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19h10, gare de Strasbourg. Pas un bruit, si ce n’est le répétitif message automatique "rouge piéton", piaillé au niveau des bandes blanches, et le ronronnement des moteurs de bus qui attendent leurs passagers. Un groupe de huit étudiants sort de la gare : ils ont entre 20 et 25 ans et rentrent du conservatoire de Colmar. Les trois derniers jours de la semaine, leurs cours de théâtre se finissent à 18 heures, d’où une arrivée tardive à Strasbourg. Ils ne se sont encore jamais fait contrôler après l’heure du couvre-feu et ne semblent pas s’en inquiéter. "On a une attestation", explique une des étudiantes. "Je l’ai jamais imprimée", lance un de ses camarades, sourire aux lèvres et cigarette à la main, provoquant les rires des autres jeunes.
19h04, rue de Stosswihr, non loin de là. "Il est en retard ça me soule". Charles, 29 ans, s’impatiente au pied de son immeuble. Il a commandé chinois mais n'a toujours pas de nouvelles de son repas, et encore moins de son livreur Uber Eats. Il est rejoint par sa concubine, Pauline. "Sur l’appli, ça met qu’il a déposé la commande dans le jardin”, informe-t-elle. "Putain !", s’emporte Charles. "On avait la flemme de préparer à manger mais si on avait su…J’ai la dalle ! ", souffle Pauline avant de ratisser la cour de l’immeuble à la recherche de l’offrande, sans succès. Charles décide, lui, d’explorer la rue pour trouver le livreur, peut-être égaré.
Ne le cherchez pas chez lui à Helsinki (Finlande), Ari Huusela n’est pas du genre casanier. Au civil, il est dans les airs : pilote de ligne sur les A350 de la compagnie Finnair. Il totalise à ce jour plus de 20 000 heures de vol à travers le globe. Le reste du temps, il est en mer, à la recherche des meilleurs réglages pour son voilier Stark. C’est avec ce dernier qu’il participe depuis trois mois et demi au Vendée Globe, tour du monde solitaire sans escales.
It's TIME The beard must GO‼️#vahvaamyötätuulta @VendeeGlobe @ImocaGS #VG2020 @VendeeGlobeENG pic.twitter.com/rbsQEXSHXS
— Ari Huusela (@arihuusela) February 5, 2021
18h55, à proximité du square Julius Leber, dans le Neudorf. Philippe sort du travail et promène son chien Gus. Les aboiements de l’animal sont incessants. L’homme, 52 ans, se justifie: “il n’y a aucune agressivité”, promet-il en tenant plus fermement la laisse. Depuis la crise sanitaire, il ressent une augmentation du stress chez son animal. “Nos angoisses se répercutent sur eux. Ils le ressentent et sont extrêmement nerveux.” Une voiture passe, Gustave reprend de plus belle.
18h40, Place des Tripiers, près du palais Rohan. “S’ils nous voient avec les bières, on est dans la merde”, concède Laure dans un sourire. Accompagnée de deux amies, Diane et Léa, l’étudiante en ostéopathie s’est offert un réconfort à emporter au bar The Dubliners. Et même munies d’une attestation les autorisant à être dehors après les cours, les trois femmes se savent trahies par leur breuvage en cas de contrôle. C’est toutefois leur première entorse à la règle, jurent-elles. “Normalement, on va chez des gens, explique Diane. C’est une façon de se faire plaisir”.
18h12, avenue Jean Jaurès, dans le Neudorf. "Sohan ! T’es cherché !" Chaque soir, la scène se répète. Michaela fait le pied de grue à la grille de l’école élémentaire de la Musau et appelle au compte-goutte les enfants. "J’ai une soixantaine de petits à la garderie le soir. Les parents viennent les chercher après leur travail, mais c’est souvent après 18 heures", témoigne l’animatrice. La maman de Sohan s’est garée rapidement devant l’école. "Je n'ai pas pu faire mes courses ce soir, je suis sortie trop tard du boulot. Parfois je suis à l’heure ici, parfois non, c’est comme ça." Mais ces débordements après le couvre-feu ne la stressent pas. "Je suis dans les règles : j’ai l’attestation de mon employeur et le mail de la garderie, il n’y a pas de soucis", glisse-t-elle avant d’embrasser son fils et de filer chez eux en voiture.
18h25, un peu plus loin sur l’avenue. La pharmacie des Tuileries est encore ouverte pour une heure. “On peut accueillir les clients après le couvre-feu en tant que professionnels de santé”, explique un employé en blouse blanche. Après 18 heures, la patientèle se fait bien plus rare qu’à l’ordinaire mais “certaines personnes n’ont pas d’autres horaires pour récupérer leurs médicaments”. Une bonne partie de l’équipe de la pharmacie est présente, tout le monde bavarde derrière le comptoir d’accueil. La pharmacienne la plus âgée confie volontiers : “Je gare ma voiture rue d’Orbey, à une centaine de mètres et je presse le pas quand je rentre parce que ce n’est pas rassurant les rues désertes.”
18h05, place des Orphelins, près de la grande île. Cinq pongistes ne semblent pas pressés de rentrer chez eux. "Allez, allez, avant que la police arrive !", s’amuse Ali, avant de se lancer dans une ultime partie avec quatre potes. Tous les jours, les deux tables de ping-pong de la place sont prises d’assaut, jusqu’à l’heure fatidique. "Normalement on reste plus longtemps. Parfois en été, on discute jusqu’au petit matin, on refait le monde", poursuit-il entre deux services. Ce lieu est ainsi devenu vecteur de lien social. "On se rencontre autour de la table. Il y a des joueurs de tous les âges, de toutes les religions, c’est un oasis", sourit Ali. Ce soir encore, c’est un match international qui se joue : Steven est Roumain, Didier vient du Sénégal, Jean-Yves est Français et Ali, lui, est Marocain. Parmi les quelques spectateurs bravant eux aussi les interdits, Robert scrute l’affrontement avec une attention particulière. L’ancien joueur en National 3 est aujourd’hui entraîneur à Rosheim. "J’ai plein de copains qui jouent. Certains avec un bon niveau, d’autres pour s’amuser. C’est surtout très convivial !", explique-t-il. La partie s’achève alors que les derniers rayons de soleil se sont éteints.