentrée de septembre a connu un vrai boom avec une fréquentation de 70 à 80 participants, contre une trentaine précédemment. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine à s’entraîner régulièrement. Les filles notamment s’approprient ce sport traditionnellement plus masculin. Elles représentent la moitié des effectifs au CSC. Une hausse qui se retrouve à l’échelle nationale : selon la Fédération française de boxe, le nombre de boxeuses licenciées a doublé, passant de 8 400 à 17 000 depuis 2012. Quelques rues plus loin, Ness, la vingtaine, s’entraîne au Cercle Fitness trois soirs par semaine. Ce jeudi soir, après une série d’étirements, elle raconte que la boxe lui permet de travailler son cardio, plus que d’autres sports. "Mais quand tu es une fille, les garçons sont plus délicats avec toi. Pourtant, je leur dis : 'Tu peux y aller !'”, lance-t-elle, bravache.
Une offre financièrement accessible
La municipalité en place depuis 2020 a revalorisé l’aide aux licences sportives, passant de 50 à 80 euros. "Notre politique, c’est de permettre à tout un chacun d’avoir des activités sportives. Il ne faut pas que l’argent soit un frein pour les pratiquer", affirme l’élu du quartier Abdelkarim Ramdane. Mais cette aide n’est pas applicable au cours de boxe du CSC, car celui-ci ne nécessite pas d’être affilié à la fédération de boxe. L’inscription annuelle au CSC coûte en théorie 70 euros, mais de nombreux enfants et jeunes du quartier participent au cours sans adhésion. Hamed Ouanoufi le reconnaît, il ferme parfois les yeux : "On sait pertinemment qu’il y a des familles qui sont en difficulté au niveau financier et qui n’ont pas les moyens de payer. Tu fais la part des choses quand tu sais qu’un gamin n’a pas les sous… Tu ne vas pas le priver d’une activité." Pour la rentrée 2023, seuls trente-six ont payé leur cotisation. Un chiffre pourtant en augmentation : ils n’étaient que 16 inscrits en 2021, contre sept en 2022.
Marie Starecki et Lison Zimmer
La sauvegarde des Villas comme mot d'ordre
Avec Francis Fischer, les villas partent en moins de trois mois, et les gens le savent. Déjà en 1997, Brigitte Thiry, une retraitée du quartier, avait fait appel à lui pour acheter une maison rue du Rhin-Tortu : "En général, tout le monde passe par lui." "Dans le quartier, il y a très peu de biens qui m’échappent ! Ici, rue du Général-Offenstein, en trente ans, j’ai vendu près de 25 maisons sur les 50", s’enorgueillit le "faux retraité". Un monopole qu’il conserve depuis plus de vingt ans.
Influence des églises évangéliques en fonction de leur nombre moyen de fidèles (chiffres transmis par les pasteurs).
* Les membres de cette église n'ont pas souhaité répondre à nos sollicitations
compte bien y rester malgré ses difficultés à entretenir la grande maison construite par ses parents en 1958 : "C’est un quartier idéal. Mais maintenant, j’en ai assez, c’est trop de travail." Elle et sa sœur ont trouvé la solution : vendre et emménager ensemble dans un appartement route de la Meinau dont elles sont déjà propriétaires. Aux Villas, on y grandit et on y reste. Né rue Gambs, Pierre Eber a racheté la maison de ses voisins d’enfance. "L'Alsacien, une fois qu’il est enraciné, il se déracine rarement", plaisante-t-il.
"On trouve peu de pavillons à Strasbourg, donc les quartiers avec maisons individuelles sont très courus. Il y a aussi un effet de renouvellement générationnel. Des personnes âgées sont amenées à quitter leur logement, quand il est trop grand ou mal fait", explique Eric Chenderowsky, directeur de l’urbanisme à l’Eurométropole. Cela devrait durer une quinzaine d'années, estime-t-il, car "là, ce sont plutôt les boomers des années 1960 qui partent".
Geneviève Richter, 70 ans, a passé toute sa vie aux Villas et
Loin des appartements étroits qu’abrite la Canardière, les habitants des Villas profitent de vastes espaces verts privés. Pour les potentiels acquéreurs, "les jardins, ce n’est pas important, c’est capital ! Il faut que le terrain soit piscinable", explique Francis Fischer. La possibilité de cultiver son potager représente également un atout majeur. "J’avais envie de jardiner", résume Émilie Huard, 26 ans, arrivée début 2022 aux Villas. Des bottes en caoutchouc aux pieds et un râteau à la main, elle détaille gaiement ses projets de permaculture pour le printemps prochain.