Après la machine à vapeur, l'électricité et l'automatisation de la production industrielle, une nouvelle révolution des méthodes est en marche : l'industrie 4.0 fait entrer les technologies du numérique, la réalité augmentée et l'intelligence artificielle à l'usine.
Tandis que Raphael Baumert essaie de résoudre le problème de son usine de méthanisation des déchets, les vaches ruminent tranquillement. Lorsque l’une d’elles ressent le besoin d’être traite, elle entre dans le box. Le robot se connecte avec le capteur individuel que chaque animal porte autour de sa cheville. Il sait donc toujours quelle vache se trouve dans le box et combien de lait elle donne en moyenne. Mais aussi quelle dose de fourrage concentré elle doit recevoir. L’ensilage tombe dans un récipient intégré au robot, pendant que la machine fait son travail. Le processus de traite est complètement automatisé et toutes les informations récoltées sont envoyées aux ordinateurs, dans le bureau des Baumert.
« Les deux premières années ont été l’enfer, avoue Karl-Philipp Baumert. Il a fallu un an pour que les vaches comprennent comment cela fonctionnait. Aujourd’hui encore, il faut parfois les pousser dans le box de traite. Pour nous aussi, ça a été un sacré changement. » D’un côté, plus de flexibilité et un travail moins pénible, de l’autre, une dépendance à la technologie dont les problèmes ne peuvent pas être toujours résolus rapidement. « Un jour, raconte-t-il, la foudre a coupé l’électricité et a endommagé le robot. Les vaches n’ont pas pu être traites pendant 17 heures. Les pièces de rechange et le mécanicien se trouvaient à une centaine de kilomètres. Il a fallu réinstaller l’ancienne machine pour soulager les vaches jusqu’à que le robot soit réparé. » Mais il n’y a pas de nostalgie dans les yeux de Karl-Philipp Baumert. « Avant, le travail était plus dur », se souvient-il.
Il faudrait un règlement au niveau européen. L’harmonisation de la protection des données qui sera appliquée à partir de mai 2018 est déjà un pas en avant. Mais on freine encore trop les jeunes entreprises : quand une start-up doit jongler entre les différentes lois du travail et les régulations d’hygiène et de sécurité de chaque pays, le marché européen perd en attractivité. On parle de 500 millions de consommateurs, plus qu´aux Etats-Unis, mais on n’a pas réussi à faire naître une seule entreprise dans les dix dernières années qui serait comparable avec les réussites américaines comme Uber, Airbnb ou Facebook.
Qu’est-ce qui explique la force des entreprises numériques américaines ?
Elles ont grandi sur le marché américain qui est très harmonisé. De très grandes entreprises se sont créées très vite. Avec tout leur pouvoir, elles arrivent sur le marché européen et ont assez de ressources pour s‘adapter. 52 % des services numériques utilisés en Union européenne sont américains. Cela devient une question géopolitique : avec les données collectées, ces entreprises génèrent des algorithmes et développent des stratégies d’intelligence artificielle. Google collabore avec le gouvernement américain pour améliorer les drones militaires. Si l’Europe veut moins s’appuyer sur les États-Unis, il faut qu’elle rattrape son retard.
Quel est l’avenir du numérique en Europe ?
Plusieurs acteurs trouvent que la Commission européenne ne va pas assez loin. Le marché du numérique fait des mises à jour importantes, mais cela ne suffit pas. Une idée pour réduire la fragmentation règlementaire serait de donner un statut spécial aux start-up le temps de leur lancement : en leur enlevant les obstacles réglementaires, elles grandiraient plus vite. Selon cette idée, elles pourraient travailler pendant quelques années sous les règlements de leur pays d’origine au lieu de s’adapter aux lois françaises par exemple, concernant le travail, l’hygiène ou la sécurité. Ce principe serait imaginable comme initiative franco-allemande, mais aussi avec d’autres États comme les pays du Benelux qui ont le même niveau en terme d’économie et de sécurité sociale. Le concept serait novateur mais je suis sceptique sur le fait que cette approche soit conforme au droit européen. Et tant que l’idée de la souveraineté étatique domine en Europe, un accord commun sur l’avenir numérique sera difficile à trouver.
Quelle est la situation du numérique en France et en Allemagne ?
Dans les deux pays, les discussions tournent autour des mêmes sujets, comme la numérisation de l’éducation et des services publics. Le gouvernement Macron a l’ambition de numériser la plupart des services : la CAF, les actes de naissances, les impôts... La France, pays centralisé, peut lancer des initiatives de manière plus efficace. Dans l’industrie numérisée par contre, autre axe important, c’est l’Allemagne qui est le leader mondial et « l’industrie du futur » à la française s’en inspire. Le premier enjeu reste l’installation de la fibre optique sur l’ensemble des deux territoires.
Les responsables politiques français et allemands parlent beaucoup de la numérisation, ils veulent se démarquer avec ce sujet opportun. Mais ils ne peuvent pas faire plus que moderniser l’administration et l’infrastructure car les décisions cruciales sont prises au niveau européen. La numérisation est une chance pour l’Union européenne : elle permet d’échanger des services numériques d’un pays à l’autre grâce aux applications et aux logiciels, comme Foodora (qui livre des repas à domicile, NDLR). C’est la stratégie du « marché unique du numérique ».
Quelles sont les conditions pour que les jeunes entreprises puissent profiter du marché unique du numérique ?
L’autonomisation des machines n’est pas sans conséquences sur le travail humain. « Il y a une hausse du niveau de qualification des ouvriers, et une baisse sur le volume d’opérateurs de production, admet Tristan Cenier, animateur d'innovation chez Schmidt. Mais les effectifs augmentent du côté dispositif produit et de la vente. » A PSA Mulhouse, la réduction de la pénibilité du travail humain, bien que mise en avant, ne fait pas l’unanimité parmi les employés : « Pour nous, cela s’est révélé être une aggravation de nos conditions de travail. Nous avons moins de déplacements car les pièces sont à portée de main. Mais cela va de pair avec une multiplication des gestes que l’on doit faire en plus, et une réduction des temps de repos. Ce n’est pas une image de dire que l’on n’arrête pas une seconde » déplore Julien Wostyn, secrétaire CGT à PSA Mulhouse, qui travaille sur la nouvelle ligne de production.
A partir de mai 2018, le nouveau règlement général relatif à la protection des données sera appliqué dans toute l’Union européenne. Mais pour profiter des opportunités du marché européen, il faut plus de règlements communs, selon Paul-Jasper Dittrich, chercheur sur l’évolution du numérique en Europe à l’Institut Jacques Delors. Entretien.