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05/02/13
18:18

Piraterie : "En 2012, la Côte d'Ivoire a été le pays le plus touché de la région du golfe de Guinée"

Le détournement d'un pétrolier français dans les eaux ivoiriennes, lundi 4 février, illustre un phénomène nouveau : l'extension de la zone d'action des pirates du Golfe de Guinée à la Côte d'Ivoire, jusque là épargnée.

 

Michel Luntumbue, chercheur chargé de l'axe "Paix et conflits en Afrique" au Groupe de recherche sur la paix et la sécurité (GRIP), à Bruxelles, revient pour Cuej.info sur les enjeux de la piraterie pour la région du golfe de Guinée.

Quelles sont les causes de la piraterie dans le golfe de Guinée ?

Il existe deux facteurs liés à l'émergence de la piraterie dans le golfe de Guinée. D'une part, le développement de l'activité marchande car la région est très riche en ressources énergétiques. Beaucoup de bateaux pétroliers circulent dans la région. D'autre part, la paupérisation de catégories importantes des populations des pays riverains fait que ces dernières n'ont pas d'autres choix que de se tourner vers la piraterie ou le brigandage. 
L'épicentre du phénomène est le delta du Niger qui comporte les plus importants gisements pétroliers dans la région. La question du partage des ressources de la manne pétrolière est un facteur de tension politique récurrent dans ce pays. Au départ, les populations les plus marginalisées ont commencé par des pratiques comme le "bankering" qui consiste à percer des pipelines pour récupérer le pétrole. A la fin des années 1990, cette situation de fortes inégalités a conduit à l'émergence du Mouvement d'émancipation pour le delta du Niger (MEND) qui s'attaquait aux plate-formes pétrolières des multinationales. A côté de cette piraterie à coloration politique, une piraterie des laissés-pour-compte économiques s'est développée. L'Etat nigérian a répliqué par une répression violente avant d'offrir une amnistie aux pirates en 2007 puis 2009 en essayant de les réinsérer socialement. Ce fut un échec. Petit à petit, les pirates nigérians ont déplacé leurs attaques dans les pays voisins.

Comment la situation a-t-elle évolué ces dernières années ?

Le phénomène de la piraterie s'est amplifié ces cinq dernières années. En 2012, le Bureau maritime international a recensé 58 attaques dans la région. On a atteint un pic à partir de 2010, dû en partie au fait que les attaques sont de mieux en mieux signalées . Auparavant, un certain nombre d'armateurs préférait passer les attaques sous silence pour éviter l'augmentation des primes d'assurances. Le Nigéria, qui possède la marine la plus importante de la région, a renforcé ses patrouilles maritimes. Ce qui a conduit à un déplacement des actes de piraterie. Dans un premier temps, les pirates nigérians ont opéré au Bénin. Puis avec la mise en place de patrouille conjointes avec le Nigéria, les pirates ont déplacé leur zone d'action vers le Togo et la Côte d'Ivoire qui en 2012 a été le pays le plus touché de la région.

Quel est le mode opératoire utilisé par les pirates dans cette région?

Ces dernières années, le mode opératoire s'est rapproché de celui des pirates somaliens. La filière de piraterie nigériane diversifie fortement ses moyens. Elle se retrouve dans les réseaux de trafic de stupéfiants, d'armes ou d'êtres humains. Comme en Somalie, les attaques sont violentes et menées à l'arme lourde. Les pirates disposent de moyens de plus en plus conséquents pour opérer de plus en plus loin des côtes. On observe des réseaux de mieux en mieux structurés : les pirates disposent de chantiers navals pour fabriquer les bateaux qui récupèrent la marchandise lors des attaques. Au départ, les pirates effectuaient des prises d'otages mais les agents des navirs se sont armés pour répondre. C'est pourquoi les prises de bateaux ne durent beaucoup moins longtemps qu'avant : quelques jours voire quelques heures. L'objectif des attaques n'est plus la prise d'otages mais le détournement des cargaisons de pétrole pour l'écouler sur le marché.

Peut-on chiffrer le coût de la piraterie dans la région ?

Le coût de la piraterie est évalué à deux milliards de dollars de pertes annuelles. Le Bénin a perdu 70 % des recettes du port de Cotonou en raison des attaques. La piraterie est porteuse d'une véritable risque d'instabilité socio-économique. Ses gains sont à mettre en regard avec les 5,4 millions de dollars dépensés en deux ans pour lutter contre la piraterie. Ce sont des moyens dérisoires.

Quels moyens de lutte sont mis en place ?

Seuls les pays de l'est du golfe de Guinée se sont organisés dès 2008 pour mettre en place une fiscalité commune et des patrouilles conjointes. La partie ouest du golfe de Guinée,qui est la plus touchée, est en retard. Les Etats ont commencé à réfléchir à une stratégie sous-régionale seulement à partir de 2010-2011 après que le Bénin a saisi l'ONU. La plupart des législations nationales sont en retard. Pour répondre durablement au problème de la piraterie, il faut mettre au point une stratégie multiforme : mettre en place des réponses juridiques pour harmoniser les législations nationales et permettre une coopération qui permettrait de résoudre la question de la répression. Une fois les pirates appréhendés, comment être dissuasif ? Un sommet est prévu en avril 2013 pour mettre en place une stratégie commune et que les pays du golfe de Guinée soient au diapason sur la question. Surtout, il faut résoudre la cause profonde de la piraterie en augmentant les réponses socio-économiques au désœuvrement d'une grande partie de la population.

Peut-on envisager le déploiement d'une force navale internationale comme dans le golfe d'Aden ?

Non, car la situation diffère de celle de la Somalie où l'Etat est défaillant et n'est pas en mesure de gérer la situation. Dans le Golfe de Guinée, nous ne sommes pas dans cette situation de rupture de la capacité d'action des Etats. Les pays sont plus frileux quand on leur parle de force navale internationale. Surtout, en Somalie les attaques ont lieu en majorité dans les eaux territoriales internationales. Cela justifie une action internationale tandis que dans le golfe de Guinée les attaques ont lieu à proximité des côtes, voire dans les ports. Je pense que les moyens financiers et matériels sont trop limités pour pouvoir déployer des forces sur deux théâtres différents.

Propos recueillis par Jessica Trochet

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