Web en continu

Réalisme et onirisme étaient à l’honneur pour la première de la saison 2025-2026 du Théâtre National de Strasbourg (TNS), mardi 16 septembre. Valentina, pièce écrite par la directrice du théâtre Caroline Guiela Nguyen, affiche déjà complet pour la quinzaine de dates prévues.

« Hypertension », « arythmie cardiaque sévère », « fibrosev», « tachycardie ventriculairev», « comorbidité »… Un vocabulaire aride qui contraste avec le décor aux tons rose-doré fabriqué de fleurs, de paillettes et de néons violets. Pour incarner ce conte moderne, le Théâtre National de Strasbourg (TNS) a choisi une mère et sa fille, Loredana et Angelina Iancu – en alternance avec Cara Parvu –, des actrices amatrices de la communauté roumaine qui n’avaient jamais effleuré le plancher d’une salle de théâtre. Pourtant, aux côtés de la comédienne professionnelle Chloé Catrin qui joue à la fois la maîtresse d’école et la docteure, elles sont criantes de vérité et d’authenticité.

« L’histoire d’un miracle »

« Il était une fois… la légende du cœur martyr  » : la voix off d’une conteuse, accompagnée des tintements d’une berceuse pour enfants, ouvre Valentina. Une manière de souligner qu’il ne s’agit en aucun cas de théâtre documentaire, mais bien d’un récit imaginaire, même si le spectacle est inspiré de véritables témoignages recueillis par le TNS à l’aide du Centre des Récits. La conteuse reprend : « c'est l'histoire de ce cœur que nous allons vous raconter, l'histoire d'un miracle ».

Lire aussi : « C’est un dialogue avec la vie » : un Centre des Récits unique en France 

La fable met en scène une famille roumaine dont la mère est malade du cœur, et qui rejoint la France avec sa fille, Valentina, pour y être soignée. Une lumière bleutée blanche remplace les couleurs orangées pour signifier l’arrivée dans un lieu médical. Froideur et brutalité retrouvées dans le personnage – légèrement caricatural – de la docteure, à coups de phrases choc « je ne comprends rien à ce que vous me dites », ou « vous reviendrez seulement quand vous aurez trouvé quelqu’un pour interpréter » : elle est très vite confrontée à la barrière de la langue.

Puis, malgré diverses tentatives comiquement infructueuses pour se faire comprendre d’une médecin, la mère se résout à faire appel à sa fille, cette dernière ayant rapidement appris le français à l’école.

Candeur et mal de cœur

Valentina, fillette de neuf ans, se retrouve à traduire des mots complexes, à décrire une réalité douloureuse à sa mère souffrante, alors qu’elle doit, elle aussi, les digérer. Entre mines déconfites et grimaces extravagantes, passant du roumain au français, la très jeune Cara Parvu joue avec justesse et sensibilité. Dans son survêtement rose bonbon, paillettes sur le front, elle se promène avec un « gros nounours » aussi grand qu’elle, à la cape brillante et aux lunettes de soleil en forme de cœur.

Tantôt déguisée en petit pois, tantôt revêtant un costume aux mille rubans violet foncé, vert émeraude, et bleu nuit, la jeune fille interroge avec couleur mais à demi-mot les concepts de vérité et de mensonge, de réalité, de langage, et de sacrifice. Le tout au milieu des rires du public, qui confirment la capacité de Caroline Guiela Nguyen à écrire un spectacle à la fois subtil, drôle et profond.

Une vidéo retransmettant en direct les visages et gestes des personnages sur un écran enrichit la scénographie, rythmée par un écho de battements de cœur et par deux comédiens amateurs également violonistes. Cette fable ornée de fleurs, de teintes roses, de vêtements scintillants, évolue dans l’imaginaire et le décalé. Mais elle dialogue immanquablement avec les difficultés réelles rencontrées par certaines communautés étrangères de Strasbourg pour se faire comprendre, et résonne de vérité, au milieu du merveilleux.

Eva Lelièvre 

Edité par Pauline Moyer