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Ces réussites ne sont que partielles : sur les 347 000 oiseaux comptés en 1967 dans la réserve, seuls 10 000 restaient en 2023. Les habitants du village adjacent, qui vivaient autrefois des ressources fournies par la zone humide, ne peuvent que se souvenir de l’abondance passée. 

« Je pouvais nager au milieu des poissons, pêcher dans les bassins, raconte Omar Shoshan, né à Azraq et ancien responsable de la réserve. Il y avait un lac pour les filles, un pour les nageurs professionnels… Nous connaissions le nom de chaque buffle d’eau et cheval sauvage. Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre d’espèces qui vivaient là-bas. » 

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Dans son restaurant, la cheffe Maria Haddad emploie des femmes venues d'ailleurs, d'où un mix bienvenu en cuisine. © Azilis Briend

Sauvé de justesse de l’extinction au début des années 2000, l’Aphanius sirhani, ou killifish d’Azraq, s’épanouit aussi dans les eaux claires de l’oasis. Ce petit poisson rayé « est une espèce endémique d’Azraq, il n’existe qu’ici et est devenu un symbole dans le pays », précise Tamir Akili.

« Ce n’est pas éthique d’utiliser de l’eau potable pour remplir l’oasis »

Un écosystème qui tient à un fil

Si la biodiversité est de retour dans l’oasis, dont 10 % de la surface a été restaurée, cela s’est fait au prix fort. En déambulant sur les passerelles en bois qui sillonnent la zone, d’épais tuyaux en plastique, à peine dissimulés par les herbes, attirent le regard. L’eau qui en coule depuis 1994 est elle aussi pompée depuis la nappe par le ministère de l’Eau et de l’Irrigation. Celui-ci accorde 1,5 à 2,5 millions de m3 d’eau annuels à la réserve, gérée par la Société royale pour la conservation de la nature (RSCN). Mais, surexploitée, la nappe fournit moins de la moitié de la quantité d’eau prévue dans le contrat.

La nappe phréatique sous-jacente, si large qu’elle déborde sur la Syrie et l’Arabie saoudite voisines, a cessé d’abreuver l’oasis en 1993. Au fil des années de pompage intensif pour alimenter les villes d’Amman, d’Irbid, de Zarqa et les fermes d’Azraq, l’immense bassin souterrain n’a cessé de diminuer.

En 1965, quatre millions de m3 d’eau étaient extraits. Aujourd’hui, entre 50 et 60 millions de m3 seraient puisés chaque année, même si les sources sont discordantes : le ministère de l’Eau et de l’Irrigation affirme n’en pomper que 40 millions par an.

La nappe, elle, ne se recharge que de 25 millions de m3 – principalement en Syrie – et souffre du réchauffement climatique. Au premier plan de cette consommation, l’agriculture, responsable de nombreux puits illégaux qui siphonnent toujours plus la nappe et font augmenter la salinité des sols.

Dans son restaurant familial Beit Sitti, à Amman, la cheffe jordanienne Maria Haddad propose des cours de cuisine traditionnelle et promeut l’emploi des femmes. Dans cette école du fourneau, les langues et les cultures gastoronomiques se mélangent.

Santé mentale : « J’ai un patient qui n’allait même plus faire ses courses »

La guerre à Gaza a mis un gros coup au moral des Jordaniens. Le psychologue Moh’d Shoqeirat, membre de l’association des psychologues de Jordanie, raconte les conséquences du conflit sur la santé mentale de la population.

Quels symptômes avez-vous vu apparaître chez vos patients ?

Moh’d Shoqeirat : Ce qu’il s’est passé après le 7 octobre a lourdement affecté la santé mentale des Jordaniens. La hotline de l’association a été saturée d’appels. D’un coup, nous avons été confrontés à beaucoup de patients avec des problèmes de sommeil, d’alimentation et de socialisation. J’ai un patient qui a recommencé à fumer, qui n’allait plus faire ses courses : il était branché toute la journée sur les informations. Il y en a aussi qui annulent des événements car ils se sentent coupables de célébrer alors que leurs proches vivent une guerre.

Quelles sont les pathologies les plus récurrentes et comment s’expliquent-elles ?

Moh’d Shoqeirat : Le trouble le plus fréquent et le plus caractéristique est le stress post-traumatique. C’est l’effet d’un choc après un événement traumatisant. En Jordanie, ce choc est renforcé par un sentiment d’impuissance. Certains patients sont prêts à partir à la guerre mais ne le peuvent pas. C’est très difficile de raisonner ce type de comportement.

Des symptômes d’anxiété se développent aussi dans cette période de forte incertitude. Comme pendant la période du Covid-19, les gens ne savent pas ce qu'il se passe, ils n’arrivent plus à se projeter.

Qui sont les personnes les plus affectées ?

Moh’d Shoqeirat : Parmi mes patients, ceux qui ont de la famille ou des amis à Gaza ont été les plus affectés. Ceux qui ne sont pas au cœur des événements sont aussi touchés, mais pour beaucoup par le biais des informations relayées par les médias. Et ça touche même des personnes en dehors du Moyen-Orient. Même si elles ne sont pas directement concernées, leur santé mentale est affectée.

Propos recueillis par Julie Lescarmontier

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Pour la mère et la fille, la Jordanie est comme leur maison. © Johanna Mohr

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Pour la mère et la fille, la Jordanie est comme leur maison. © Johanna Mohr

Déployant ses larges ailes argentées, un héron prend son envol. Il se pose élégamment quelques mètres plus loin, dans l’herbe verte au bord du bassin d’eau douce. Sous un soleil de plomb, le chant des oiseaux se mêle à celui du vent dans les roseaux. Difficile de croire qu’autour, le désert aride de l’est jordanien s’étend à perte de vue. À 100 kilomètres d’Amman, la réserve humide d’Azraq est un havre de paix pour les 350 espèces d’oiseaux qui y vivent ou s’y arrêtent dans leur migration. Trente ans plus tôt, pourtant, tout était sec : les bassins évaporés, la terre craquelée, les animaux, plantes et insectes, éclipsés. Des milliers d’oiseaux migrateurs dépendent cependant de l’oasis jordanienne, à l’intersection de trois continents.

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