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Hubert Haenel : «Pour un renforcement du contrôle collectif des parlements nationaux»

Hubert Haenel est président de la délégation pour l’Union européenne au Sénat. En octobre dernier, ce sénateur du Haut-Rhin a présenté un rapport d’information sur le thème « Justice et sécurité en Europe : comment progresser ». Il revient pour nous sur la marge de manœuvre dont dispose le Sénat dans le domaine de la Justice et des affaires intérieures (troisième pilier).

En quoi consiste votre travail ? Quelles sont les prérogatives de votre délégation ?
La délégation pour l’Union européenne est composée de trente-six membres, désignés de manière à représenter proportionnellement tous les groupes politiques du Sénat, tout en veillant à ce que chacune des six commissions permanentes ait des représentants au sein de la délégation. Je la préside depuis octobre 1999. Mon prédécesseur était Michel Barnier. Le fonctionnement de la délégation est semblable à celui d’une commission, mais sa mission est différente.
Depuis 1999, le Sénat dispose d’ailleurs d’une antenne administrative permanente à Bruxelles. Notre principale mission est l’examen systématique des projets de textes européens avant qu’ils ne soient adoptés par les institutions européennes. Sur les textes que nous estimons important, nous pouvons adopter des conclusions à l’intention du gouvernement ou déposer une proposition de résolution, afin que le Sénat puisse en débattre et se prononcer. La délégation procède aussi régulièrement à l’audition de responsables européens et nationaux, et étudie de manière approfondie certains sujets sur lesquels elle réalise des rapports d’information.
Mais ses attributions ne se limitent pas au niveau national. Ainsi, elle participe aux relations interparlementaires au sein de l’Union européenne, notamment dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui réunit, chaque semestre, des représentants du Parlement européen et des Parlements nationaux.
Enfin, en ma qualité de représentant du Sénat à la première Convention, puis à la Convention sur l’Avenir de l’Europe, j’ai participé à l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la rédaction du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Vous avez présenté, le 30 octobre dernier, un rapport d’information sur le thème « Justice et Sécurité en Europe : comment progresser ? », qui porte notamment sur les « clauses passerelles ». Ces questions devraient figurer à l’ordre du jour du prochain Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006. Que se passe-t-il en amont de cette réunion ? Comment préparez-vous cette échéance ?
Depuis l’échec du référendum français sur le traité constitutionnel en mai 2005, un débat est désormais organisé au Sénat comme à l’Assemblée nationale avant chaque Conseil européen et je m’en félicite. Cela permet à tous les groupes politiques d’exprimer leurs points de vue et de dialoguer avec le Gouvernement. Après chaque Conseil européen, la délégation entend le ministre des Affaires européennes, qui présente les principaux résultats.

En l’état actuel, quels contrôles exercent les parlements nationaux et le parlement européen sur les matières relevant du « troisième pilier » ?
La coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale relèvent du « troisième pilier », c’est-à-dire d’une logique intergouvernementale, par opposition à la méthode communautaire. Dans ces matières, le Parlement européen est simplement consulté et il joue, en pratique, un rôle limité. Chaque Parlement national s’efforce de contrôler l’action de son gouvernement au sein du Conseil. En ce qui concerne le Parlement français, ce contrôle s’exerce de la même manière pour le « troisième pilier », que pour le « pilier communautaire » ou le « deuxième pilier » (la politique étrangère et la défense).
Toutefois, le contrôle exercé par les parlements nationaux sur leurs gouvernements est fragmenté. C’est la raison pour laquelle je plaide depuis longtemps pour un renforcement du rôle collectif des parlements nationaux pour tout ce qui concerne le « troisième pilier ». En effet, il s’agit de questions sensibles qui concernent directement les droits individuels et sur lesquelles les Parlements nationaux disposent d’une légitimité particulière et d’une expertise reconnue.
Ainsi, j’ai proposé la création d’un comité au niveau européen, composé en particulier de parlementaires nationaux, mais aussi de parlementaires européens, qui serait chargé du suivi de l’office européen de police Europol et de l’évaluation de l’unité de coopération judiciaire Eurojust.

Dans quelle mesure le Parlement français et le Parlement européen participent-ils au suivi de l’espace Schengen ?
Le Sénat, et la délégation pour l’Union européenne en particulier, se sont préoccupés, depuis déjà de nombreuses années, des questions relatives à l’ « espace Schengen ». Ainsi, dès les années 1990, le Sénat avait institué une mission d’information sur ce sujet et, à mon initiative, un groupe de travail a été constitué au sein de la délégation pour suivre plus particulièrement ces questions.
La délégation a publié plusieurs rapports d’information sur l’espace Schengen. Récemment, deux rapporteurs ont été désignés en son sein pour suivre l’état de préparation des dix nouveaux États membres à leur adhésion à l’espace Schengen. Ces rapporteurs ont déjà effectué deux missions, en Pologne et à Malte, et ils devraient poursuivre leurs travaux dans d’autres pays.

Le Parlement français a-t-il été consulté sur le traité de Prüm ?
Le traité de Prüm a été signé en mai 2005 entre sept pays (Belgique, Allemagne, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche). Il vise principalement à renforcer la coopération policière transfrontalière et les échanges d’informations, notamment en matière de lutte contre les formes graves de criminalité transnationale et l’immigration illégale. Étant donné qu’il s’agit d’un traité international, élaboré en dehors du cadre de l’Union européenne, il devra faire l’objet d’une procédure de ratification parlementaire dans tous les États participants. En France, ce traité sera donc soumis à un débat et à un vote du Parlement conditionnant son approbation. Pour le moment, le gouvernement n’a pas donné d’indications en ce qui concerne la date de ratification de ce traité.

Le Sénat a-t-il été consulté au sujet de l’accord sur le transfert des données des passagers de vols aériens (données dites PNR) aux autorités américaines ? à quel moment ? Quelle a été sa position ?
C’est un dossier sur lequel la délégation pour l’Union européenne du Sénat a beaucoup travaillé. À la suite de l’annulation, par la Cour de justice en mai 2006, du précédent accord pour défaut de base juridique (comme l’avait d’ailleurs dénoncé à l’époque notre délégation), le Conseil et la Commission ont entamé des négociations avec les autorités américaines pour conclure un nouvel accord. Ces négociations ont été très difficiles car les autorités américaines souhaitaient revenir sur leurs engagements. Or, les compagnies aériennes européennes risquaient de lourdes sanctions, pouvant aller jusqu’au retrait de leurs droits d’atterrissage, si elles ne se conformaient pas aux exigences américaines de communiquer les données sur les passagers de vols aériens transatlantiques. Compte tenu de l’importance politique de ce sujet, le gouvernement a saisi à deux reprises les assemblées, lors des négociations, afin qu’elles puissent se prononcer avant l’adoption de cet accord. La délégation pour l’Union européenne du Sénat s’est donc prononcée à deux reprises, le 19 septembre, puis le 10 octobre 2006. Elle a adopté des conclusions dans lesquelles elle a exprimé ses préoccupations au sujet de la protection des données personnelles notamment au regard de la lettre des autorités américaines, qui introduit une certaine souplesse dans l’interprétation de leurs précédents engagements. Toutefois, ces engagements ont été confirmés et l’accord qui a été conclu n’est qu’un accord intérimaire, qui ne sera valable que jusqu’au 31 juillet 2007. À cet égard, la position de la délégation n’a pas été sans influence sur le contenu de cet accord. Ainsi, c’est grâce à l’intervention de notre délégation que des garanties supplémentaires ont été apportées en matière de protection des données personnelles et qu’une disposition prévoyant que la version anglaise ferait foi a été supprimée.

Le gouvernement français a décidé de ne pas soumettre cet accord à une procédure d’approbation parlementaire. Qu’en pensez-vous ?
Le Sénat, comme d’ailleurs l’Assemblée nationale, considère que de tels accords, qui touchent à des matières législatives et qui concernent directement les droits individuels, devraient faire l’objet d’une procédure de ratification ou d’approbation parlementaire. La délégation pour l’Union européenne a saisi à plusieurs reprises le gouvernement de cette question et elle continuera sans doute à le faire.

Adelise Foucault

 

Pierre Lequiller : «Des progrès énormes»

Pierre Lequiller, député UMP des Yvelines est président de la délégation pour l’Union européenne à l’Assemblée nationale. A ce titre, il participe deux fois par an à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui permet aux parlements nationaux d’adresser des « contributions » au Conseil, à la Commission et au Parlement européen. Il était à Helsinki les 20 et 21 novembre derniers pour la 36ème réunion de la COSAC.

Quel est l’intérêt de cette réunion des parlements nationaux ?
La COSAC est une réunion des commissions chargées de l’Europe dans les 25 parlements nationaux (même si en France nous l’appelons délégation) et de représentants du Parlement européen. Nous y discutons de tout. La COSAC a eu un rôle très important, début 2006, sous la présidence autrichienne. Ces réunions sont néanmoins un peu difficiles pour avancer car les décisions sont prises à l’unanimité.

Quelles ont été les conclusions de cette 36e COSAC ?
Nous avons pu constater la grande conquête que représente le développement du contrôle de subsidiarité et de proportionnalité par les parlements nationaux. Il s’agit pour nous de vérifier que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient que si son action peut-être plus efficace que celle des Etats membres. Cette année, la COSAC a lancé deux tests sur des textes proposés par la Commission. Lors de notre dernière réunion, nous avons discuté des conclusions de chaque parlement sur l’un de ces textes, portant sur le divorce. La plupart a estimé cette proposition conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Seuls la Chambre des députés et le Sénat tchèques, ainsi que le parlement néerlandais, ont émis un avis négatif à cet égard.

Dans le cadre de ces tests de subsidiarité, le parlement français doit rendre son avis d’ici décembre sur la proposition de la Commission sur l’achèvement intérieur des services postaux. Où en est l’Assemblée nationale de l’examen de ce texte ?
Nous l’avons examiné lors de la réunion de la délégation du 22 novembre. C’est le premier sur lequel nous émettons des réserves, notamment sur le principe de proportionnalité. Nous estimons que sur certains points proposés, l’action de la Communauté serait plus importante que nécessaire. Mais nous ne faisons aucune observation sur le fond. Cette démarche de contrôle suscite en effet une grande méfiance au parlement européen. Aussi ne faut-il pas utiliser la subsidiarité et la proportionnalité comme un prétexte pour rejeter un texte sur le fond, mais uniquement amener les parlementaires à signaler leurs éventuelles réserves à cet égard. La délégation a par ailleurs déjà été saisie de la proposition de directive postale par le gouvernement et elle aura donc la possibilité de l’examiner au fond et de manière plus détaillée dans les prochains mois.

Depuis septembre, la Commission saisit directement les parlements nationaux sans passer par le SGAE et le tamis du Conseil d’Etat. Ceux-ci peuvent là aussi se prononcer sur des questions de subsidiarité et de proportionnalité. Comment se passe cet examen ?
La COSAC a en effet obtenu de la Commission et de son Président, Barroso, l’engagement de transmettre directement les textes aux parlements nationaux pour qu’ils les étudient sous l’angle de la subsidiarité et de la proportionnalité. Nous recevons maintenant beaucoup de textes en plus. Ce qui nécessite de faire un tri. Il y en a que l’on ne regarde même pas car ils ne posent pas de problèmes. Pour les autres, nous nous sommes mis d’accord avec Jean-Louis Debré, le président de l’Assemblée nationale, pour que la délégation émette « des projets d’avis ». Ceux-ci seront ensuite transmis à la commission permanente compétente qui disposera d’un délai de trois semaines pour se prononcer. En cas de divergence entre la délégation et la commission, c’est le point de vue la Commission qui primera. Mais en général, la commission suit notre avis car c’est souvent le même rapporteur qui présente le texte.

Quel est le rôle des « rencontres parlementaires » entre le Parlement européen et des parlements nationaux ?
La présidence autrichienne a eu, là encore, beaucoup d’importance dans l’augmentation des pouvoirs des parlements nationaux, notamment Andreas Khol, l’ancien président du parlement autrichien. Il a notamment relancé l’idée de Congrès des parlements nationaux. Cette idée avait été initiée par Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élaboration du traité Constitutionnel, mais le Parlement européen y était opposé. Il s’agissait de réunir une fois par an, tous les parlements nationaux ainsi que les présidents de la Commission, du Parlement européen, le ministre de affaires étrangères et le président de l’Union, prévus par le traité. Ce congrès a effectivement eu lieu en mai, sans le ministre des affaires étrangères. Il a réuni Jose Manuel Barrosso, le président de la Commission, Josep Borell, le président du parlement européen et Wolfgang Schussel, le chancelier autrichien de l’époque, avec les parlements nationaux. Cette rencontre parlementaire sur le futur de l’Europe a été l’occasion d’évoquer plusieurs questions tels que les frontières de l’Europe, le budget et l’élargissement. Comme c’était la première du genre, elle n’a pas débouché sur des conclusions précises, d’autant plus que les avis étaient très divergents. Il y aura une réunion sur le même thème les 4 et 5 décembre prochains. Cette nouvelle initiative est une très bonne chose. Il faut continuer.

L’Assemblée nationale entretient-elle des relations particulières avec les eurodéputés ?
A chaque fois que nous faisons un rapport d’information, nous rencontrons le rapporteur du texte au Parlement européen. J’invite aussi, à toutes les réunions de la délégation, les eurodéputés qui souhaitent venir. Ils le peuvent rarement : ils ont les mêmes jours de travail que nous, les lundis, mardis et mercredis. Mais certains viennent quand même. Nous faisons aussi régulièrement des auditions de parlementaires européens. Alain Lamassoure est ainsi venu il y a peu. Mais c’est encore un domaine où il y a des progrès à faire.

Quelles seraient les solutions pour une meilleure implication des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen ?
Il est très important que les parlements nationaux soient associés au travail législatif européen. Nous avons fait des progrès énormes depuis quelques années. En France, nous avons placé l’Europe au cœur des débats. Il y a un débat avant chaque Conseil européen, et une fois par mois, la séance des questions au gouvernement commence par des questions sur l’Europe. Cette règle est presque toujours respectée. Nous avons aussi un bureau de représentants à Bruxelles. Mais il faut encore faire plus. L’objectif est que les députés parlent de l’Europe dans leur circonscription, qu’il y ait un relais sur le terrain. Les députés et les citoyens en sont encore trop éloignés. Si nous n’en parlons pas, les Français ne peuvent pas en tomber amoureux.

Emilie Defay

 

L’effet référendum

“Depuis l’échec du référendum du 29 mai 2005, il y a une volonté de mieux associer le Parlement aux affaires européennes, explique David Mahé, administrateur adjoint à la délégation du Sénat. On auditionne maintenant des ministres, en commun avec l’Assemblée nationale. Les derniers en date étaient Dominique Perben et Thierry Breton. Depuis un an, un débat est organisé avant chaque Conseil de l’UE, et l’on auditionne Mme Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, à l’issue de chaque Conseil européen.” Les deux délégations ont organisé environ cinq réunions communes depuis un an.

Les délégations pour l’Union Européenne du Parlement français

Créées en 1979
Délégation de l'Assemblée nationale : 33 rue Saint-Dominique, Paris 7e
Délégation du Sénat : 15 ter, rue Vaugirard, Paris 6e
Effectif : 36 membres et une dizaine de fonctionnaires chacune

Depuis le traité de Rome, le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne a été délibérement minoré. Leur pouvoir de décision dans un nombre croissant de matières relevant du domaine de la loi a été progressivement transféré à Bruxelles, d’abord au Conseil, puis de plus au Parlement européen.
Pourtant la faible marge de manoeuvre du Parlement français n’est pas intrinséquement liée aux traités européens. La Constitution française de 1958, soucieuse de mettre un terme au régime des partis, a elle aussi choisi, notamment par ses articles 34 et 37, de marginaliser le pouvoir législatif. En France, la voie réglementaire prédomine : des pans entiers de la formulation du droit, comme toutes ses modalités d’application, relèvent directement du privilège de l’exécutif. L’administration y règne sans partage.
En 1979 l’élection des eurodéputés au suffrage universel direct est, pour les parlementaires français, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pour défendre le reliquat de leurs prérogatives, une loi crée les délégations pour la Communauté européenne : une à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. Elles ont d’abord pour mission d’alerter les élus sur les menaces d’amoindrissement venues de Bruxelles. Pour autant que le gouvernement choisisse de les en informer....

Donner son avis

L’Acte Unique européen de 1986 marque un premier tournant. Le marché unique oblige à accélerer la cadence et à étendre les domaines des transpositions. Si la rédaction des projets de loi à cet effet restent le monopole de l’exécutif, de meilleures relations avec les élus nationaux s’imposent. Certains, parmi eux, prennent conscience que des changements majeurs se profilent. En 1990, les membres de chacune des délégations passent de 18 à 36. Elles obtiennent le droit d’auditionner - parfois - les ministres et de ...publier leurs rapports d’information. Mais, de fait, jusqu’au traité de Maastricht, le parlement national a représenté une contrainte marginale pour l’administration française. En 1992, à l'occasion de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité, la délégation voit enfin son rôle renforcé par l’ajout d’un article 88.4 dans la constitution. Désormais, le gouvernement est tenu de soumettre au Parlement tous les projets communautaires qui relèvent, en France, du domaine de la loi. Les délégations peuvent y réagir par des résolutions. Elles disposent d'un mois pour manifester leur volonté de suggérer des amendements. Leur prise en considération par le gouvernement est encouragée par un protocole annexé au traité. En 1999, avec l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle requise par le traité d’Amsterdam, le système d’information et de contrôle parlementaire gagne un peu de tonus. Le Parlement peut désormais se prononcer sur les projets d’acte de l’Union européenne et non plus seulement sur ceux des Communautés.

24 résolutions adoptées

Les deux délégations, investies par les assemblées respectives de traiter ces matières, font souvent un remarquable travail d’examen. Mais, pour intervenir en amont de la prise de décision européenne, seul moment où leur intervention est susceptible de peser, elles disposent de ressources humaines limitées. Aujourd’hui, les délégations du Sénat et de l’Assemblée nationale reçoivent et trient chaque année 3000 documents européens. L’immense majorité de ces documents ne donne lieu qu’à une note de synthèse de la dizaine de fonctionnaires que compte chaque délégation. Leur attention se concentre sur les quelques 250 projets transmis en vertu de l’article 88-4. Les parlementaires se saisisssent de 10% d’entre eux. Dans le meilleur des cas, ils donneront lieu à un projet de résolution. Car les délégations n’ont aucun aucun pouvoir législatif, et pas même le droit d’enquête. Elles se contentent d’adopter parfois des projets, que les Commissions permanentes peuvent choisir d’endosser. Ou non. En 2005, l’Assemblée nationale en a finalement adopté 15, et le Sénat 9. Au terme de ce parcours d’obstacles, le gouvernement n’a aucune obligation d’en tenir compte. Mais il s’en sert parfois, lorsqu’il est en difficulté au Conseil, pour conforter sa position.

Adelise Foucault

Pour aller plus loin : l'article 88.4 de la Constitution

"Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne. Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne. Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des affaires européennes."

 

Les points sur les i

Dans sa lettre interprétative du 11 octobre 2006, le ministre américain de la Sécurité intérieure dit clairement le peu de cas qu’il entend faire des garanties de protection demandées par l’Europe. Les Etats-Unis appliqueront l’accord PNR (Personal name record, accord sur les données passager) selon leurs besoins, transmettront les données à qui ils veulent, et ne s’interdisent pas d’en demander plus.

Emilie Defay

Libertés fondamentales: les parlements mis en touche

L’accord, signé en octobre dernier entre l’Union et les Etats-Unis, dans le cadre de la lutte antiterroriste, autorise les compagnies aériennes européennes à transmettre aux autorités américaines une liste de 34 données sur les passagers stockées dans leur système de réservation. Parmi ces informations : le nom, l’adresse mais aussi des informations comme les préférences alimentaires ou l’état de santé. Le gouvernement français est, avec son homologue grec, le seul à ne pas l’avoir fait ratifier par son Parlement.
En France, ce procédé a soulevé le mécontentement des parlementaires, privés de leur droit d’approbation. « Est-il normal et acceptable que des accords d'une telle importance, qui concernent des matières qui figurent au premier rang des compétences législatives et qui touchent directement aux droits des individus, ne fassent l'objet d'aucune approbation parlementaire, ni au niveau national, ni au niveau européen? Et comment justifier le fait que le Parlement français soit quasiment le seul, sur l'ensemble des parlements nationaux des vingt-cinq Etats membres de l'Union, à ne pas pouvoir se prononcer par un vote conditionnant l'approbation de tels accords ? », s’est insurgé Hubert Haenel, le président de la délégation pour l’Union européenne au Sénat.

Sacrifié pour plus d'efficacité

A l’origine de cette exception française : l’interprétation par le gouvernement d’un avis du Conseil d’Etat, saisi en 2003 à l’occasion de la signature d’un accord d’extradition et d’entraide entre l'Union et les Etats-Unis. A l’époque, la plus haute juridiction administrative française devait répondre à la question suivante, posée par le gouvernement : comment le Conseil de l’Union européenne peut-il conclure des engagements internationaux avec des Etats tiers? Objet de cet interrogation : les articles 24 et 38 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Ils permettent au Conseil de l’Union d'engager, puis de conclure, des accords avec des Etats tiers dans les matières relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, sans demander l'approbation du Parlement européen.
L'interrogation liminaire était alors de savoir si ces accords étaient conclus au nom de l’Union en tant que telle ou au nom des Etats membres. Le Conseil d’Etat avait tranché en faveur de la première solution. Son interprétation est désormais admise par tous : elle confère à l’Union une personnalité juridique dont les traités ne font pas mention. Restait à évaluer jusqu’à quel point les Etats membres avaient leur mot à dire, notamment sur les modalités d’association de leur parlement national. Le paragraphe 5 de l’article 24 du TUE les autorise à faire ratifier de tels accords si leurs règles constitutionnelles le préconisent.
Le Conseil d’Etat a estimé que pour rendre l’Union plus efficace, mieux valait considérer que ce n'était pas le cas. Le gouvernement a choisi de le suivre. C’est la troisième fois que cette interprétation de l’avis du Conseil d’Etat est utilisée. A chaque fois, le Parlement français a fait part au gouvernement de son désaccord. En vain pour l’instant. Une lettre envoyée en septembre dernier par Hubert Haenel au Premier ministre, lui demandant de s’expliquer sur cette lecture de l’article 24, est restée sans réponse.

Emilie Defay

Avis du Conseil d'Etat du 7 mai 2003
Dans son avis n° 368.976 du 7 mai 2003, le Conseil d'Etat estime que le Conseil de l’Union peut conclure des engagements internationaux avec des États tiers au nom de l'Union européenne. Il juge préférable en outre que le gouvernement ne donne pas à ratifier ce type d'accord au Parlement.  

 

Le Conseil d'Etat

Créé le 13 décembre 1799
Place du Palais Royal, Paris 1er arrondissement
Effectif : 322

A la fois conseil et juridiction, le Conseil d’Etat reçoit du Secrétariat général des affaires européennes tous les projets d’actes européens adressés au gouvernement français par la Commission européenne. Depuis 1993, il a sept jours pour identifier les textes ou parties de textes qui relèvent de la loi au sens de l’article 34 de la Constitution (environ 300 textes par an), et en expédier la liste au secrétariat général du gouvernement. Celui-ci les transmet immédiatement aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Par ce geste, les deux chambres sont automatiquement saisies.

Josselin Huchet

 

La représentation britannique : un service bien compris

La représentation britannique défend les intérêts de Londres auprès des eurodéputés. Sa mission : fournir des stratégies de lobbying aux ministères.

La Représentation permanente britannique (UKrep) auprès du Parlement européen se définit comme un « prestataire de services »: elle fournit un mode d'emploi du Parlement et de ses acteurs aux experts britanniques chargés de défendre la position nationale. « Nous élaborons des stratégies de lobbying auprès du Parlement pour nos fonctionnaires de Bruxelles et de Londres », explique un de ses membres. Cinq personnes travaillent à plein temps dans ce service qui dépend du Foreign Office, le ministère des affaires étrangères. Leur charge de travail s’est accrue avec la montée en puissance du Parlement européen ces dernières années. Quand Londres voit émerger un sujet important pour les intérêts britanniques dans le débat européen, la UKrep identifie les dix à vingt personnes qui comptent au sein du Parlement européen.Ce sont eux que la Représentation va cibler et tenter de sensibiliser au point de vue britannique. Rapporteurs, chefs de groupe, ou membres importants des commissions vont être approchés directement par les ministères. Peu importe leur nationalité. Les nouveaux membres de l'Union comme les Polonais sont des alliés de choix. « Nous travaillons autant avec les Britanniques qu’avec les autres », note un membre de la UKrep.

Les politiques parlent aux politiques

Dans la mesure du possible, les ministres eux-même se déplacent au Parlement pour faire valoir leur point de vue. Une habitude qui les distingue de leurs homologues français. « Les politiques aiment parler aux politiques, c'est pourquoi nous fournissons seulement des clés d'accès aux ministères. Depuis début 2006, les parlementaires ont reçu la visite d'une trentaine de ministres britanniques », se félicite la Représentation permanente. Le rapporteur fictif, membre d’une commission, est un gibier de choix. Issu de la tradition parlementaire britannnique il est chargé, lorsque le parti adverse est désigné pour rapporter au nom de sa commission, de rédiger des amendements alternatifs pour son parti. A Stasbourg, il est la cheville ouvrière du compromis entre les grands groupes politiques. Après la première lecture de la directive services, le député conservateur Malcom Harbour, investi rapporteur fictif par le PPE-DE, face à la rapporteure officielle Evelyne Gebhardt (PSE) a ainsi été particulièrement courtisé par son ministre du Travail. « La révision de la directive, soutenue par les travaillistes, était très critiquée par la presse conservatrice », explique son attachée parlementaire. Mais si les uns voulaient modifier la proposition Bolkestein, personne ne souhaitait la détruire totalement. Il fallait un compromis entre le PPE et les PSE. Et donc s’entendre au final sur des amendements qui, tout en permettant de libéraliser les services, « ne nuiraient pas aux intérêts britannniques ». Après accord sur une formulation de compromis, Malcom Harbour a donc été chargé de convaincre les eurodéputés britannniques de son groupe de s’y rallier. « Nous ne défendions pas le gouvernement de Tony Blair, souligne l’attachée parlementaire, nous plaidions seulement pour le consensus ».

Main dans la main avec les lobbies

L’influence britannique s’exerce également au jour le jour par les « briefings », équivalents des notes françaises présentant les intérêts nationaux en jeu dans les textes examinés. « Ce sont les fonctionnaires ministériels qui sont chargés de les rédiger, explique-t-on à la représentation permanente britannique. Quand un fonctionnaire est chargé d’un dossier, il doit le suivre tout au long du processus de décision européen. » La Représentation permanente britannique est aussi réputée pour travailler main dans la main avec les lobbys sectoriels. Un membre du SGAE décrit les fonctionnaires britanniques accompagnant les lobbyistes jusque dans les bureaux des eurodéputés. Inimaginable pour des Français ! « Ce n'est pas dans nos habitudes, commente-t-on à la UKrep. Mais il nous arrive de faire se rencontrer eurodéputés, fonctionnaires et lobbyistes, par exemple, avec des ONG en ce qui concerne le changement climatique ».

Josselin Huchet / Guillaume Guichard

 

  • Michelle O’Neil, lobbyiste, Honeywell Europe: «Les délégués Français sont ouverts, mais ils ont des difficultés à utiliser l'anglais pour négocier. Et ce qui les préoccupe le plus, ce sont les dossiers concernant la France : la créations de nouveaux emplois chez eux, ou l’industrie.»
  • Joel Hasse Ferreira, eurodéputé, PSE, Portugal :« La délégation française est plutôt intéressée par les aspects emploi et affaires sociales. Ils sont plus présents pendant les réunions sur ce type de dossiers. Ils ont parfois des points de vue très intéressants. Mais les Anglais sont plus efficaces, ils ont une stratégie particulière. »
  • Dirk Sterckx, eurodéputé, ALDE, Belgique :« La France est un grand pays, ils ont une diplomatie très entraînée. Quand des dossiers les intéressent, ils viennent me voir. La représentation française est très forte en lobbying. Ils défendent leur position avec beaucoup d’énergie. Mais les Anglais sont les plus efficaces. Les Français viennent en tant que diplomates. Les Anglais viennent avec des spécialistes, des gens du terrain, qui connaissent bien les dossiers. Ils sont clairs dans leur communication et très actifs. Depuis toujours. »
  • Evelyne Gebhardt, eurodéputée, PSE, Allemagne :« Je ne fais pas de politique pour la France ou pour l’Allemagne, mais pour l’Europe. Il est très important de parler avec tous les représentations permanentes. Mais pour moi, les contacts les plus importants sont les personnes qui travaillent et dont les intérêts sont directement impliqués, les lobbyistes qui apportent leurs connaissances particulières de leurs métiers. »
  • Sebastian Marx, lobbyiste, COLIPA (The European Consmetic toiletry and perfumery association): « C’est toujours utile d’avoir des contacts avec des ministres, des représentants permanents, des fonctionnaires. Mais le plus pertinent c’est de leur parler face à face au Parlement, à Strasbourg ou à Bruxelles. Là, il n’y a pas de différence de nationalité, mais des différences de personnalité ».

Ekaterine Kipshidze

 

Des problèmes de communication

Si elles partagent un objectif commun, les trois composantes de la délégation française ne sont pas toujours parfaitement coordonnées. « Nous ne formons pas une entité, déplore un diplomate appartenant la délégation. Il peut y avoir des problèmes de communication entre la RP, le SGAE et les chargés ministériels. Parfois, nous nous marchons sur les pieds. Sur certains dossiers, nous n'allons pas voir tous les députés, sur d’autres, chaque composante va voir tout le monde. » De même, il n’est pas rare que des chargés de mission court-circuitent le SGAE en transmettant directement une proposition d’amendement à un député.
La délégation réalise un travail qui s’apparente à du « lobbying gouvernemental », selon l'un de ses membres. Lobbying noble, car il s'agit de défendre l'intérêt général, à mille mille -officiellement- de tout intérêt privé. Tradition républicaine oblige.

 

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