Depuis 2002, Pascale Andréani définit à Paris les grandes lignes de la politique européenne de la France. A 51 ans, elle est à la tête du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et conseiller auprès du Premier ministre pour les affaires européennes. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, un DEA de droit communautaire en poche, cette diplomate commence sa carrière en 1982 comme secrétaire des affaires étrangères à New York, à la mission permanente de la France auprès des Nations-Unies. Après quatre ans au service de la coopération économique du ministère des Affaires étrangères, elle devient en 1988 conseiller des affaires étrangères, avant de retourner un an à la direction des affaires économiques. C’est en 1990 qu’elle entre pour la première fois au Secrétariat général du comité interministériel pour la coopération économique européenne (SGCI, ex-SGAE), en tant que secrétaire générale adjointe. Une fonction qu’elle cumule avec le poste de secrétaire générale de la mission interministérielle pour l'Europe centrale et orientale.
Madame Europe de Jacques Chirac
De 1993 à 1997, elle accède à la sphère politique en devenant directeur de cabinet d'Alain Lamassoure, alors ministre délégué aux Affaires européennes puis au Budget, et porte-parole du Gouvernement. Puis elle passe deux ans à l’Elysée comme chargée des affaires européennes de Jacques Chirac. Durant l’année1999, Pascale Andréani devient ministre-conseiller à l'ambassade de France en Grande-Bretagne. Enfin, entre 2000 et 2002, avant sa nomination au SGCI, elle occupe au ministère des Affaires étrangères le poste de directeur de la coopération européenne. Au nom de Dominique de Villepin, c’est elle qui, entre 2002 et 2004, représente le gouvernement français à la Convention puis à la Conférence intergouvernementale préparant une constitution pour l’Europe. Après 25 ans d’un parcours sans faute, elle pourrait prétendre aux postes les plus convoités du ministère des Affaires étrangères : une ambassade de premier plan, par exemple.
25 juin 1948 : Robert Schuman crée le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Celui-ci doit assurer la coordination entre les administrations pour gérer les fonds du plan Marshall.
3 septembre 1952 : Le comité interministériel fixe la position française au Conseil des ministres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Le SGCI, dont le secrétaire général est issu du ministère des Finances, prépare ses délibérations et veille à leur exécution.
10 juillet 1954 : Pierre Mendès-France, président du Conseil, délègue au ministère des Finances ses attributions pour les affaires et les services relevant du SGCI.
1957 : Le Traité de Rome conduit le SGCI à élaborer les positions de la France sur les questions communautaires et à coordonner les institutions publiques françaises avec les institutions européennes.
1958 : Le général de Gaulle fait du SGCI une administration d’état-major assurant l’interface entre le politique et l’administratif. Il espère ainsi éviter la concentration du pouvoir à Bruxelles.
20 septembre 1977 : Raymond Barre met fin au monopole du ministère des Finances sur le poste de Secrétaire général du SGCI. Ce dernier est désormais nommé par décret du Conseil des ministres.
18 octobre 2005 : Dominique de Villepin rebaptise le SGCI, qui devient le Secrétariat général des affaires européennes. Celui-ci assure le secrétariat du Comité interministériel sur l’Europe, présidé par le Premier ministre.
A l’angle du boulevard Diderot et du quai de la Rapée, à Paris, se dresse un bâtiment dans le style Art déco, l’antre du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). C’est là que quelque 120 fonctionnaires triés sur le volet, répartis sur sept étages dans une vingtaine de secteurs, préparent la position de l'exécutif français au Conseil de l’Union européenne. 80 personnes les assistent. Tout échange avec Bruxelles doit passer entre leurs mains, hormis la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), gérée par le Quai d’Orsay. Au sixième, le bureau de la Secrétaire générale, Pascale Andréani, n’est pas souvent occupé. Sa fonction de conseiller aux affaires européennes auprès de Dominique de Villepin la retient à Matignon une grande partie de la semaine. C’est ce qui donne une légitimité politique au travail du SGAE, un service administratif rattaché au Premier ministre. Trois secrétaires généraux adjoints, Nicolas Quillet, Serge Guillon et Raymond Cointe, les « SGA » comme on les surnomme dans les bureaux, font tourner la maison au quotidien.
Des réunions par visioconférence
Sous leur autorité, les chefs de secteur et leurs adjoints coordonnent et hiérarchisent les positions des ministères, pour que le gouvernement français parle d’une seule voix tout au long des négociations avec ses partenaires européens sur les propositions de la Commission. Deux principes les guident : exhaustivité — formuler une position dans tous les domaines — et anticipation — réfléchir le plus tôt possible sur les sujets à venir. Pour remplir cette mission sur les sujets consensuels il peut suffire de quelques courriels. Mais l’instrument de prédilection, ce sont les réunions interministérielles. Ils en ont organisé 1113 dans les dix premiers mois de cette année. Elles se tiennent dans l’une des salles équipées pour des visioconférences, la grande au 1er étage avec deux écrans, ou la petite au 4e. Grâce à cet outil, la Représentation permanente, chargée à Bruxelles de négocier en appliquant les instructions du SGAE, a assisté à 539 réunions interministérielles. 95% des arbitrages se concluent ici. Si l’accord n’est pas trouvé à ce niveau, notamment pour les sujets politiquement sensibles, le cabinet du Premier ministre tranche, après une nouvelle réunion, à Matignon. Parallèlement, le secteur Parlement, après tri du Conseil d’Etat, et par l'intermédiaire du Secrétariat général du gouvernement, transmet pour avis à l’Assemblée nationale et au Sénat les propositions de la Commission qui relèvent du domaine de la loi. Pour les aider, le SGAE réclame aux ministères des fiches d’impact, qui décrivent les implications potentielles d’un texte européen sur le droit français. Un processus qui ne fonctionne pas aussi bien que les parlementaires le souhaiteraient : d’après le rapport Philip de juillet 2006, sur 34 propositions de directives transmises entre le 1er juillet 2005 et le 1er juin 2006, 23 seulement ont été complétées par une fiche d’impact.
Communiquer pour s'informer
Une fois les directives et règlements européens adoptés, le SGAE veille à leur transposition, et à leur exécution administrative. Un exercice où la France n’excelle pas. Mais depuis quelques mois, le conseiller juridique, Jean-Philippe Mochon, dresse un tableau de suivi des transpositions en droit français, avant chaque Comité interministériel sur l’Europe. La pression politique semble efficace. En décembre, le pays devrait selon le conseiller juridique franchir la barre de 98,5% de directives transposées, l’objectif fixé par la Commission. Toutes ces missions amènent les conseillers du SGAE, les yeux rivés sur leurs écrans et l’oreille collée au téléphone, à beaucoup communiquer entre eux mais aussi avec les directions générales des ministères, les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles, et parfois les délégations de l'Union européenne du parlement français ou même la Cour de justice des communautés européennes. Le fruit de leurs échanges est conservé au deuxième étage, le centre de documentation, où dix-sept personnes répondent aux questions des fonctionnaires. Chaque année, ce centre reçoit 100 000 documents venant du Conseil, de la Commission, des ministères, de la Représentation permanente, etc. Des étagères remplies de dossiers s’emboîtent les unes derrière les autres. Au bout d’une dizaine d’années, ils sont rangés dans des cartons. Direction : les Archives nationales.
Jeanne Cavelier
SGAE
2, boulevard Diderot, Paris 12e
Créé le 25 juin 1948 sous le nom de Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne(SGCI) et rebaptisé Secrétariat général des affaires européennes le 18 octobre 2005.
Effectif : environ 200 fonctionnaires
Quinze ans de bataille judiciaire, et la France sort enfin la tête de l’eau. Le contentieux avec la Commission européenne sur les « merluchons », qui lui a coûté près de 78 millions d’euros, ne fera plus de remous. Ainsi en a décidé la Commission : elle a mis fin, jeudi 23 novembre, à l’astreinte semestrielle qui pesait sur notre pays depuis le 12 juillet 2005. Ce qui a déclenché la tempête : la pêche de jeunes merlus n’ayant pas encore participé à la reproduction de leur espèce, notamment au large des côtes bretonnes et de l’Atlantique nord-est.
Au début des années 80, les experts de la Commission envoient des signaux. Si rien n’est fait, la pêche à outrance des poissons dits « sous taille » risque d’entraîner l’extinction de plusieurs espèces. La protection des ressources halieutiques est érigée en intérêt général de la Communauté européenne. En tant qu’Etat membre, la France participe aux négociations qui aboutissent en 1982 au vote d’un règlement sur le contrôle des pêches.
Mais face à la mer, l'exécutif s’enlise. Les circulaires de mise en conformité tardent. Les irrégularités se multiplient sur le terrain. La faiblesse des contrôles et le laxisme en matière de sanctions aux pêcheurs fraudeurs perdurent et les merluchons continuent d’être présents sur les étals des poissonneries. Le gouvernement hésite. Entre le sort des poissons et celui des pêcheurs, son cœur balance. Malgré un premier arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) en 1991, les problèmes persistent. Les rapports des inspecteurs de la Commission font des vagues : insuffisance des contrôles sur la taille des mailles des filets, sur les poissons pris « par hasard » dans les filets des pêcheurs, sur la vente de poissons « sous-taille » et manquements à l’obligation de poursuite des infractions. La Commission a l’impression que la France la mène en bateau. Ses mises en demeures répétées restent lettres mortes.
Le 12 juillet 2005, la France touche le fond. La CJCE décide d’infliger au pays récalcitrant une sanction historique : 20 millions d’euros d’amende et 58,85 million d’astreinte, renouvelée tous les six mois jusqu’à mise en oeuvre de la réglementation européenne. C’est la première fois qu’un Etat écope d’une double sanction et avec une somme aussi lourde. Cinq ministères s’en partageront le paiement. Explications.
Jeanne Cavelier / Adelise Foucault
29 juin 1982 : Les stocks de poissons diminuent. Au Conseil pêche de l’Union Européenne, la France avalise un règlement qui limite sévèrement les captures autorisées, et s’engage, avec les autres Etats membres, à contrôler les activités de pêche: inspections, sanctions à l’égard des violations des règles, et enfin, contrôle efficace à terre, avec un registre des captures sur les bateaux de 10 mètres ou plus.
1982-1991 : La France traîne des pieds dans la mise en œuvre des clauses du règlement. La Commission multiplie les rappels à l’ordre, en vain. Finalement, elle porte l’affaire devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).
Juin 1991 : La CJCE condamne la France pour manquement à ses obligations. Ses pêcheurs persistent à capturer les jeunes poissons dits « sous taille » (moins de 27 centimètres), dont les petits merlus, sans sanctions véritables. Paris est sommé de prendre des mesures plus strictes de contrôles. Son attention doit notamment se porter sur le maillage minimal des filets, fixé à 80 mm. Le filet à mailles carrées doit être privilégié.
1991-1996 : Les inspecteurs de la Commission ne constatent aucun progrès sur les côtes françaises.
17 avril 1996 : Après une mise en demeure de respecter l’arrêt de la Cour resté lettre morte, la Commission émet un avis motivé.
6 juin 2000 : Certaines espèces, tel le merlu, s’épuisent de manière inquiétante. Nouveau signal d’alarme des experts : la Commission émet un second avis motivé.
Août 2002 : La Commission saisit une seconde fois la CJCE. Elle lui demande d’imposer à la France une astreinte journalière de 316 500 euros.
12 Juillet 2005 : La CJCE condamne la France à payer une somme forfaitaire de 20 millions d’euros doublée d’une astreinte de 57,8 millions d’euros renouvelable chaque semestre. Cette double sanction est une première historique. Inquiets, seize Etats membres ont soutenu la France face aux réquisitions de l’avocat général, jugées trop sévères. Et se sont élevés, en vain, contre le cumul des sanctions.
1er mars 2006 : Avec deux mois de retard, la Commission constate des progrès. Mais la France n’a pas encore pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt. Elle encaisse donc l’astreinte qui est versée au budget communautaire.
23 novembre 2006 : La Commission reconnaît les efforts réalisés et lève l’astreinte française. Pour elle, la France a indéniablement progressé sur : les manuels de procédure des services chargés des contrôles, le dispositif définissant le niveau de risque d’infractions aux règles selon les ports et les navires, le renforcement de la compétence des inspecteurs nationaux. Elle a modifié sa législation début 2006 et mis en place un système efficace de sanctions contre les contrevenants.
Mireille Thom explique comment entre mars et octobre 2006, la Commission a enquêté sur les filets de pêche.
Le 23 novembre dernier, la Commission a décidé que la France avait rempli ses obligations. Comment l’a-t-elle vérifié ?
Les Etats membres sont responsables de la mise en œuvre des directives… Pour le vérifier, nous disposons de ce que l’on appelle le “Petit inspectorat”. Il comptait environ 25 inspecteurs avant l’élargissement, peut être un peu plus aujourd’hui. Accompagnés d’inspecteurs nationaux, nos inspecteurs se déplacent sur le terrain, en mer et à la rencontre des pêcheurs. Ils peuvent soit annoncer leur arrivée, soit venir à l’improviste. Par ailleurs, l’envoi par les Etats membres de documents, sur l’évolution des contrôles, les modifications législatives, etc., permet de suivre l’application des mesures communautaires. Ces différentes informations servent de base à nos analyses.
La décision de la Commission quant à la levée de l’astreinte devait intervenir le 12 octobre dernier. Elle a été plusieurs fois reportée... Pourquoi ?
La rentrée a été relativement chargée. C’est pourquoi la Commission vient juste de se prononcer. Pas de doute donc sur la situation de la France. Elle aurait pu, comme il arrive parfois, demander un petit délai. Mais cela n’a pas été le cas.
La France n’est pas le seul pays à connaître des problèmes dans l’application de la réglementation européenne. Dans le domaine de la pêche, l’Espagne accuse aussi un certain retard. Pourquoi est-elle la première à être sanctionnée aussi durement?
La Communauté européenne est une communauté de droit. Et le droit ne peut être enfreint impunément. La situation de la France est un cas particulier. C’est un cas grave. Le premier arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) date de 1991. Depuis, la France a ignoré les différents avis de la Commission. Ayant épuisé les recours habituels, la Commission a donc décidé d’appliquer l’article 228, introduit par le traité de Maastricht : saisir une seconde fois la CJCE et faire condamner l’Etat récalcitrant à une amende forfaitaire et/ou une astreinte. La CJCE a décidé d’une condamnation plus lourde. L’Espagne, en matière de pêche, n’a pas atteint le stade de la France, pour le moment elle ne risque donc aucune sanction. Mais si les Etats membres ne respectent pas les mesures communautaires, ils savent désormais qu’ils s’exposent à une astreinte.
L’affaire « merluchons », encore douloureuse au sein des ministères, n’est déjà plus qu’un mauvais souvenir pour les contribuables français. Pourtant, sa conclusion heureuse mais tardive est un peu l’arbre qui cache la forêt. D’autres sanctions pendent au nez de la France, qui, malgré les efforts entrepris, peine toujours à mettre en œuvre sur le terrain la réglementation européenne. C’est le constat du rapport présenté le 10 mai dernier devant la commission des finances par Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin et membre de la délégation pour l’UE du Sénat, intitulé : « Changer de méthode ou payer : la France face au droit communautaire de l’environnement ».
Défaillance politique
En matière de contentieux, la France est l’un des mauvais élèves de l’Europe. L’environnement est un point noir. Selon le ministère de l’écologie, plus de 82 procédures préliminaires à une action en justice concernent directement ce secteur. Et une trentaine, d’après une note du Secrétariat général des affaires européennes du 11 janvier 2006, sont actuellement en cours à la CJCE et susceptibles de sanctions. Dans son rapport, Fabienne Keller envisage deux scénarii. Selon le plus pessimiste, l’addition pourrait s’élever à 1,2 milliard d’euros d’amende, sans compter les astreintes. « Ce serait un gâchis monétaire monstrueux, mais heureusement, ce scénario catastrophe ne se produira pas, assure Emmanuel Charil, l’assistant parlementaire de Mme Keller. La France fait beaucoup d’efforts pour mieux appliquer les mesures communautaires. »
Ces chiffres vertigineux révèlent cependant un vrai problème de méthode, notamment sur les questions environnementales. Et surtout, une énorme défaillance politique. « Les hommes politiques se sont longtemps désintéressés de ce qui se passait à Bruxelles, analyse Emmanuel Charil. Aujourd’hui, il y a une réelle prise de conscience de l’importance des questions européennes dans les différents ministères. Les groupes de travail se multiplient. Mais ils n’ont pas encore réussi à combler le fossé qui les sépare de l’Europe. »
Du côté des pêcheurs
Le règlement de 1982 ne l’avait pas prévu. Les merluchons cohabitent souvent avec les langoustines, dont la pêche, elle, est autorisée. « Dans les années 1980, les pêcheurs, notamment de langoustines, profitaient du fait que des merluchons étaient prisonniers dans leurs filets pour les revendre sur le marché », raconte un membre du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, qui fédère les syndicats de marins et d’armateurs. Les merlus “pointes bic” comme on les appelle en Bretagne - en référence à leur longueur, 15 cm - sont en effet très appréciés des consommateurs ibériques. Comment fait-on aujourd’hui pour que ne plus pêcher les petits merlus de moins de 27 cm, la taille minimale réglementaire dans l’Union européenne ? Après maints recherches et essais, l’innovation technique vient enfin à la rescousse de la réglementation communautaire. Le chalut à nappe séparatrice présenté ci-contre en fait partie, même s’il existe désormais des systèmes plus performants. Il exploite le comportement “passif” des langoustines... Contrairement aux petits merlus, celles-ci n’ont pas le réflexe de remonter pour s’échapper par l’ouverture pratiquée sur le haut du chalut. Libres, les merluchons pourront à leur tour participer à la reproduction de leur espèce.