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Ilascu, l’affaire qui irrite la Russie

C’est l’un des arrêts les plus célèbres et les plus contestés de la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt Ilascu, du nom d’Ilie Ilascu, un dirigeant politique moldavo-roumain qui militait pour l’unification de la Moldavie avec la Roumanie après l’effondrement de l’URSS, a été prononcé en juillet 2004 mais n’a jamais été appliqué par la Russie, l’un des deux Etats mis en cause.

 

L’affaire

En 1992, Ilascu et trois de ses compagnons sont arrêtés par des soldats russes en Transnistrie, une région séparatiste de Moldavie soutenue par la Russie et alors en pleine guerre civile. Accusés, entre autres, d’activités anti-soviétiques et d’assassinats, ils sont livrés à un tribunal uniquement reconnu par les dirigeants transnistriens. Ilascu est condamné à mort et ses camarades à des peines de prison.

L’arrêt de la Cour

Saisie en 1999, la Cour européenne des Droits de l’homme condamne la Moldavie pour n’avoir pas tenté de faire libérer les quatre hommes car la Transnistrie se trouve, en théorie, sous son autorité. Mais elle condamne aussi la Russie, estimant qu’elle exerçait «une influence décisive» en Transnistrie et «une politique de soutien et de collaboration avec le régime» : «Dès lors, les requérants relèvent de la juridiction de la Russie et la responsabilité de celle-ci est engagée». En clair, la Transnitrie n’étant pas un Etat reconnu, la Cour a condamné la Russie pour son influence auprès du régime transnistrien.

La polémique

Ce verdict a suscité des réserves, même parmi les juges de la Cour, sur la question de la juridiction russe. Si la Russie a participé activement à l’indépendance de fait de la Transnistrie, il est difficile de dire si, à l’énoncé de l’arrêt, ses dirigeants étaient toujours téléguidés par Moscou. Le Kremlin a refusé de faire libérer le «groupe Ilascu», considérant qu’il s’agissait d’un arrêt politique plus que juridique. Malgré une pression régulière, le Conseil de l’Europe n’a jamais pu l’obliger à agir.

Vers une nouvelle affaire Ilascu

Aujourd’hui, les quatre hommes ont été libérés après avoir effectué leurs peines -la condamnation à mort d’Ilie Ilascu avait été commuée en peine de prison- mais ils ont déposé une nouvelle requête pour non-exécution de l’arrêt. La Cour devra trouver une porte de sortie pour conserver la crédibilité du système. En théorie, la Russie pourrait être suspendue, voire exclue du Conseil de l’Europe. Une hypothèse peu probable.

Pierre Demoux

 

Depuis 2004, l'Union dispose de la majorité au Conseil de l'Europe. L'élection du prochain président de l'assemblée parlementaire va tester la solidarité des 27 face à la Russie.

Le 21 janvier, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) élira son prochain président. Un scrutin décisif pour l'avenir du Conseil de l’Europe puisque le favori désigné est un parlementaire russe. A 43 ans, le sénateur Mikhaïl Margelov est un proche de Vladimir Poutine, avec qui, selon plusieurs voix au sein du Conseil de l’Europe, il partage un passé commun au sein des services secrets. Mais si sa candidature pose problème, c'est moins pour sa personnalité qu'à cause de sa nationalité : la Russie est contestée pour son rapport ambigu à la démocratie et bloque depuis un an une réforme salutaire de la Cour européenne des Droits de l’homme.
Chaque jour, la Cour basée à Strasbourg reçoit des dizaines de lettres, fax et e-mails réclamant une audience. En l’espace de quelques années, les demandes ont explosé : 103 950 requêtes étaient en attente de jugement au 1er décembre 2007. Submergée, l’institution est victime de son succès et de l’adhésion au Conseil de l’Europe (1), dans les années 1990, des anciens pays de l’Est, principaux «fournisseurs» d’atteintes aux Droits de l’homme : à eux seuls, la Russie (23,5%), la Roumanie (11,9%), l’Ukraine (8,4%) et la Pologne (5,7%) représentent la moitié de l’activité de la Cour. Pour éviter que le système ne sombre complètement, la Cour et Conseil de l’Europe -le «tuteur» de la Cour- ont planché sur une refonte des mécanismes. La réflexion a donné naissance, en 2004, à un projet de réforme, le Protocole n°14 (voir ci-dessous). «Il ne résoudra pas tout mais c’est un premier pas indispensable», estime Florence Benoît-Rohmer, présidente de l’Université Robert-Schuman à Strasbourg et responsable de la web-revue «L’Europe des liberté». «Aujourd’hui, la Cour survit. Sans réforme, elle risque de mourir».

Au point mort

En mai 2004, le Protocole 14 a été ouvert à la ratification de chacun des parlements qui composent le Conseil de l’Europe. Tous les Etats l’ont approuvé sauf la Douma, qui a repoussé le texte en décembre 2006, estimant qu’il «ne correspond pas aux principes fondamentaux de la Convention européenne des Droits de l’homme». En réalité, ce refus est apparu comme un moyen de paralyser une Cour accusée par Vladimir Poutine de mener une action politique contre la Russie. Une critique qui revient régulièrement dans les affaires liées à la Tchétchénie et à l’évocation de l’arrêt Ilascu, prononcé en juillet 2004 (voir ci-dessous) mais que la Russie a refusé d’appliquer. Aujourd’hui, malgré des appels réguliers lancés à la Russie par les institutions et les diplomates, l’avenir du Protocole 14 à Moscou est toujours au point mort.
C’est dans ce contexte qu’interviendra l’élection du prochain président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Un accord entre les partis sur une présidence tournante promet le siège au Groupe des démocrates européens (GDE). Or, le président du GDE et probable candidat à l’élection (2) est donc Mikhail Margelov, le numéro deux de la délégation russe. Soutenue haut et fort par l’actuel président, le Néerlandais René Van der Linden (PPE-DC), la candidature de ce sénateur du parti Russie Unie fait tousser. «La Russie n’a pas appliqué un seul des engagements pris lors de son adhésion au Conseil de l’Europe et en retour, celui-ci est prêt à lui offrir la présidence de l’APCE», critique l’eurodéputé lituanien Vytautas Landsbergis (3), signe que la question parcourt les institutions européennes.

«Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. S’il ne l’est pas, ce sera pire»

Margelov possède plusieurs atouts : «Il est polyglotte, assez ouvert et il a une certaine influence au Kremlin», note un observateur russe. Il pourrait ainsi pousser à la ratification du Protocole 14 et favoriser une ouverture démocratique dans son pays. Mais il est russe. Et pour certains, son élection ôterait tout crédit au Conseil de l’Europe. Reste à trouver un candidat assez consensuel pour casser l’équilibre politique de l’assemblée. Le nom du député suisse Dick Marty (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), auteur du rapport remarqué sur les activités illégales de la CIA, revient régulièrement, mais il n’a, pour le moment, ni confirmé, ni démenti la rumeur. «S’il se présente, Margelov sera élu car l’accord entre les partis sera majoritairement respecté», parie Bruno Gain, Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe.
Avec 27 délégations -sur 47-, les membres de l’Union européenne auraient pourtant les moyens de le contrer. Seulement, à l’instar du Parlement européen, l’APCE fonctionne sur une dynamique de groupes politiques. Difficile d’édicter une position commune alors qu’au sein même de chaque parti, la question divise. «Si on va au clash avec la Russie, on risque de se retrouver avec une Union européenne bis sans grand intérêt», avance le député français Armand Jung (Groupe socialiste), dont le choix n’est pas encore fait. Car la Russie appartient au groupe des principaux contributeurs au budget de l’institution. Elle est un partenaire indispensable pour l’UE. Le secrétaire d’un parti résume la situation en une formule : «Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. Mais s’il ne l’est pas, ce sera pire». Une hypothèse du moindre mal pourrait voir le jour : élire Margelov en janvier et s’il déçoit, ne pas renouveler son mandat pour les deux années suivantes, comme le voudrait l’usage.

Le Conseil de l’Europe regroupe les 47 Etats signataires de la Convention européenne des Droits de l’homme.
(2) Il n’a pas encore déposé sa candidature officielle. Jusqu’à 48 heures avant le vote, un candidat peut se présenter avec l’appui de 10 parlementaires.
(3) The Baltic Times, le 3 décembre 2007.

Pierre-Julien Demoux
à Strasbourg

Les think tanks s'y intéressent

EUR-IFRI - fondé en 2005, basé à Bruxelles. C’est une branche de l’Institut français des relations internationales (Paris). Ce bureau accorde une place importante dans ses travaux à la politique extérieure de l’UE. Tous les mardis, il organise à son siège un débat sur une question à l’agenda de l’Union. Par exemple, dans les semaines à venir, l'un des sujets sera «L’élargissement de l’espace Schengen».
EPC – EUROPEAN POLICY CENTER - fondé en 1996, basé à Bruxelles. Il est dédié principalement à trois domaines : intégration européenne, politiques économiques et l’Europe dans le monde. Il produit des recommandations pour les institutions européennes afin de rendre les politiques plus efficaces.
FRIDE - Fundación para las relaciones internacionales y el diálogo exterior - fondé en 1999, basé à Madrid. Son travail se concentre surtout autour des thématiques suivantes : paix, sécurité, droits de l’homme, promotion de la démocratie, aide humanitaire. Fride, en accord avec avec la Fondation Ortega et Gasset, a créé le centre international pour la paix à Toledo, qui a comme objectif de contribuer à la prévention et à la résolution des conflits dans le monde.
EUROPEAN COUNCIL ON FOREIGN RELATIONS - fondé en octobre 2007, il dispose de 7 antennes à travers l’UE : Paris, Londres, Berlin, Madrid, Rome, Varsovie et Sofia. Promeut une politique étrangère plus intégrée pour l’Europe. Ce groupe a été fondé par un conseil d’anciens et actuels ministres et parlementaires, académiciens, chefs d’entreprises et journalistes. Il est soutenu par la fondation Soros.

Feuille de route 2008

21 JANVIER : élection du président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
23 au 27 JANVIER : réunion annuelle du forum économique mondial à Davos, en Suisse.
28 et 29 MARS : réunion informelle des ministres des Affaires étrangères sous la présidence slovène.
12 et 13 AVRIL : réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Washington, aux Etats-Unis.
JUIN : premier sommet de l'Union de la Méditérranéenne.
3 et 4 JUILLET : conférence ministérielle Euromed sur le commerce à Marseille.
7, 8 et 9 JUILLET : G8 au Lac Toya à Hokkaido, au Japon.
5 et 6 SEPTEMBRE : Gymnich en Avignon.
3 et 4 NOVEMBRE : conférence des ministres des Affaires étrangères du partenariat euroméditerranée.
20, 21 et 22 NOVEMBRE : Journées européennes du Développement à Strasbourg.
DECEMBRE : nomination du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.

A partir de 2009

1er JANVIER : entrée en vigueur prévue du Traité de Lisbonne et prise de fonction du Haut représentant de l’Union et de son service européen pour l’action extérieure.

Parler d'une seule voix sur la scène internationale. C'est l'objectif majeur en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Pour y parvenir, trois grandes mesures sont prévues par le traité.

Un visage

Un Haut représentant conduira la diplomatie de l'Union européenne dès l'entrée en vigueur du traité (article 18 TUE). Ce ministre des affaires étrangères sans le nom naîtra de la fusion entre le poste de Commissaire aux Relations extérieures de Benita Ferrero-Waldner et celui de l'actuel Haut représentant pour la PESC, occupé par Javier Solana.
Nommé à la majorité qualifiée par le Conseil européen avec l'accord du président de la Commission et l'approbation du Parlement, il représentera l'UE à l'éxtérieur. Il sera à la fois vice-président de la Commission et président du Conseil des Affaires étrangères -qui regroupe les ministres des Affaires étrangères : en clair, il participera à l'élaboration de la PESC, notamment en matière de budget, tout en étant chargé de son exécution. Cependant, son action restera soumise à la règle de l'unanimité pour les principales décisions de politique étrangères.

Un service

Un service européen pour l'action extérieure (SEAE) réunira la plupart des moyens humains et budgétaires aujourd'hui répartis entre la Commission et le Conseil, et sur l'usage desquels le Parlement exerce des pouvoirs différenciés. Des diplomates des Etats membres, dont la proportion n'est pas précisée, viendront le renforcer, à Bruxelles et dans les délégations de l'Union à l'étranger. Ce SEAE sera en quelque sorte le «ministère» du Haut représentant même si, pour le moment, on ignore comment il fonctionnera concrètement (article 27, paragraphe 3 TUE).

Une personnalité juridique

L'UE sera dotée d'une personnalité juridique, ce qui lui permettra d'être membre d'une organisation internationale et de signer des conventions internationales (article 37 et 47 TUE et article 216 TFUE).

Pierre-Julien Demoux

Les 27 se le sont promis, le Traité leur permettra de parler d'une seule voix sur la scène internationale. Mais c'est déjà la cacophonie sur les rapports avec Moscou, le dialogue avec l'Afrique rend sourd et l'élargissement à la Turquie divise. L'Union de la Méditerranée, elle, ne fait vibrer que l'Elysée. Bien du plaisir au futur Haut représentant pour les Affaires étrangères et à son service en gestation. Au Quai d'Orsay, Pierre Ménat marche à pas feutrés.

Pierre Ménat pratique le langage diplomatique

A l'instigation de Jean-Pierre Jouyet, il a retrouvé le Quai d'Orsay il y a cinq mois.

Définir les positions diplomatiques françaises à Bruxelles ou s'occuper des relations de la France avec les Etats membres et les pays candidats, c'est à nouveau le travail de Pierre Ménat depuis le 20 juillet dernier.
Au ministère des Affaires étrangères, il dirige une équipe de 75 personnes. En ce moment, deux dossiers majeurs de la présidence française de l’Union sont examinés par son service: le futur Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la nouvelle diplomatie européenne. Car si le traité entre en vigueur, le Haut représentant devra immédiatement disposer de son propre «ministère» des Affaires étrangères de l’Union.
Pierre Ménat préfère rester prudent sur ces deux dossiers. «On ne peut pas expliquer comment va s’organiser le nouveau service européen des relations extérieures tant que le traité n’est pas ratifié», dit cet ancien ambassadeur qui a été en poste en Roumanie puis en Pologne. «Imaginez la réaction des Britanniques, s’ils apprenaient que la France prépare la répartition des fonctionnaires dans ce service. Il faut être prudent et faire les choses en douceur. D’abord la ratification, ensuite les actions concrètes», sussure l’énarque en faisant les cent pas. D'ailleurs ce service ne fait que réunir quelques départements existant. Une broutille.

Pas de danger avant 50 ans

C'est comme pour le Haut Représentant: «Chaque Etat membre garde sa propre politique étrangère. Le Haut représentant n’interviendra que sur les quelques positions qui feront consensus parmi les 27. Ce sera davantage une représentation symbolique que réelle.»
Une chose est sûre: les Etats membres conserveront leur ambassade dans les pays de l’Union. «Il faudra probablement une cinquantaine d’années avant que ce service européen pour l'action extérieure ne prenne toute son ampleur.»
Le Quai d'Orsay n'a pas la haute main pas sur tous les dossiers : le projet d’Union méditerranéenne est traité à l’Elysée par Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy.
Pour l'instant, le diplomate va à peine deux ou trois fois par mois à Bruxelles. Il s’y rendra sans doute davantage pendant la présidence française.

Catherine Roussin
à Paris

Soit un scénario catastrophe : 12 juin 2010, une cyber-attaque terroriste suspend toutes les connexions Internet sur le territoire national. L’Etat doit réagir. Il est totalement paralysé : le fonctionnement des hôpitaux, des banques, des transports est bloqué. Seule une coopération rapide entre tous les ministères concernés peut apporter une réponse efficace. Cette interopérabilité entre les différentes administrations françaises, adaptée aux nouvelles menaces, est un des objectifs du livre blanc sur la sécurité et la défense, en cours d’élaboration. Le 23 août dernier, Nicolas Sarkozy a demandé à la commission chargée de sa rédaction de lui «proposer une stratégie globale de défense et de sécurité nationale actualisées qui garantissent les intérêts de la nation si une surprise stratégique venait à les menacer. Avec pour objectif majeur (…) la protection de la population et la défense des intérêts fondamentaux de la nation, y compris ses intérêts européens et internationaux».

Présidée par Jean-Claude Mallet, cette commission est composée de 35 membres. Elle a commencé son travail par des auditions publiques d’experts et de responsables politiques français et internationaux. Depuis le 22 novembre, une phase d’entretiens confidentiels s’est enclenchée dans les sept groupes de travail mis en place. L’un d’entre eux, sous la responsabilité de Bruno Racine, président du conseil d’administration de la fondation pour la recherche stratégique, doit faire des propositions afin d’améliorer la coopération entre la France, l’UE et l’OTAN. Ce groupe de travail participe à l’élaboration du volet européen du livre blanc.

Publié en mars

Lorsqu’il sera rendu à Nicolas Sarkozy en mars 2008, plusieurs propositions auront vocation à bâtir des orientations à l’échelle de l’Union. «Il est évident que le travail du livre blanc est aussi fait dans la perspective de la présidence française de l’UE, insiste le colonel de Courrège, rapporteur de la commission. Si nous réussissons à intégrer un maximum de partenaires européens dans nos travaux, on a une chance d’étendre le livre blanc à toute l’Union.»
Le travail de la commission sera donc aussi un ballon d’essai : la présidence française s’inspirera des propositions et des différentes réactions des acteurs européens pour faire avancer le dossier de sécurité et de défense européenne. La période comprise entre la publication du livre blanc, en mars, et le début de la présidence française, en juillet, sera donc essentielle pour préparer celle-ci. Dans cet esprit, Karl von Wogau, président de la sous-commission défense du Parlement européen, souhaite constituer un groupe de réflexion pour accompagner le travail des Français sur ces questions : «Avec des représentants de la Commission, du Conseil, des parlements nationaux et européen, nous examinerons les conclusions du livre blanc français. J’en attends beaucoup.»
Avec plusieurs semaines de retard, Jean-Claude Mallet rencontrera Nicolas Sarkozy lors d’une réunion d’étape en janvier afin de lui faire part de ses premières propositions.

Guillemette Jolain
à Strasbourg
Pierre-Louis Lensel
à Paris

 

Une structure unique pour l'association

Pour l'heure, la construction d'une aile supplémentaire se termine. Cette extension regroupera l'accueil de jour et le centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), dédié à une prise en charge sur le moyen terme, avec un accompagnement social global. « Ce sont deux activités issues du projet initial de Femmes de Paroles », précise Régine Kessouri. Un lieu de rencontre et de discussion avec les travailleurs sociaux pour assurer un accompagnement personnalisé.

 

Au rez-de-chaussée de l'ancien bâtiment de la rue de l'Abbé-Lemire, ouvrira une micro-crèche destinée à un public en situation précaire (actuellement située rue de la Iere armée). Elle pourra accueillir une dizaine d'enfants. A l'étage, quatre logements viendront compléter l'offre du CHRS.

 

Ainsi, avec les nouveaux locaux rue de l'Abbé-Lemire, l'association regroupe en un même lieu toutes les activités auparavant dispersées dans la ville. Le tout pour un coût de 2,3 millions d'euros.

 

Hélène Deplanque

L’adaptation au cinéma de l’autobiographie du rappeur originaire du Neuhof, Abd Al Malik, intitulée Qu’Allah bénisse la France, sortira en salles en fin d’année. Un condensé en noir et blanc des histoires de son quartier, évoquées dans les textes de ses albums solos. Le Neuhof sous la plume de Régis Fayette-Mikano, alias Abd Al Malik.

« Je suis aveuglé par des murailles de tours, je me dis, il ne peut rien y avoir derrière ces remparts » (La gravité, album Gibraltar). Difficulté à sortir du quartier, à se projeter en-dehors des barres d'immeuble : cettte réalité, que partage nombre de jeunes du Neuhof, Abd Al Malik la raconte en musique depuis plus de quinze ans. Il l'a également retranscrite dans son autobiographie Qu’Allah bénisse la France, adaptée au cinéma cette année (sortie prévue le 10 décembre 2014). Grâce à ses résultats scolaires, lui a pu s’en sortir. Il n’a pas effectué sa scolarité comme les autres jeunes du Neuhof. Il a été envoyé dans des établissements privés, le collège Sainte-Anne à Neudorf, puis le lycée Notre-Dame- des-Mineurs, dans le quartier de la Gare. Un parcours néanmoins semé d’embûches. Le week-end, il retournait « travailler » dans son quartier : deal de shit et vols en tout genre. « J’étais voleur, et avant d’aller voler, je priais (…), je demandais à Dieu de ne pas me faire attraper (…) qu’à la fin de la journée, le liquide déborde de mes poches » (Les autres, Gibraltar). 

Toujours, au pied des tours, la tentation de l’argent facile : flamber plutôt que travailler. Le rappeur reste tiraillé entre deux mondes, entre études et économie parallèle. Une dichotomie qui le poursuivra jusqu’à l’âge adulte. Plus tard, après avoir embrassé l’Islam, ce sera la question de ce qui est licite (hallal), de ce qui ne l’est pas (haram) et donc de la place du rap dans cette opposition. Et même sur sa première vision de l’Islam, vision répandue dans le quartier, il porte un regard critique, la juge réductrice. « Du jour au lendemain j’ai viré prêcheur, promettant des flammes aux pécheurs, des femmes aux bons adorateurs (…) je continuais ma parodie, mon escroquerie spirituelle » (Les autres, Gibraltar). Son autobiographie, il a choisi de la filmer en noir et blanc. Peut-être une façon d’illustrer les contradictions d’Abd Al Malik, le nom qu’il a choisi au moment de sa conversion.

Parmi ses camarades d’infortune, beaucoup ne sont plus là. Adolescent il a vu « le destin nous descendre un par un, morts par overdoses, par armes à feu, par arme blanche ou par pendaison » (Soldat de plomb, Gibraltar). L’arrivée de l’héroïne dans les années 80 a marqué l’esprit de Régis Fayette-Mikano. À l’époque, l’icône s’appelait Tony Montana, le héros du film de Brian de Palma, Scarface. Elle a succédé à l’ennemi public numéro 1, Jacques Mesrine. « Il connaît toutes les répliques du film Scarface (…) il vend de la CC [cocaïne], il joue les barons, le duc de la cité » (Roméo et Juliette, Dante). Comme son idole, la jeunesse du quartier n’en ressort pas indemne. « Nous étions dans cette cave, et tout notre escadron s’est mis à sniffer de la came (…) des copines que j’avais connues belles, s’étaient changées en loques humaines, à cause de l’héroïne qu’elles s’étaient injectées dans les veines » (Soldat de Plomb, Gibraltar). Une sorte de Paradis artificiel auquel le musicien n’a jamais voulu accéder. Avec la conscience des risques, mais par amour propre avant tout.

Difficile d’échapper à la tentation. Certains tentent de s'en sortir par le biais du verbe. Le rap ou la religion. Abd al Malik, comme son frère Bilal, a choisi les deux. La musique pour mettre des mots sur la réalité du quartier, et l’Islam, pour renaître. Avant sa carrière solo, Abd Al Malik a fait ses premières armes au sein du groupe NAP (New African Poets). Un moyen de parler des mauvais, mais aussi des bons côtés du quartier. Des repas familiaux avec les cousins du «bled» aux échanges entre communautés, en passant par les figures exemplaires, « maman qui nous a élevé toute seule, nous réveillait pour l’école » ou bien « le père de Majid, qui a travaillé toutes ces années de ses mains, dehors, sans jamais se plaindre » (C’est du lourd, Dante).

Même après une carrière de plus de vingt ans, qui l’a fait voyager aux Etats-Unis, comme au Maroc, Abd Al Malik reste « le gars de téci [cité], le mec de banlieue qui aurait pu finir shooté à l’héroïne, pendu dans une cellule ou rempli de colère, salissant la belle religion qu’est l’Islam, en ne pensant qu’à détruire » (HLM Tango, Dante).  

Bande annonce du film Qu'Allah bénisse la France

 

Alexis Boyer et Julien Pruvost

Parmi les immeubles qui ont poussé au Jardin des deux rives, une résidence senior a ouvert mi-juin. Seules sept habitants occupent pour l'instant les lieux qui pourront accueillir près de 200 personnes.

LEGENDE

Bordé par le Rhin, le jardin des Deux Rives et la route nationale qui mène au pont de l'Europe, la résidence des Deux Rives est une enclave moderne dans le quartier portuaire. En trois couleurs, sa façade raconte le statut de ses occupants : blanche pour les logements privés, brune pour les appartements aidés de la CUS et rouge coquelicot pour la résidence sénior. Dans cette dernière, qui a ouvert en juin, seuls sept des 113 appartements, du T1 au T3, sont aujourd'hui occupés. « Le quartier est tout neuf. On sait que son développement prendra du temps. Tout le monde le sait, y compris les gens qui vivent déjà dans la résidence. Les initiateurs du projet ont bien intégré cela quand ils ont fait le business plan », explique Sandrine Laboube, directrice de l'établissement au Port du Rhin.

844 euros pour un T1

Concept récent, la résidence sénior diffère de la maison de retraite. « Ici, les gens vivent en autonomie. Ce n'est pas un établissement médicalisé. Les habitants sont chez eux, ils reçoivent qui ils veulent, ils peuvent cuisiner ou partir en vacances comme ils veulent », souligne Sandrine Laboube. Mais ils sont entourés par le personnel d'accueil et d'assistance de 8 à 18 h qui s'occupent de l'administratif, du courrier, des rendez-vous chez le coiffeur... « La personne meuble son appartement, elle a ses clés, elle peut manger au restaurant de la résidence si elle le souhaite. Chaque semaine, on propose également des animations, des ateliers floraux et des jeux de mémoire par exemple, mais on n'impose rien. On fonctionne un peu comme une résidence hôtelière. » Pour un T1, il faut compter 844 euros par mois, pour la prestation de base. Celle-ci inclut un service d'alarme sécurité : les résidents portent un bracelet relié à une plateforme d'assistance en cas de chute. Les services à la personne – ménage, taxi, blanchisserie... – sont facturés en sus. 

La première habitante de l'immeuble, une dame de 84 ans d'origine allemande, apprécie l'ambiance de sa nouvelle maison, le personnel « sympathique » et la compagnie des autres habitants, même s'ils ne sont pas nombreux. Elle fréquente la piscine de l'immeuble chaque jour et suit aussi les cours de gymnastique une fois par semaine. « Mais c'est vrai que les magasins et la culture manquent dans ce quartier. J'adore aller au cinéma et aux concerts mais avec le bus et le changement au tram, c'est trop compliqué d'aller en ville », raconte-t-elle. Elle se réjouit de l'arrivée du tram d'ici deux ans. En attendant, elle se promène chaque jour dans le jardin des Deux Rives et se rend de temps en temps à Kehl pour y faire ses courses. 

Sandrine Laboube compte aussi sur le tram et les magasins pour augmenter la population du quartier. Et remplir tous les logements du bâtiment rouge coquelicot.

Anika Maldacker

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