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© Enzo Dubesset

 

 

 

 

Toutes les anciennes maisons de la rue de La Rotonde ont disparu dans les années 1960, dont le n°5 qui n'était pas aligné. Après les travaux de démolition, achevés en 1972, d’autres maisons ont été reconstruites en respectant cette fois-ci le tracé de la rue. © Le fonds Georges Lorentz © Lucas Jacque

En juillet 1958, le projet des abattoirs de Cronenbourg est approuvé par le conseil municipal pour remplacer ceux de la rue de Molsheim, trop vétustes. Ils ouvrent le 4 novembre 1968 malgré quelques réticences dans le quartier. Dix ans de travaux et 47 millions de francs auront été nécessaires pour la construction du site. Les abattoirs sont considérés comme les plus importants de France et parmi les plus modernes d'Europe. Leur réputation dépasse le cadre national. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg, va jusqu'à comparer les à ceux de Chicago, référence mondiale dont s'inspire Cronenbourg.

Une tête de porc servie à l'inauguration

Le jour de l'inauguration officielle des abattoirs en 1969, un maître boucher-charcutier sert, sur un plateau, une tête de porc pour dénoncer les difficultés de fonctionnement de certains services. Les pannes récurrentes et la mauvaise conception des installations déprécient la valeur de la viande et rendent les abats invendables. La production chute dans les années 1980. En 1992, les normes hygiéniques des abattoirs sont durcies dans l'ensemble des pays de la Communauté économique européenne.

"On a eu une animatrice à l’Aquarium pendant cinq ans. Les filles étaient plus nombreuses à venir mais par manque de financement, on n’a pas pu renouveler son contrat, admet Mohamed Khettab. On essaye tout de même de motiver les filles à nous rejoindre en organisant des activités comme du fitness et de l’aérobic. Ponctuellement, nous recrutons également des animatrices."

Un lieu, deux univers

"Les filles vont à la danse en haut, en bas, c’est les garçons", explique un collégien en poussant la porte de la sortie. De l’extérieur, à travers la grande baie vitrée du premier étage, on peut apercevoir les danseurs et danseuses en pleine chorégraphie. "Il y a autant de filles que de garçons ici", dément Zeyneb, qui vient régulièrement avec ses amies. Dans cette salle de danse flanquée de deux larges miroirs, ni cours ni professeur : ici les jeunes s’expriment et échangent librement. Muni de son enceinte, chaque petit groupe de danseurs s’approprie un coin de la salle. Les musiques s’entremêlent, créant un brouhaha qui ne les empêche pas de se lancer dans une danse associant K-pop et popping. Ils ont fait de la salle leur petit royaume. Rares sont ceux qui vont au rez-de-chaussée, "On entre et on sort par la sortie de secours", confirme Rayan, le doigt pointé vers la porte menant à l’extérieur. Contrairement au rez-de-chaussée, les jeunes n’habitent pas que Cronenbourg. "Les danseurs viennent de partout, il y en a du centre-ville, de Lingolsheim, voire même d’Illkirch", indique-t-il entre deux pas de danse.

"Je te donne deux balles si tu le fais", glisse Karim à un collégien. "Bam, bam, bam !" Prenant au sérieux son rôle de messager, l'adolescent frappe à la porte de secours, interrompant la chorégraphie des filles. Il invite l'une des danseuses à venir voir Karim. Il retourne bredouille voir son aîné. La fille aux cheveux longs ne veut pas descendre.

Manal Fkihi et Romain Cazé

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Perette Ourisson, présidente de l'association Ballade, travaille de pair avec son conjoint Jean-Claude Chocjan. © Léa Giraudeau 

Accoudé au comptoir, Abdelkader Khellaf, un des cinq animateurs, surveille discrètement la cafèt’. Devant lui, les fauteuils et les sièges rouge pétant disséminés un peu partout dénotent avec le décor un peu sombre de la pièce. Seuls les éclats de rire et les discussions animées des jeunes apportent de la gaieté à cet espace pauvre en couleurs. Difficile de rater la boule à facettes au milieu de la pièce et les strobes suspendus au faux-plafond. "On loue la salle 20 euros pour les anniversaires", précise Mohamed Khettab. Sur la droite, se trouve le modeste cyber-centre où seulement quatre ordinateurs sont mis à disposition des usagers. "Je viens ici pour jouer aux jeux vidéo quand j’ai pas de devoirs", raconte Abdoulah, absorbé par une partie de Fortnite.

Ça s'en va et ça revient

Au gymnase, à côté de la cafèt', des jeunes occupent les deux tables de ping-pong. D’autres s’exercent au shoot sur le panier de basket. Après une brève partie de tennis de table, deux collégiens se précipitent dehors, pour revenir à peine quelques minutes plus tard. Les va-et-vient sont incessants. L’Aquarium est un lieu ouvert et gratuit où aucune inscription n’est demandée aux jeunes qui peuvent profiter des équipements en libre accès. "Dans d’autres structures, il y a plein de jeunes qui ont besoin d’être accompagnés mais qui n’osent pas y aller à cause du cadre trop formel. Ici, on a voulu simplifier les choses pour attirer le maximum de personnes", détaille Mohamed Khettab. Certaines activités restent néanmoins 

payantes : l’accès à la salle de musculation coûte 38 euros l’année ; pour la boxe, c’est 85 euros. 

"Elles savent qu’il ne faut pas venir"

Ce pari d’ouverture n’est pas gagné. L’Aquarium reste majoritairement fréquenté par les garçons de la cité. "Il n’y a jamais de filles de notre âge ici, elles savent qu’il ne faut pas venir", lance Karim, 17 ans, une fois la partie de baby-foot terminée. Le coordinateur explique cette absence par la pression que subissent les filles de la part de leur famille : à partir de l’adolescence, il serait mal vu qu’elles se mélangent aux garçons. "L’image et la réputation sont très importantes dans le quartier", regrette Mohamed Khettab. "On allait à l’Aquarium avant mais à un moment c’est devenu gênant de se retrouver seules parmi les garçons", témoignent deux lycéennes à l’arrêt de bus Arago.

Assises sur les fauteuils rouges devant la télé, Elise et Aylin, âgées de 11 ans, ont les yeux rivés sur un documentaire animalier. "C’est ma grande sœur qui me disait de ne pas venir à l’Aquarium car c’est pour les garçons. Une fois, je passais à côté avec mes copines et on a vu des filles à l’intérieur. Depuis, on vient souvent ici", raconte Aylin.

Si des collégiennes fréquentent l’Aquarium, elles restent largement minoritaires. Parmi les visiteurs, en moyenne une personne sur treize serait une fille, d’après les animateurs. Le manque de mixité dans la structure se constate également au niveau du personnel. À l’exception de Zoé, embauchée en novembre et chargée du développement du pôle famille, l’équipe est intégralement masculine. 

Aujourd’hui, les façades bétonnées, noircies par de multiples incendies, confèrent aux tours Kepler un aspect lugubre. Mais, "il y a 30 ans, c’était le luxe ici, s’exclame Sukran. Maintenant, on ne touche à rien. Les portes, on les pousse avec les bras". Cafards, humidité, poubelles abandonnées, trous au plafond, mégots de cigarettes qui jonchent le sol… Les habitants ont le sentiment qu’Ophéa abandonne leur tour alors qu’elle est encore habitée.

"Bouge, t’es trop nul". Dans la cafèt' au fond du couloir vient de s’achever une partie enflammée de baby-foot."Je prends la gagne", crie un nouvel arrivant aux jeunes joueurs absorbés par le match. "On vient à l’Aquarium parce qu’en ce moment il fait froid et puis on n’a rien à faire dans le quartier", raconte Chouaib, 17 ans, sans quitter la balle des yeux. L’Aquarium, une annexe du CSC Victor-Schoelcher, est implanté au cœur de la Cité nucléaire, à Cronenbourg. "Avant, il y avait un aquarium à l’entrée, ce qui a donné le surnom au lieu. Avec le temps, c’est resté", raconte Mohamed Khettab, responsable du secteur jeunes et coordinateur.

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© Juliette Fumey

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