L’icône byzantine de la vierge de Vladimir, posée sur l’autel boisé orné d’un napperon blanc, apparaît pixélisée à l’écran. Le tintement des cloches, qui résonnent doucement dans les enceintes de l’ordinateur, annonce la célébration de la messe dans l’église Saint-Alexis de Griesheim, rattachée à la communauté de paroisses du Rosenmeer (Rosheim). La voix du père Dalmer grésille légèrement et son visage se floute : “Nous nous préparons à célébrer l’eucharistie. Mais avant cela, un peu de mu…’’ La fin de sa phrase est inaudible. L’image se fige pendant quelques secondes. Puis, un Alleluia, interprété à la flûte de pan par un fidèle, lance l’office 2.0.
Pour pallier l’interdiction des cultes, imams, prêtres et rabbins ont investi les réseaux sociaux tels que Zoom, Youtube, Facebook, devenus des outils incontournables pour garder le contact avec les croyants. Messes en direct, cours de talmud thora (le cours de religion pour les enfants), lecture du Coran… “Il y a une explosion des propositions en ligne comme les lives, une démultiplication des temps de prière et des offices religieux”, souligne Isabelle Jonveaux, sociologue des religions.
Dans le regroupement de paroisses du Rosenmeer, les fidèles et prêtres catholiques ont, dès le 15 mars, créé une véritable communauté virtuelle. Lorsque le journaliste de télévision Marc Jonas filme avec brio les messes en direct sur Facebook, Victor Weiss, créateur de site freelance, gère les commentaires postés en direct, transmet les textes bibliques à lire et publie les intentions de prière. Quant à Annette Herr, elle organise sur Zoom le partage biblique qui a lieu tous les vendredis à 20h.
La messe en ligne profite à certaines paroisses qui peuvent accroître leur influence grâce aux réseaux sociaux. La page Facebook de la communauté de paroisses du Rosenmeer est passée de 200 à 770 abonnés pendant le confinement et comptabilise plus de 10 000 vues sur certaines vidéos de messe disponibles en replay.
Pour l’église évangélique méthodiste Tabor de Bischwiller, le succès est aussi au rendez-vous : ‘’Sur Facebook, nous avons de nouveaux auditeurs qui viennent du Chili et de Madagascar ainsi que des non croyants qui ne s’étaient jamais rendus dans une église auparavant !’’, indique le pasteur Sébastien Schöpperlé. Pour toucher un public plus large, les évangéliques ont dû s’adapter : ‘’Nous avons écourté et décalé l’heure du culte et le publions à des horaires fixes. Ainsi, nous faisons découvrir notre église à tous ceux qui n’ont pas le même culte que le nôtre’’, ajoute-t-il.
Chez les juifs libéraux, les propositions sur le net foisonnent également. Dans la capitale alsacienne, l’Union juive libérale de Strasbourg (UJLS) relaie, via l’application Zoom, des cours et offices de shabbat proposés par le JEM (Judaïsme en mouvement) et d’autres communautés juives. Elle propose aussi des études de la Torah réalisées par une étudiante, future rabbin.
Des utilisations différentes suivant les profils religieux
Les musulmans ne sont pas en reste. Ces plates-formes numériques sont “les seuls moyens pour les fidèles de garder un lien avec la mosquée”, explique Kalilou Sylla, imam de 24 ans intervenant ponctuellement à la Grande mosquée de Strasbourg. Il partage régulièrement des exhortations sur Facebook : autour de l’enseignement religieux ou sur un sujet particulier comme la sincérité ou la générosité.
Le confinement a aussi poussé certains fidèles plus âgés vers les réseaux sociaux. C’est le cas de Jeanne Hess, 92 ans, qui réside à Bischoffsheim. Elle n’y voit que des avantages : “J’ai reconnu mon église et les gens que je connaissais déjà. J’étais heureuse de les voir, même à travers un écran.” “Avant, elle ne regardait la messe qu’à la télé. Désormais, elle se sent plus proche de la paroisse”, indique sa fille Nathalie Schott, qui l’a initiée à la messe en ligne.
Chez les protestants, à l’église Saint Matthieu du Port du Rhin, la pasteure Bettina Cottin, après avoir créé une page Facebook et des groupes de prières sur Zoom, a pris les choses en main : “Nous avons même fait des formations de 20 minutes pour apprendre à certains fidèles à bien utiliser cette application !”
L'utilisation des outils numériques pour la prière a cependant suscité des réserves de la part de certains fidèles et religieux. La question se pose surtout pour la communauté israélite, qui a fêté Pessah, la Pâque juive du 8 au 16 avril. “Il y a des différences qui relèvent de la théologie et du droit propre à chaque religion. On l’a particulièrement observé chez les juifs orthodoxes, très rétifs à l’usage d’outils numériques pour leur pratique religieuse alors que pour les libéraux il n'y a aucun problème”, analyse Jacqueline Lalouette, historienne spécialiste de l’histoire politique et religieuse. “Notre niveau de pratique nous interdit d’allumer l’ordinateur, la télé ou les téléphones durant les Yom Tov (jours de fêtes juives, ndlr)”, explique Rachel. “On ne serait donc pas du tout passé par ce biais-là pour le Seder (repas commémorant la sortie d’Égypte des Hébreux lors de la semaine de Pessah, ndlr).”
Chez les catholiques, la conversion au numérique a été en revanche unanime, “même dans les communautés traditionalistes et intégristes”, affirme Isabelle Jonveaux.
Un terreau fertile
Les communautés religieuses étaient déjà présentes sur les réseaux sociaux mais le phénomène a été amplifié par la fermeture des lieux de culte. Comme le souligne Jacqueline Lalouette, ils n’étaient initialement pas utilisés pour “transmettre des cérémonies cultuelles” mais uniquement des petites informations relatives aux horaires des offices ou des émissions religieuses.
L'arrivée d’une nouvelle génération de religieux, utilisateurs au quotidien des réseaux sociaux, a également joué un rôle important dans la religion 2.0. Ils répondent ainsi à la forte demande d’un public jeune qui “passe spontanément par ces outils numériques pour partager leurs pratiques et interrogations”, souligne Isabelle Jonveaux. Sur Instagram ou Snapchat, de nombreux comptes dispensent par exemple conseils et rappels religieux.
Et si les fidèles disposaient déjà d'offres télévisées ou radio (Kto TV, Radio Orient...), l’interactivité de réseaux comme Zoom ou Instragram rend possible les échanges entre eux, parfois pendant l’office, et offre un sentiment de communion collective. “On reçoit parfois jusqu'à 200 messages pendant les messes”, note Marc Jonas.
Quelles limites pour la religion sur les réseaux sociaux ?
Malgré le succès qu’ils rencontrent actuellement, les cultes en ligne ne peuvent se substituer aux rassemblements dans les édifices religieux. Comme le précise Jacqueline Lalouette, la religion est un système de pratiques et de croyances qui se vit en communauté : “Les fidèles ont trop souffert de ne pouvoir prier ensemble. Ils ne vont certainement pas remplacer les cérémonies habituelles par du virtuel.”
David Elie confirme. La synagogue est pour lui plus qu’un simple lieu de prière : “La knesset, c’est la maison du rassemblement, un lieu de vie, un lieu social où il y a des offices, des cours, le talmud thora, des conférences, des concerts, des réunions…” Prier à la mosquée permet également d’accomplir les bons gestes rituels tout en améliorant sa pratique religieuse, estime Kalilou Sylla : “Il faut privilégier les rencontres physiques. Avec le téléphone portable, il y a une barrière, des problèmes de connexion ou des retards possibles.”
“La pratique sur les réseaux sociaux est incomplète puisqu’il manque des éléments essentiels”, relève Isabelle Jonveaux. Certains rituels ne peuvent se faire qu’en présentiel, comme le sacrement de l’eucharistie chez les catholiques ou la toilette de purification du corps du défunt chez les musulmans et les juifs.
Les fidèles peuvent, depuis peu, retrouver le concret des rituels qui leur a manqué. Mais il faut réorganiser les offices, repasser du virtuel au réel. Préserver le collectif, tout en respectant les gestes barrières. Pour les croyants comme pour les religieux, l’heure est à la réinvention d’un culte soucieux des consignes sanitaires, sans être aseptisé pour autant.
Pour les cinéphiles bas-rhinois, il a donc bien fallu s’adapter. Laurine Marie-Luce, habitante de Bischheim, est passée du grand au petit écran. La diététicienne de 31 ans a découvert les plates-formes de vidéo à la demande Disney + et Amazon Prime. C’est désormais sur son téléphone ou sur sa tablette qu’elle visionne films et séries avec son compagnon : “On en regarde cinq fois par semaine à la maison. L'avantage des plates-formes c'est qu'on consomme ça comme on veut. Et si on n’a pas le temps de finir, on met pause et on recommence plus tard.” Le couple en profite pour voir des films qu’il a “loupés au cinéma”.
Offrant une large sélection de films et séries grâce à un abonnement d’une dizaine d’euros par mois, ces plates-formes comme Netflix ou Amazon Prime, déjà très populaires avant la pandémie, ont vu leurs abonnés augmenter en flèche ces dernières semaines. D’autres comme La Toile ou MUBI proposent des films en location à l’unité à des prix dépassant rarement les cinq euros.
Avec la crise sanitaire, 37% des Français ont cuisiné plus de plats maison, selon Santé publique France. Certains Bas-Rhinois aussi ont découvert ou redécouvert le plaisir de faire à manger.
Anne-Véronique Auzet, elle, a toujours su qu’elle était douée : “De nature, je cuisine bien, facilement.” Ce dont avait besoin cette professeure de géographie à l’université de Strasbourg, c’était le temps. “J’ai essayé un dahl et un gratin de lentilles corail. Je n’en avais jamais utilisé autrement que pour faire de la soupe”, raconte-t-elle. Avec la quantité de ces petites légumineuses orange qu’elle a récupérée du reste des colis pour les jeunes réfugiés du centre Bernanos, pour qui elle cuisine souvent, elle a cherché à varier, sortir de sa zone de confort. Mais aussi, impressionner : “Pendant le confinement, nous avons créé un groupe Whatsapp famille spécifique à la cuisine. Quand on teste une nouvelle recette, on la partage. Comme nous sommes une famille nombreuse, le groupe, c'est une bonne vingtaine de cuisinières et cuisiniers.” Sa plus belle révélation reste le chou romanesco. Le goût fin et la belle couleur verte de ce chou-fleur originaire d’Italie ont été parfaits pour une quiche.
Les plates-formes de vidéo à la demande ont largement profité du confinement, aux dépens des cinémas, fermés depuis la mi-mars. Une potentielle menace pour l’avenir du grand écran ?
“Programmation dans la grande salle pour samedi 14 mars : à 10h45 Le Roi et l’Oiseau, à 12h15 La Loi du marché...” Quand on appelle le cinéma Odyssée, salle historique du centre de Strasbourg, un message pré-enregistré tourne en boucle, comme bloqué dans le temps. Depuis deux mois, à cause du Covid-19, les bobines prennent la poussière. Et les inquiétudes restent nombreuses concernant les conditions de redémarrage de l’activité.
Cuisiner pour être dans sa bulle
“La cuisine, ça a un peu des allures de méditation pour moi, ça me détend, c’est assez agréable.” Marie-Isabelle Brunie, étudiante à l’Insa, est revenue chez ses parents, à Schiltigheim, depuis la fermeture sanitaire du campus lyonnais. La maison qui l’a vue grandir change de sa colocation à Lyon. Ici, elle a toutes les casseroles et les poêles pour elle : “J’aime surtout faire à manger seule pour justement souffler un peu, m’isoler et être dans ma bulle. Sauf qu’en coloc c’est pas forcément possible, on se retrouve plusieurs à vouloir mettre la main à la pâte.”
Très vite, elle a fait de cette pièce de la maison parentale son univers pour oublier les querelles de famille. Elle se lâche dans les expérimentations, entre fajitas confectionnées de la pâte à la garniture, tempuras de légumes et raviolis aux champignons.
Préparer à manger permet à Mathilde Parmentier et sa fille Valentine de voyager malgré la fermeture des frontières. Cette maman de 37 ans a essayé de transmettre cette passion à sa fille. “On aime beaucoup les saveurs d’Asie : on a fait des bò bún, des ramens, des gyozas… C’est la première fois qu’on a cuisiné tous ces plats asiatiques, ceux qu’on avait goûtés et aimés au fil de nos voyages.
© Stéphanie Loos / © Cuej.info
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