Quand la vie bascule

Lors de l'annonce aux familles d'un décès survenu sur la route, les acteurs qui prennent la responsabilité des mots, s'appuient sur leur côté humain plus que sur le protocole. Pour les familles, ces mots impriment dans leur esprit une réalité difficile à accepter.

Un moment de vie suspendue, pendant quelques secondes, quelques mots : « Votre mari est décédé ». Puis le basculement vers une souffrance « inhumaine » pour Emilie Oberfeld. Les mots ont du mal à passer à travers sa gorge serrée par l'émotion. Le 16 février 2013, un épais brouillard enveloppe le petit matin. Un homme, alcoolisé, rentre de son travail à Kehl, il franchit une ligne continue pour doubler à 130 km/h un véhicule sur la départementale 27. Il percute la 205 de Frédéric Cuny, le mari d'Emilie, qui arrivait en face. La petite fille du couple, neuf mois, est grièvement blessée, l'homme décède sous la violence du choc. Inquiète de ne pas avoir de nouvelles, Emilie Oberfeld décide de faire le même chemin que son mari plus tôt. « Je suis arrivée sur la route de Woerth, j'ai continué deux minutes et j'ai reçu des appels de phare d'une voiture qui venait en face. Là, j'ai compris », se remémore-t-elle.

A son arrivée sur les lieux de l'accident, les gendarmes et pompiers l'informent que sa fille a été emmenée à l'hôpital de Haguenau. « Mais ils ne me parlaient pas de mon mari,continue Emilie. Je me souviendrai toujours des yeux du policier dans lesquels j'ai pu lire que mon mari était décédé. Mais il n'a pas eu le courage de me le dire car c'était trop dur pour lui », regrette-t-elle.

Un protocole d'annonce flou

Michel Rich, gendarme à la retraite, comprend très bien la réticence de ce policier. D'après la circulaire du 5 juillet 1963, il revient au maire de la commune où réside la famille du défunt d'annoncer aux proches les conséquences de l'accident. Dans la pratique, les forces de l'ordre assurent cette mission. « Les maires ne sont pas formés à ca, ils ne sont souvent pas disponibles au moment de l'accident. Alors, on ne va pas attendre deux jours pour annoncer une telle nouvelle » explique Michel Rich. Pourtant officiellement, il n'y a pas de véritable formation pour les forces de l'ordre. Des sensibilisations existent au niveau local. L'association AIVAR (association d'aide aux victimes des accidents de la route) a ainsi formé plus de 1000 gendarmes à Strasbourg pour rendre ces derniers plus sensibles aux mots qu'ils emploient envers la famille.

« Il y a une dizaine d'années, on devait aviser une famille du décès de son fils », poursuit Michel Rich. Sur le perron de la maison, quelques questions protocolaires : « Est-ce que vous êtes bien Monsieur et Madame… ? Est-ce que vous avez bien un fils qui s'appelle … ? oui. Les gens, quand ils vous voient arriver en tenue, qu'on pose ces deux questions, on voit déjà que quelque chose se passe dans leur esprit », relate Michel Rich.

Puis les gendarmes demandent à entrer. « Le père lisait le journal à table avec la radio allumée, la mère tricotait... Ça y est, on a emmené du malheur dans la famille. En repartant, on s'est dit « voilà, une famille qui est détruite » ».

Des mots pour réaliser

Emilie Oberfeld, elle, avait pressenti la nouvelle. Elle a cependant attendu une heure dans une salle à l'hôpital de Haguenau avant qu'un médecin ne mette des mots sur ce que la jeune femme savait d'instinct. « Pendant ce temps-là, on espère, on croit, on prie. On se dit « ce n'est pas possible, il est dans le coma, il va se réveiller », raconte-t-elle. A partir de l'annonce, Emilie Oberfeld se sent détachée de son entourage. « Les autres ne peuvent pas comprendre. On est complètement déconnecté du monde », confesse-t-elle. Encore aujourd'hui, elle a du mal à se lancer dans une vie normale.

C'est « une famille à qui il manque un bras mais qui ne se voit pas », confie Monique Fritz, présidente et fondatrice des associations Laurence Fritz et AIVAR. Elle a perdu sa fille de 25 ans, Laurence, dans un accident de la route en 2001. Un décès annoncé au téléphone. « C'était une vraie catastrophe. Ils [les policiers] nous ont dit « votre fille a eu un accident, elle est décédée, sincères condoléances, il faut aller à Erstein » », raconte-t-elle. Après la secousse de ces mots, Monique Fritz est allée dans sa salle de bain. Elle s'est regardée dans le miroir car elle avait le sentiment de ne plus exister.

Annoncer un décès au téléphone est une pratique impensable pour le professeur Pascal Bilbault, chef de service des urgences médico-chirurgicales adultes aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg. « Dans le milieu médical, nous n'annonçons pas le décès par téléphone. Par téléphone, nous disons qu'il se passe quelque chose de grave, menaçant, de manière à ce que les gens viennent », explique-t-il.

A l'hôpital de Hautepierre, il n'y a pas de salle dédiée exclusivement à l'annonce de décès mais un simple bureau médical. Une salle qui peut se fermer et qui permet d'isoler la famille. Ça ne se fait pas dans un couloir, en coup de vent. Un docteur en médecine se charge de l'annonce, accompagné ou non d'un interne ou d'une infirmière. La famille endeuillée, si elle le souhaite, peut consulter le psychologue de l'hôpital.

Pour le personnel hospitalier, il existe une sensibilisation pour annoncer un « diagnostic grave ». « On essaie de former tous nos agents médicaux et paramédicaux à ça », souligne le professeur Bilbault. Ce dernier manie avec précaution les mots, surtout avec les blessés graves d'accident de la route. « On n'a rien à cacher, mais il ne faut pas non plus être trop explicite, en disant que « oui, vous risquez d'être paralysé, » raconte-t-il. Ce n'est déjà pas facile de se retrouver accidenté, il faut qu'il ait toute son énergie pour guérir. »

Une réalité voilée

Des mots salvateurs, des mots destructeurs parfois. Le lendemain matin de la mort de Frédéric Cuny, un article avec une photo du véhicule accidenté est paru dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace. Emilie Oberfeld ne l'a lu que quelques mois plus tard. L'entourage d'Emilie, lui, a appris la disparition de Frédéric Cuny en lisant l'article de presse.

Monique Fritz n'était pas en état d'annoncer à ses proches le décès de sa fille, sa sœur s'en est chargée. « Pour autant, cela aurait été utile car plus vous faites passer la souffrance, plus vous vous y habituez », analyse-t-elle après coup.

Pour ces deux familles, une lame de fond a traversé leur vie. « Les personnes âgées n'y résistent pas », ajoute Monique. Sa belle-mère est décédée six jours après l'accident, « elle n'a pas supporté l'annonce de la mort de Laurence » précise-t-elle. Le grand-père de Frédéric Cuny a cessé de prendre ses médicaments après avoir appris la disparition de son petit-fils. « Il est décédé quatre mois après, la grand-mère a suivi son mari, ils se sont laissés mourir », confie Emilie.

Les avis de décès restent la manière privilégiée pour annoncer au plus grand nombre la mort d'une personne. Dans le cas d'un accident de voiture, il n'est généralement pas fait mention explicite des circonstances de la mort. Dans un avis de décès des Dernières Nouvelles d'Alsace du 4 septembre dernier, seule l'expression usuelle « enlevée tragiquement à notre affection » puis des remerciements aux pompiers et gendarmes, esquissent les causes du décès de la jeune femme de 24 ans, renversée par une voiture. Des allusions qui voilent la réalité annoncée aux familles par des mots bruts.

Laurine Personeni et Amaury Tremblay

Deux photos de Juliane, renversée le 18 septembre 2014 devant chez elle. Elle est décédée le lendemain à l'hôpital d'Hautepierre. Photo Florian Litlzer

L'écho du traumatisme

La perte d'un proche. Une rupture brutale dans le quotidien, avec laquelle il faut pourtant vivre, quand la vie a perdu de sa saveur. Comment s'attendre à ce que la route, omniprésente dans notre environnement, devienne le lieu où tout a basculé ? A qui la faute ? Peut-on prévoir la survenue d'un accident, y associer une forme de logique, ou bien est-ce uniquement le hasard ?

Autant de questions que se posent les familles des disparus de la route, ceux qui ont frôlé la mort, ou ceux qui l'ont provoquée. Qu'ils aient vécu l'événement de près ou de loin, ils tentent de l'interpréter tel qu'il est survenu, ou avec ce qu'ils en savent.

Pour la plupart d'entre eux, le deuil est trop difficile à porter pour le partager. Cinq familles ou victimes ont pourtant accepté de s'ouvrir pour raconter ce que la vie leur a ôté. Un père de famille dont la fille a percuté un arbre pour une raison inexpliquée, la sœur d'une femme décédée dans sa voiture un soir de tempête, blâment la fatalité, l'inexplicable. Les parents d'une fillette renversée par la voiture d'un voisin négligeant soutiennent, eux, que tout aurait pu être évité. Quant à ce gérant de bar, percuté à vive allure sur l'autoroute par un chauffard, ou cette mère et sa fille murées dans le chagrin après la mort du cadet de la famille, percuté par un automobiliste alcoolisé, ils s'en prennent à l'irresponsabilité de ceux qui ont pris le volant quand ils n'auraient pas dû.

Rémi Carlier

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« Si l'arbre n'avait pas été là... »

« C'était son heure »

« Tuée par négligence »

« Je veux du financier »

« Homicide involontaire? Moi, je dis non »

Interview du père d'une victime ayant percuté un arbre dans la région de Sélestat

En octobre 2014, près d'Obernai, une jeune femme qui vient chercher son fils à l'école perd le contrôle de son véhicule pour une raison inexpliquée, et percute un arbre. En un instant, c'est terminé. Victime d'un arrêt cérébral, elle décèdera le lendemain à l'hôpital.

Pour son père, il ne s'agit pas d'une violence routière. « Elle était seule en cause. Elle n'a simplement pas fait attention. Elle a mordu le bas-côté, sa voiture a fait une embardée et elle n'a pas pu éviter l'arbre, sa voiture s'est enroulée autour. Les gendarmes m'ont dit qu'elle n'était pas au téléphone quand c'est arrivé, elle n'était pas en retard, son fils sortait à 18h et il était 18h moins cinq, donc elle ne roulait pas trop vite. Quelque chose a dû attirer son attention hors de la route, ça arrive parfois. »

Ancien chauffeur-livreur, l'homme connaît bien la route. Notamment ces petites frayeurs, qui arrivent parfois lorsqu'on relâche son attention, le temps d'une seconde, et que la voiture est déjà presque sur le bas-côté. « Elle a eu cette frayeur. Mais pour elle, il y avait un arbre au bord de la route. S'il n'avait pas été là, elle aurait terminé son embardée dans un champ et elle serait parmi nous. Mais avec des si, on ne revient pas en arrière. Il faut vivre avec. Les accidents sont souvent liés au hasard, on ne pourra jamais rien faire pour qu'il n'y en ait plus aucun ».

Rémi Carlier

Madeleine Furst, sœur de Jacqueline Niess, décédée le 21 octobre 2014 à Illkirch.

« Elle n'a pas dû se préoccuper du vent, la rafale n'a duré qu'une dizaine de minutes. C'était pour elle... Malheureusement. » Attablés dans leur salon d'Obernai, Madeleine Furst et son mari François se remémorent cette soirée du 21 octobre 2014. La tempête Gonzalo, annonciatrice de l'arrivée de l'automne, occasionne des rafales de vent culminant à 117 km/h dans le Bas-Rhin.

Jacqueline Niess, la sœur de Madeleine, rentre du travail, comme tous les soirs, dans sa voiture de fonction.

Sur la route du Fort-Uhrich, au bord de l'Ill à Illkirch, un arbre s'abat sur la Twingo de la Plobsheimoise. « Elle n'a pas dû faire attention. Les racines de l'arbre étaient sûrement dans l'eau et avec le temps ça avait dû se fragiliser. C'était un arbre énorme hein, pas un petit truc de rien du tout ». Ce soir-là, les pompiers alsaciens réalisent près de 240 interventions, essentiellement pour dégager des chaussées encombrées. Jacqueline Niess sera la seule victime de la tempête dans la région.

Derrière le couple, sur un buffet en bois vernis, des photographies de Jacqueline se distinguent de celles de ses enfants et petits-enfants. Madeleine les a ressorties des albums, une manière de faire face au destin qui lui a pris brutalement sa sœur. « Elle s'était sortie du cancer à deux reprises, elle a repris le boulot à chaque fois. C'était une dure à cuire, un monument, elle ne se plaignait jamais, comme son père ».

Depuis le décès de Jacqueline, Madeleine et François Furst s'accrochent à leurs souvenirs. Photo Rémi Carlier

L'arrivée du chat, grattant à la porte-fenêtre, éclaire les visages du couple. François, qui se lève pour lui ouvrir, s'arrête un moment pour regarder au loin, vers le mont Saint Odile dominant la vallée. Ou simplement vers les corbeaux, qui picorent dans le jardin. « Ça devait arriver, apparemment, j'en sais trop rien... c'était son heure. Au mauvais moment au mauvais endroit ! Quelques secondes avant ou après... On lit des choses comme ça tous les jours dans le journal mais tant qu'on n'est pas concerné, on le lit et on l'oublie. On veut pas le croire, on veut pas l'admettre, encore aujourd'hui. On nous l'a kidnappée, on nous l'a tuée. »

Dans la cuisine, on entend le café couler, lentement. Madeleine s'y rend fréquemment, afin de vérifier s'il est prêt. L'occasion, sans doute, de remettre ses idées en place avant de finir son histoire. Elle propose des meringues dans une boite en fer. « Ah c'est pas moi qui les ai faites ! J'ai plus envie… On allait se préparer pour les fêtes, chaque année elle venait ici. Elle préparait des bredele pour tout le monde. Fallait voir la forêt noire qu'elle faisait aussi… »

A l'évocation des détails du quotidien, les souvenirs ressurgissent. « Je suis à la retraite depuis le 1er octobre. Elle attendait de savoir combien je gagnerais avant de prendre la sienne. Maintenant je sais ce que je vais toucher mais c'est trop tard, elle n'est plus là. »

Après l'accident, les gendarmes et les pompes funèbres ont déconseillé à la famille d'aller voir le corps. « Apparemment, le visage avait pris un coup. Alors on a respecté leur avis, écouté ce qu'ils nous ont dit ». François se lève et récupère une photo sur l'étagère. Jacqueline y est immortalisée, souriante dans un chemisier bleu, les mains posées sur les épaules de ses parents. En un soupir, l'Obernois commente : « Nous, on la voit comme ça ».

Rémi Carlier


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Frédéric et Alexandra Hamm, parents de Juliane, décédée le 19 septembre 2014 à Bernardswiller.

« Tout était évitable » pour Frédéric Hamm, le papa de Juliane. Photo Florian Litlzer


« Ça vous dérange si je fume ? » Frédéric Hamm s'allume une cigarette. « Moi, je me suis remis à fumer, depuis. » Depuis le 18 septembre, le jour où Juliane, sa fille de deux ans a été écrasée par le voisin. Elle décède le lendemain à l'hôpital. Le père pointe le milieu de l'allée, « c'était là. » Le marquage des pneus est toujours visible. « Et moi, j'étais là », à moins d'une dizaine de mètres.

Il fait signe de le suivre. Dans le garage, deux photos de Juliane sont accrochées au mur. En face, il y a le vélo. Celui sur lequel était la petite fille quand c'est arrivé. Il y a juste une fleur, posée dessus.

Quand on monte à l'étage, tout donne l'impression qu'un enfant est là. La télé est allumée sur Gulli, et braille des chansons pour les petits. Mais il n'y a pas d'enfants dans la maison. Romane, la grande sœur, est à l'école. La chambre de Juliane aussi est restée intacte, ouverte, Romane et ses amies peuvent y jouer. « Juliane » est toujours écrit sur la porte. « Si je l'enlevais, j'aurais l'impression d'oublier, c'est propre à moi ; j'ai besoin des fois d'avoir mal pour... C'est comme ça », murmure Frédéric.

Un sentiment d'injustice

Le salon est éclairé par une grande baie vitrée. Derrière les rideaux blancs, on distingue la maison d'en face. Celle du voisin. Il vit toujours là. « Nous on ne partira pas. C'est lui qui devrait partir » dit le père. « Sa famille est venue nous voir, mais pas lui ».

Le voisin a été reconnu coupable et responsable. Un an de prison avec sursis, six mois de suspension de permis. Les Hamm espéraient une annulation, et une amende versée à une association.

« On aurait au moins un sentiment de justice, on pourrait se dire qu'il sera obligé d'y repenser et…

- Je crois qu'il y pense, intervient la mère, Alexandra

- Peut être. » Frédéric l'espère, mais n'y croit pas.

Le père est en colère : « La vie de ma petite fille, quand on la tue, ça ne vaut rien ?

- C'est tuer de manière involontaire… tempère une nouvelle fois la mère

- C'est tuer par négligence. »

D'un signe de tête il désigne la maison d'en face, sans la regarder. « Il a fait une faute de conduite, il était à l'arrêt, il démarre, il regarde pas dans ses rétros, dans ses angles morts, il regarde pas devant lui avant de démarrer. On n'est pas dans le cas de l'accident inévitable. Tout était évitable, il suffisait d'avoir conscience qu'on conduit une voiture et de prendre les précautions nécessaires pour ça. »

Pour l'enterrement de Juliane, ses parents ont réalisé un panneau avec des photos d'elle. « On a voulu montrer que c'était une enfant joyeuse. » Photo Florian Litlzer


Continuer à vivre

Les Hamm font face. Par moment un sourire s'échappe même, à l'évocation d'un souvenir. Ils doivent continuer, avec un enfant mort, et un autre, encore en vie. Avec Romane, « le rôle de parent il est... C'est plus aussi évident qu'avant. A chaque fois on se pose des questions » explique Frédéric.

« C'est un peu difficile de faire la part des choses, entre « est-ce qu'elle réagit comme ça à cause de la perte de sa soeur » ou « est-ce que elle aurait réagi comme ça de toute façon? ». »

Le 4 novembre 2014, Juliane aurait eu 3 ans. La famille a choisi d'organiser une marche blanche dans le village. « Pour avoir du monde autour de nous, pour ne pas être seuls. On a fait un goûter, un lâcher de ballon... raconte la mère, sa grande sœur était contente, elle avait ses copines, elle a vu ça comme une fête plus que comme un jour maussade. »

Il faut réparer, mais la déflagration ne s'arrête pas qu'à la famille. « Ça a fait du bien aux autres enfants aussi, à l'école, continue Alexandra en souriant un peu. Dans la classe de Romane, ils en parlent beaucoup. Chacun avait fait un petit papillon. » Et justement la grande sœur revient de l'école. Elle va se jucher sur les épaules de son père.

C'est pour elle désormais, qu'ils continuent.

Florian Litzler et Caroline Sicard

Fatiha et Lamisse, mère et sœur de Nadji Harzallah décédé le 30 janvier 2014 à Schiltigheim

Quatre jeunes à bord d'une voiture. Devant chez eux, presque sous les fenêtres de chez leurs parents. Le 30 janvier 2014, vers 20h40, les jeunes abordent un carrefour de Schiltigheim et ne voient rien venir. Le conducteur d'un second véhicule vient de griller le feu rouge, sous l'emprise de l'alcool et du cannabis. Violemment percutée, la Twingo fait un tour sur elle-même.

A l'arrière, Nadji Harzallah, 21 ans, décède sur le coup. Au volant, le cousin de Nadji, qui n'a pas le permis, n'est que légèrement blessé.

Comment quelqu'un sous l'emprise de la drogue a-t-il pu traverser la ville sans être interpellé ? Pourquoi Nadji Harzallah, le seul à être titulaire du permis de conduire dans la voiture des jeunes, était assis à l'arrière, et non au volant ?

Autant de questions qui restent sans réponse pour la famille de Nadji. « Le chauffeur n'est même pas venu s'excuser, il n'a fait aucun geste envers nous, je ne connais même pas son visage », regrette sa mère. Fatiha Harzallah attend le procès afin d'en savoir un peu plus sur les circonstances de l'accident.

Antoine Laroche

Luc Diederich, victime d'un accident le 26 juillet 2014 à Bischheim

Deux fois par semaine, depuis plusieurs mois, Luc Diederich se rend chez le kinésithérapeute. Depuis que, le 26 juillet 2014, il a été percuté à l'arrière par une voiture en excès de vitesse en rentrant de son travail. L'accident lui a laissé des séquelles physiques, mais aussi psychologiques. Des séances chez le kiné, et une appréhension persistante à conduire la nuit. Il en avait pourtant l'habitude : Luc Diederich est gérant de bar à Strasbourg.

En décembre 2014, le responsable de l'accident est condamné à 6 mois de prison avec sursis, l'excès de vitesse constituant une circonstance aggravante. Son permis est annulé, avec interdiction de se présenter à l'examen pendant 6 mois. Une peine que Luc Diederich trouve trop légère, eu égard aux antécédents judiciaires du prévenu, déjà condamné pour des infractions routières. Pour lui, l'accident aurait pu être évité.

Antoine Laroche


« Désolé » n'est pas un médicament

Le 24 juillet 2011, vers deux heures du matin, deux femmes de 36 et 38 ans sont pércutées par une BMW. Le conducteur de 23 ans, fortement alcoolisé au moment du drame, est condamné à trente mois de prison, dont 18 ferme. Il en passera trois en prison. Témoignage.

Ça ne m'était jamais arrivé de boire au point de n'avoir aucun souvenir. Quand j'y repense maintenant, je ne me rappelle pas de grand-chose sur ce qui s'est passé avant le choc, mais je me souviens de silhouettes, d'images, de visages. Je n'oublierai jamais leurs visages. A cette époque, j'étais en train de prendre des cours de conduite à l'auto-école, je n'avais pas encore le permis. La voiture n'était pas à moi, et d'habitude je n'aime pas emprunter ce qui ne m'appartient pas. Ce soir-là, c'était différent. C'est à cause de l'alcool d'abord, et après, je ne sais pas. C'est comme ça.

Après l'accident, quand j'ai vu ces deux filles sur la chaussée, je ne pouvais pas m'approcher. J'ai entendu quelqu'un crier qu'il y avait eu un accident. L'une d'elles avait perdu sa chaussure, j'ai cru qu'elle était décédée. Je ne pouvais plus réfléchir, je ne savais plus quoi faire. J'ai crié. Puis je me suis enfui. Je ne sais pas pourquoi, je ne savais pas ce que je faisais, ni où j'allais. Je suis tombé, je pense que je me fuyais moi-même. Quand j'ai réalisé ce que j'avais fait, j'étais sur le pont de Kehl. J'ai alors fait demi-tour, mais j'étais incapable de retourner sur les lieux de l'accident. J'ai appelé des amis pour qu'ils préviennent la police, qu'ils leur disent de venir m'arrêter.

Dans ma vie, rien ne devait me conduire à passer devant un juge. Mais tout peut arriver, comme on dit, on n'est jamais assuré pour demain. Si j'ai bien compris une chose, c'est qu'il faut faire attention à tous les instants. J'ai vu les victimes pendant mon jugement. Je me suis demandé ce que je pouvais dire, ce que je pouvais faire. Mais j'ai eu peur de leur parler, j'ai encore peur aujourd'hui. Qu'est-ce que j'aurais pu dire ? Le « désolé » n'est pas un médicament pour soigner les gens.

J'étais prêt pour ma peine, prêt pour tout. C'était ma faute, et les règles sont les règles. J'ai passé trois mois en prison. Pour moi, ça a été vraiment difficile. Je pensais à elles tous les jours, je ne savais pas comment elles allaient, ce qui s'était passé après l'accident. J'étais enfermé sur cette pensée. Chaque jour, toutes les heures, minutes, et secondes, j'ai pensé à ça. Et en prison, il y a des gens qui font des problèmes, tout le temps. Pour moi, c'était un enfer.

Aujourd'hui, je suis motivé pour faire des choses bien, des formations, faire ma vie en fait. Mais je n'oublierai jamais. Pour des choses comme ça, c'est impossible. Ça restera ancré dans ma mémoire, ça restera un stress. Mais je garde tout pour moi, je n'en ai parlé ni avec ma famille, ni avec mes amis. Ces sentiments, ce sont les miens. On peut avoir une mauvaise image de moi, bien sûr. C'est normal après ce que j'ai fait. Mais je ne veux pas fuir. On ne peut pas se cacher de soi-même. C'est comme pour le soir de l'accident. J'ai fui sur le coup, mais je suis revenu. C'était le destin, je n'ai toujours pas réalisé pourquoi j'ai agi comme ça.

Propos recueillis par Antoine Laroche et Rémi Carlier


« C'est la fatalité, monsieur le président »

Au tribunal correctionnel de Strasbourg, des affaires de violences routières sont jugées presque tous les jours, que ce soit en audience à juge unique pour les contraventions et délits, ou en collégiale pour les homicides. Parmi toutes les affaires jugées, les « blessures involontaires par conducteur de véhicule terrestre à moteur » reviennent régulièrement sur les rôles d'audience. Cette appellation judiciaire ordinaire résume froidement les conséquences des accidents corporels de la route. Le 9 décembre 2014, deux refus de priorité font l'objet d'une citation à comparaître. Des fautes d'inattention, qui sur le moment, semblent anodines, mais qui cette fois, ont conduit leur auteur à la barre.

« Vous marquez l'arrêt, et vous démarrez alors qu'un véhicule arrive sur votre droite. » Tandis que Christian Seyler, le président, énonce les faits, le prévenu, un homme de 75 ans, semble dépassé par les événements. Immobile à la barre, il est jugé pour avoir grillé une priorité au niveau d'un « stop » à Haguenau. Le choc est violent : la conductrice est immobilisée 40 jours.

« Il est le seul à pouvoir conduire »

Hospitalisée, elle devra suivre des séances de rééducation. Au président, qui tente de reconstituer la scène, le prévenu reconnaît, un peu gêné : « Je n'ai pas vu arriver le véhicule... C'est la fatalité. » A ces mots, l'époux de la victime, assis au premier rang, lève les yeux aux ciel. Sceptique, le substitut Anne-Sophie Lachkar élude. « La présence d'une mineure à vos côtés aurait dû vous conduire à plus de vigilance. » Elle requiert deux années d'emprisonnement avec sursis, la peine maximale pour ce type de délit. Olivier Matter, l'avocat du prévenu, rappelle le contexte familial de son client. « Il est le pilier de sa famille pour tous les déplacements, il est le seul à pouvoir conduire, sa compagne est affectée par la maladie d'Alzheimer. » Pour le président, la fatalité n'explique pas tout. Il prononce 3 mois de prison avec sursis et 6 mois de suspension de permis. L'air incrédule, le prévenu accuse le coup, jamais condamné auparavant pour une infraction routière. L'affaire est renvoyée au civil pour l'indemnisation de la victime.

Une seconde de négligence

Quelques dossiers plus tard, c'est pour avoir renversé un piéton sur un passage protégé qu'une jeune femme est poursuivie. Le feu passe au vert, elle démarre, tourne à droite et n'a pas le temps de voir le piéton, qui avait lui aussi le feu vert. La victime n'est pas touchée gravement, 2 jours d'incapacité de travail sont constatés par le médecin. « Votre casier judiciaire est vierge et vous avez tous vos points sur votre permis », remarque, perplexe, le président. Devant lui, la prévenue, laconique, n'explique pas mieux cette seconde de maladresse. La procureure, qui ne manque pas de faire le parallèle avec l'affaire précédente, requiert du sursis. « Les suites de cette négligence auraient pu être dramatiques ». La défense plaide le caractère dangereux de l'intersection et la fatigue de la prévenue, enceinte au moment des faits. « Deux témoins l'affirment, monsieur le président, la conductrice n'avait pas vu le piéton. » Après lui avoir demandé si elle peut se rendre au travail par les transports en commun ou en covoiturage, le président tranche. Sonnée, la prévenue écope d'un mois de prison avec sursis et de deux mois de suspension de permis.

Antoine Laroche

Après un accident de la circulation, la prise en charge de la souffrance psychologique est aussi importante que celle de la souffrance physique. Photo Caroline Sicard

Cicatriser après l'accident

Tous les accidents de la circulation créent une brèche dans la vie, marquant durablement la chair et l'esprit. Le centre de réadaptation fonctionnelle Clémenceau, à Strasbourg, prend en charge de nombreux accidentés de la route.

Survivre à un grave accident de la route, c’est avoir frôlé la mort. Une expérience qui meurtrit autant les corps que les esprits. C’est d’abord un choc, un événement imprévu qui fait basculer la vie. « Personne ne se lève le matin en se disant qu’avant la fin de la journée, il sera aux urgences », commente Valérie Zaegel, cadre de santé infirmier au centre de rééducation Clémenceau, à Strasbourg. Le docteur Philippe Seynaeve, chef de l’unité de traumatologie et de réadaptation dans la même structure, renchérit : « Après un accident, on ne comprend pas ce qui nous arrive. Vous partez de chez vous à sept heures et demi en vous disant que vous serez à votre travail à huit heures. À huit heures moins le quart, une voiture vous rentre dedans, à huit heures et demi vous êtes aux urgences et vous ne sentez plus vos jambes. Imaginez le drame que ça peut être ! »

Au choc succède l'atteinte corporelle. Parmi les séquelles laissées par l'accident, paralysie, tétraplégie, amputation, articulations détruites, traumatisme crânien... Le travail de réadaptation est long, d'autant plus qu'il varie en fonction de la psychologie du patient. Chacun a sa propre façon d'appréhender son handicap. Marqués dans leur chair, les patients ne se considèrent pas pour autant comme des survivants. « L'accident se fait très vite dépasser par la souffrance physique et la perte d'autonomie », avance Valentine Gourinat, doctorante spécialisée dans les questions liées à l'image du corps amputé, qui a effectué un stage de trois mois au centre. Les patients se focalisent plus sur le présent et l'avenir que sur le passé. « Est-ce que je vais remarcher ? Est-ce que je vais être dépendant de quelqu'un toute ma vie ? Vais-je pouvoir reprendre mon travail ? », autant d'interrogations que se posent les accidentés accueillis à Clémenceau. « C'est la conséquence qui est épouvantable à vivre pour eux. Ils auraient pu avoir un accident et s'en sortir indemnes », résume Valentine Gourinat.

Faire le deuil de sa vie d'avant

Il y a la souffrance psychologique liée à la blessure bien sûr, mais aussi à l'événement lui-même. « Bien évidemment, il y a des traces psychologiques en fonction des circonstances, admet Valérie Zaegel. Il y a un sentiment d’injustice ou de culpabilité selon les cas. « Je suis tétraplégique alors que mon petit copain qui conduisait est indemne », ou alors : « je l’ai laissé conduire alors qu’il avait bu » ». L'écoute psychologique est une part importante du travail de rééducation. « On part toujours du patient, de sa façon de vivre sa situation », souligne la cadre de santé infirmier.

Et comme après chaque accident de la vie, une période de deuil est nécessaire. Contrairement à un handicap lié à une maladie, un handicap lié à une violence routière est brutal. Il tombe sur la victime en une fraction de seconde. « Les victimes passent par plusieurs phases comme la colère, la frustration ou le déni avant d’accepter leur situation », commente Valérie Zaegel. Elle explique que certains patients ne passent pas par ces phases de deuil et arrivent directement à la phase d'acceptation, ce qu’elle appelle le « saut de Tarzan ». Elle raconte l’exemple de ce jeune homme devenu tétraplégique à la suite d’un accident de moto. « Il n’avait même pas trente ans, il était coincé dans un fauteuil roulant et il me disait que ce n’était pas ce qui lui était arrivé de pire dans la vie. » Mais si certains font très bien le « saut de Tarzan » durant leur séjour en rééducation, la phase de deuil peut les rattraper ensuite. « Elle est alors bien plus difficile à vivre », prévient Valérie Zaegel.

Une fois le deuil surmonté, les victimes acceptent leur situation. « Il n'est pas rare de voir certains patients changer complètement de vie », raconte Valérie Zaegel. Pour Valentine Gourinat, « le point important dans la réadaptation, c’est le projet de vie, comment le patient envisage son avenir. En général quand un patient a un projet de vie, la réadaptation se fait plus rapidement. ».

« Un accident, c’est une seconde, les séquelles, c’est toute une vie »

Toute cette souffrance laisse aussi des traces sur le personnel soignant. « J’ai travaillé pendant plusieurs années aux urgences, raconte Valérie Zaegel. J’ai vu des accidents tragiques, injustes, même pas racontables. » Pour elle, les accidents sur la voie publique sont toujours « un peu bêtes ». « Il y a un courant de pensée qui dit que ça n’arrive jamais par hasard. Moi je suis dubitative. Effectivement, des fois, c’est dû à un enchaînement de circonstances. Et d’autres fois on est juste là au mauvais endroit, au mauvais moment. Bien sûr si on a bu, on ne pourra pas dire qu’on ne l’avait pas un peu cherché. Mais un accident, ça peut être aussi bête qu’un motard qui se retrouve tétraplégique parce qu’il freine à un feu rouge et passe par-dessus le guidon. »

Un sentiment que ne partage pas le docteur Seynaeve : « Les accidents sont pluri-factoriels, admet-il, mais il y en a qui font sciemment les imbéciles, qui jouent avec le feu. Quand on conduit en ayant bu, qu’on ne respecte pas les limitations de vitesse, on est imprudent. Je passe mon temps à me battre pour réparer des patients parce qu’en une seconde, cette personne ou une autre a fait n’importe quoi. Un accident, c’est une seconde, les séquelles, c’est toute une vie. » Travailler auprès d’accidentés de la route change aussi son regard sur les autres automobilistes. « On se rend compte que chacun est dangereux à son niveau, confie Valérie Zaegel. Ça m’est déjà arrivé à un feu rouge de baisser ma vitre et d’interpeller un chauffard : « Venez faire 24 heures aux urgences, on verra comment vous conduirez après ».

Caroline Sicard

Avec ses qualifications paralympiques de Sochi, Mehmet Cekic estime avoir retrouvé sa place. Photo Caroline Sicard

« Je refuserais de récupérer ma vie d'avant »

Victime d'un accident de la route il y a cinq ans, Mehmet Cekic a dû se faire amputer la jambe. Un traumatisme à l'époque. Pourtant, aujourd'hui il ne voudrait pas revenir en arrière.

Dans son restaurant situé dans la zone d’activité de Barr, Mehmet Cekic s’occupe des dernières finitions décoratives. Ouverte depuis début octobre, la salle donne en arrière sur une boucherie et une épicerie. « J’ai toujours pensé qu’il fallait avoir plusieurs activités », confie-t-il. Le sourire aux lèvres, il explique avoir participé à tous les travaux. En le regardant s’affairer, l’observateur attentif pourra noter un léger boitement : Mehmet est amputé du tibia gauche.

Aujourd’hui, cet entrepreneur de 45 ans ne regrette rien de sa vie passée. « Si un magicien avait la possibilité de me rendre ma jambe, mais à la condition que je récupère ma vie d’avant, je refuserais. » En 2009, Mehmet est victime d'un accident de moto. Un événement qui va changer sa vie. « J’ai toujours vécu à 200 à l’heure. Mais avant je travaillais 16 heures par jour, je ne voyais jamais ma famille », explique-t-il. Depuis, ce père de famille a redécouvert ses priorités. Il passe plus de temps avec ses deux enfants, âgés de 6 et 11 ans, et travaille avec sa femme dans l'entreprise qu'il a créée. « Cet accident m'a permis de me recentrer, de me poser. Et j’ai pu revenir à ce que j’ai toujours aimé faire, le sport. » Ancien champion d’haltérophilie, mordu de sports en tous genres, ce passionné reprendra vite la direction des pistes de ski. Il passe les premier et second degrés de monitorat, avant de se qualifier pour les Jeux paralympiques 2014, à Sochi.

Mais pour en arriver là, il a fallu du temps et traverser bien des phases de doutes et de désespoir. À commencer par ce jour d’automne 2009 où Mehmet doit accepter son amputation. « Pendant des semaines, j’ai cru qu’on pourrait sauver ma jambe. J’étais en détresse, je ne voulais pas qu’on la coupe. » Et puis Mehmet finit par accepter l’inéluctable. « Le plus difficile, ce n’est pas de prendre la décision, c’est au réveil, quand on voit sous le drap qu’une jambe continue et l’autre pas. »

« Je n'aimerais pas être à la place de celui qui m'a fait ça »

Après son amputation, il est transféré au centre de rééducation Clémenceau, à Strasbourg. Les premiers temps, Mehmet est en colère, contre le chauffard qui l'a renversé. L'accident, il le refait, mille fois, cent mille fois dans sa tête. « On se dit, « tiens, si on avait pris un café, si on était parti cinq minutes plus tôt, ça ne serait pas arrivé. »On réfléchit à toutes les possibilités qu’on aurait pu avoir, mais le résultat est quand même là. » Un jour, dans une salle d'attente du centre, alors qu’il discute avec une autre patiente, il attaque vertement le chauffard qui l’a renversé après s'être endormi sur la route. Jusqu’au moment où son interlocutrice, immobilisée des pieds à la tête dans un fauteuil roulant, lui répond : « Tu sais, moi aussi je me suis endormie au volant, j’ai percuté un bus. » « À ce moment là, j’ai réalisé que ça pouvait arriver à tout le monde. Au début je cherchais le responsable qui m’avait fait mal comme ça. Puis je me suis dit que je n’aimerais pas être à sa place, que je supporterais moins bien sa situation que la mienne ».

Alors, au lieu de broyer du noir, il se force à regarder les points positifs. « Après j’ai compris que tous les jours on évite des accidents. Je me suis dit que c’était peut-être le destin, qu’il y avait une croix au sol pour nous ce jour là, que ce n’est pas arrivé pour rien. Et puis si on avait évité la voiture, elle aurait tapé celle de derrière, il y aurait sûrement eu des morts. »

Caroline Sicard