Faire face au désordre

Un accident de la route est un événement imprévu, parfois tragique et souvent traumatisant. Lorsque cela se produit, la société s'organise pour répondre du mieux qu'elle le peut à ce type de sinistre. À un endroit qui était auparavant semblable à d'autres sur des milliers de kilomètres de routes, de multiples professions se croisent et doivent travailler ensemble pour prendre en charge les victimes, les personnes impliquées et les véhicules.

Dans la nuit du samedi 6 décembre au dimanche 7 décembre 2014, une Citroën Xantia fait une sortie de route dans la montée du Nideck, à environ neuf kilomètres d'Oberhaslach. Il est aux alentours de minuit lorsque la voiture se déporte du côté droit de la route et heurte un poteau électrique, arraché par le choc, pour finir sa course contre un arbre. À l'intérieur, trois personnes. Le conducteur et le passager arrière s'en sortent indemnes. Le passager avant droit, un homme de 65 ans, est déclaré décédé par les services du SAMU une dizaine de minutes après leur arrivée sur les lieux de l'accident.

Quelques minutes après la sortie de route, le Centre de traitement des appels du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Bas-Rhin est prévenu et engage d'importants moyens. Des sapeurs-pompiers d'Urmatt et du centre des secours principal de Molsheim sont envoyés sur place, rejoints par une équipe du SMUR de Sélestat, un médecin d'astreinte du SAMU de Strasbourg et deux gendarmes venus de Saâles.

Mais les services de secours ne sont pas les seuls à se déplacer sur les lieux de l'accident. D'autres professions s'y retrouvent, dépanneurs, employés du conseil général, techniciens de l'Électricité de Strasbourg, employés des pompes-funèbres et parfois des témoins.

Tommy Cattaneo

Les sapeurs-pompiers de Molsheim

C'est plus facile d'être confronté à quelqu'un qui sort de la voiture en vous disant j'ai un peu mal au cou

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Beaucoup de moyens engagés
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Le lieutenant Jean-Philippe Bolis, ce soir-là chef de groupe des sapeurs-pompiers, a été l'un des premiers à intervenir sur les lieux de l'accident. Une quinzaine de personnes au total, et beaucoup de moyens engagés. « Deux ambulances, avec un véhicule de secours routier, un fourgon pompe-tonne, et un groupe de désincarcération. Il y avait aussi un véhicule de balisage. On a été renforcés par un VL [véhicule léger] du Smur de Sélestat et un VL du Samu de Strasbourg. »

Sur un accident de la route, le chef de groupe est le responsable des opérations de secours. Il coordonne l'intervention des sapeurs-pompiers et des personnels du Samu présents sur place, et sert d'interlocuteur à toute personne présente sur le site.

« Il y a certains types d'intervention où on a besoin de la psychologue »

Premiers concernés par les interventions sur les accidents de la route, les sapeurs-pompiers du Sdis 67 ont la possibilité de demander une prise en charge psychologique en cas de traumatisme lié à leur activité de secours.

Pour le capitaine Sébastien Rossi, chef d'opération du CTA-Codis 67, tout dépend de la solidité du pompier, de son état et du type d'accident sur lequel il intervient.

Laurent Tritsch, médecin et chef de service du Samu

Une intervention coordonnée

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« Une situation de perte de contrôle du véhicule »
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« Je suis intervenu en tant que médecin d'astreinte du Smur de Strasbourg. J'ai quitté mon domicile pour retrouver le Smur de Sélestat, également appelé sur les lieux. Nous sommes intervenus sur une sortie de route en direction de Wangenbourg. »

« Son pronostic vital était engagé »

« L'équipe de Sélestat s'est occupée du blessé le plus grave et je me suis occupé des deux autres personnes. Le passager avant se trouvait dans un état particulièrement grave avec un pronostic vital engagé. Mes collègues du Smur de Sélestat ont interrompu la réanimation médicalisée après 10 minutes de soins à peu près [le patient est décédé]. Les deux autres personnes sont moins sévèrement touchées, avec uniquement des lésions bénignes. »

La gendarmerie de Saâles

Déterminer les causes de l'accident

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Prendre la température sur les lieux
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Lorsqu'un accident se produit, le Centre de traitement des appels du SDIS du Bas-Rhin prévient la gendarmerie départementale de Strasbourg, qui envoie une équipe sur les lieux. A leur arrivée sur la départementale 218, les deux gendarmes de Saâles ont contrôlé si la voiture était en état de circuler, ont pris des photos et ont marqué à la bombe de peinture la position du véhicule, utile en cas de reconstitution de l'accident. Les militaires ont dû ensuite identifier les personnes impliquées dans l'accident : le conducteur, les passagers et les témoins éventuels. Ils ont contrôlé également l'alcoolémie du conducteur du véhicule, sur place ou à son arrivée à l'hôpital à l'aide d'une prise de sang.

Suivi psychologique entre camarades

Si les gendarmes peuvent demander à rencontrer un psychologue en cas de traumatisme à la suite d'une intervention, rares sont ceux qui le font. Le suivi psychologique se fait, à les entendre, plutôt entre camarades, et certains, à force d'expérience, gardent une distance froide avec les événements qui pourraient les traumatiser. Quand ils vont sur un accident, ils ont, disent-ils, « leur job à assurer ».

Alexandre Biacchi, dépanneur remorqueur à Saâles

Le risque de la route, on le voit tous les jours

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« Notre boulot c'est d'enlever le véhicule pour dégager la route »
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Appelés à 0h45, Alexandre Biacchi et un autre employé de la société de dépannage sont arrivés sur les lieux vers 1h15. « On a eu un appel de la gendarmerie pour nous signaler un accident. Le véhicule était encastré dans un arbre, on s'est mis avec la dépanneuse, on l'a treuillé et on l'a sorti du talus d'où le véhicule était coincé. » Les deux dépanneurs rentrent au dépôt à 3h40.

« Pas le choix »

« Quand on est appelés, on sait qu'on a un accident mais on ne sait pas de quoi il s'agit. On le gère parce qu'on n'a pas le choix. Parce que c'est notre métier et puis nous, on travaille sur la carrosserie, sur la voiture, alors que les pompiers, c'est un autre boulot. Eux, ils travaillent avec les victimes. On ne va pas dire qu'on s'y habitue mais presque quoi…. »

Nicolas Diebold et Denis Eichhorn, agents du Conseil général du Bas-Rhin, à Molsheim

En général, on part les derniers

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« Sécuriser les lieux pour éviter le sur-accident »
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« La gendarmerie a contacté le PC route à Strasbourg, qui a ensuite appelé notre responsable d'astreinte, lequel nous a prévenu. On a été appelés à 1h10 du matin et on est partis de chez nous dans la foulée », explique Denis Eichhorn.

« On est arrivés là-haut vers deux heures. La première fonction, c'est de sécuriser les lieux pour éviter un sur-accident. On a bloqué une voie et laissé l'autre libre en faisant bien attention à ce que la circulation se passe correctement, mais à cet endroit il n'y en a pas trop, donc ça allait très bien. On a laissé les panneaux sur place parce que la voiture a percuté un poteau électrique et que le câble est trop bas. C'est pour prévenir les usagers, les grumiers et les camions afin d'éviter qu'ils arrachent le câble. Les panneaux resteront sur place jusqu'à ce que l'Electricité de Strasbourg intervienne et que tout soit de nouveau aux normes. »

Un technicien de l'Electricité de Strasbourg était également présent sur les lieux de l'accident, la voiture ayant détruit le poteau d'une ligne privée de l'Office national des forêts destinée à alimenter la maison forestière située quelques centaines de mètres plus loin.

Jean-Claude Charpentier, agent technique de l'ONF à la maison forestière du Nideck

Ils peuvent toujours avoir besoin d'un coup de main

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« J'ai vu qu'il y avait du mouvement alors j'y suis allé »
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« Je suis sorti parce que j'ai entendu du bruit, puis je me suis inquiété. J'ai attendu un moment avant d'y aller, j'ai vu qu'il y avait pas mal de mouvement, les gyrophares, alors je me suis déplacé, ils peuvent toujours avoir besoin d'un coup de main. »

« Je dormais mais j'ai été réveillé. Il devait être 1h et demi je crois. Je me suis levé, je me suis habillé et j'y suis allé en voiture. Il y avait le chef des pompiers qui m'a dit qu'il y avait eu un accident et... un décès. Les blessés étaient déjà partis. Je ne suis pas resté longtemps, je n'aime pas beaucoup ça. »

« Les curieux, ça existe partout »

« Je connaissais la personne décédée. Quand j'y suis allé, je ne savais pas qui c'était, c'est quand j'ai vu sa voiture. Mais là ce n'est pas lui qui conduisait. Ça fait drôle, c'est vrai. Il passait sur cette route 2, 3 fois par jour, régulièrement, mais il ne roulait pas vite.»

« Toute la semaine il y eu a beaucoup de monde qui s'arrêtait. Les curieux, ça existe partout. Je connais des gens du village qui n'avaient rien à faire là, qui ne sont pas de la famille mais je sais pas c'est morbide, je suis désolé c'est morbide. Si je peux éviter ça, moi j'évite. Je ne vois pas ce que j'ai à faire sur les lieux de l'accident quand il y a eu un décédé. »

Patrice Bande, gérant des pompes-funèbres à Barembach

C'est comme les maillons d'une chaîne

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« On est sous l'autorité des gendarmes et du procureur »
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« On est appelé en général par la gendarmerie sur réquisition judiciaire, donc on a été appelés il était 2h15 du matin. Sur les lieux, on a toujours un peu d'attente, on ne sait jamais si les constatations sont terminées. On est sous l'autorité des gendarmes présents sur place. On est les seuls ici, dans la haute vallée de la Bruche, à être accrédités par le tribunal de Colmar pour tout ce qui est transport judiciaire. Cela nous oblige à être de permanence 24h sur 24 tous les jours de l'année, parce que ça peut se produire à n'importe quel moment. »

« Cette nuit là, vers trois heures et quart, on a été autorisés à prendre le corps en charge et le ramener ici, à Barembach. Le lendemain matin, on a eu des nouvelles du procureur, toujours par l'intermédiaire des gendarmes, qui nous a demandé d'amener le corps à l'Institut médico-légal de Strasbourg pour ce qu'on appelle une levée de corps. C'est un examen, on va dire superficiel, pas une autopsie. »

« On fait partie d'une chaîne et il faut faire notre travail »

Contrairement à d'autres professions, les employés des pompes-funèbres ne bénéficient pas d'un suivi psychologique. Ils en parlent entre-eux, pour évacuer. Tout en étant parfaitement conscients du rôle central qu'ils ont à jouer dans la prise en charge des victimes d'accidents.

L'appel au secours

Face à l'urgence de l'accident, quel numéro composer pour appeler les secours ? Peu importe le centre d'appel, les opérateurs échangent leurs informations pour adapter l'envoi des secours. Vient ensuite le moment de retourner l'information vers les usagers.

15, 17 ou 18¹. Pas évident de faire le bon choix de numéro, surtout lorsqu'on vient d'assister à un accident, ou pire, d'en vivre un. Heureusement pour les victimes, leur interlocuteur au bout du fil est rodé aux échanges d'informations. Localiser l'appel avec le plus de précision, déterminer la gravité de l'accident, l'état d'urgence des victimes, et envoyer des moyens adaptés, c'est le quotidien des opérateurs des pompiers et des assistants de régulation médicale chez le Samu. Si les moyens techniques entre les deux institutions sont similaires, « les opérateurs [des pompiers] ont des outils d'aide à la localisation que le Samu n'a pas, donc quelques fois le Samu nous retransfère le requérant directement », précise le Lieutenant Florent Schmidt, responsable adjoint du CTA-Codis de Strasbourg.

Situer l'accident est une mission qui oscille entre pure formalité et vrai jeu de piste. « Soit la personne est en capacité de nous donner les coordonnées via son GPS. Soit elle connaît son itinéraire et l'opérateur lui parle de points de repère bien précis. Si on est sur l'autoroute, on va s'orienter ou se localiser grâce aux aires d'autoroute, aux stations-services, aux points kilométriques. Même s'ils ne savent pas où ils sont généralement, les gens se rappellent quand même du dernier village ou de la dernière ville qu'ils ont dépassée », explique le lieutenant Schmidt.

Un système d'alerte automatique

En cas d'accident grave, le Samu est alerté immédiatement par les pompiers quand il n'a pas été prévenu directement. Une équipe du Smur avec à son bord un médecin urgentiste, un infirmier et un ambulancier, se tient prête à partir en deux minutes chrono. « La particularité dans ce genre d'appel, c'est de réussir à glaner le maximum d'informations. Le plus difficile à gérer c'est la panique sur place. Une fois que j'ai pris toutes les informations sur la localisation précise de l'accident, que j'ai le nombre de victimes le plus précis possible, l'état des victimes, je transmets au médecin et en général on envoie directement les moyens de secours sur place », détaille Thierry Barthel, assistant de régulation médicale au Samu.

Les forces de l'ordre, si elles n'ont pas été appelées auparavant, sont prévenues automatiquement par les opérateurs du CTA-Codis ainsi que par des organismes publics et privés. Comme la Sanef concernant les autoroutes, la Dir-est pour les routes nationales et les services routiers du Conseil général pour les routes départementales.

Le système fonctionne bien. Mais une marge d'erreur existe. Le Samu reçoit chaque soir beaucoup d'appels. Le manque de personnel, la fatigue, et la surcharge de travail peuvent entrainer des dysfonctionnements dans la transmission des informations entre les acteurs. Un appel urgent se perd dans la chaîne, de précieuses minutes s'écoulent avant sa prise en charge effective, avec des conséquences parfois graves. Un système avec trois numéros d'appel différents complexifie l'organisation des secours.

L'information circule dans les deux sens

Une fois l'information transmise par les victimes ou les témoins aux services de secours, elle va devoir emprunter le chemin inverse pour informer tous les usagers. Les automobilistes qui circulent quotidiennement sur les 3 600 km de routes du Bas-Rhin doivent pouvoir anticiper les perturbations dans le trafic, et éviter un sur-accident. Dans les locaux du service sécurité routière du Conseil général, les opérateurs vérifient les informations relatives aux routes départementales. Ils passent plusieurs fois par jour sur l’antenne de France Bleu Alsace pour annoncer les dernières évolutions du trafic.

Un opérateur du Conseil général donne en direct les dernières informations trafic à l'antenne de France Bleu Alsace. Photo Thomas Gathy.

C’est le résultat d’un partenariat mis en place depuis 2011 entre le Conseil général et la principale station de radio alsacienne, après le succès d'une initiative similaire avec le Sirac (Service de l'information et de la régulation automatique de la circulation). Le service s’est même étendu, puisque désormais les auditeurs qui assistent à un accident peuvent intervenir directement sur la radio dès que la situation l’exige, s'ils sont témoins d’un problème qui n’a pas encore été signalé sur l’antenne de France Bleu. Leur appel est filtré par une chargée d’accueil qui vérifie que l’auditeur, un « patrouilleur » selon le langage de la station, n’est pas en train de conduire lorsqu’il communique avec la radio, et transmet ces informations aux professionnels de la route pour qu’ils la vérifient. Sébastien Meunier, responsable des programmes pour France Bleu Alsace, est sûr que cette initiative a permis « d’éviter des accidents ou des sur-accidents ».

Les nouvelles technologies au secours des usagers

Plusieurs sites internet d’information routière ont vu le jour ces dernières années, profitant de la démocratisation des GPS et des smartphones. Le Conseil général a lancé le sien (Info route 67) en 2009.

Ce site connaît un franc succès puisque son niveau de fréquentation ne cesse d’augmenter avec un pic de 60 000 connexions au mois de janvier 2013. D’autres pages web ont également vu le jour, comme V-Traffic, né il y a plus de huit ans. En plus des données que leur envoient les particuliers avec leurs smartphones, l'entreprise a développé des accords avec des sources gouvernementales et privées comme les autoroutiers ou les flottes de taxis. Ce qui compte ici, c'est la réactivité, comme le précise Agneta Ronceret, responsable marketing et communication de V-Traffic : « L'information va être publiée très rapidement pour ne pas perdre de temps mais elle sera ensuite triée et vérifiée. Si on n'a pas de re-confirmation, l'événement va très rapidement disparaître ».

Donner l'information pour ensuite en recevoir, les usagers sont aux deux bouts de la chaîne des secours sur un accident de la route.

1. Un appel au 18 est destiné au Centre de traitement des appels du Sdis (pompiers). Il déclenche un départ réflexe d'une unité disponible, des pompiers ayant une formation de secouriste mais pas obligatoirement accompagnés d'un médecin. Un appel au 15 arrive au centre de régulation des appels du Samu. Après qu'un assistant de régulation médicale a collecté les informations de base, l'appel est transféré à un médecin régulateur qui détermine la gravité et le type de secours à envoyer sur place, soit une équipe de pompiers, soit une ambulance privée, soit le Smur. Une équipe du Smur est toujours composée d'un médecin-urgentiste, d'un infirmier et d'un ambulancier. Un appel au 17 arrive soit à la police soit à la gendarmerie, selon le lieu d'intervention, en ville ou à la campagne. Les forces de l'ordre contactent les secours médicaux s'il y a des blessés.

Thomas Gathy et Charles Thiallier


La voie de la justice

Une fois les victimes secourues, les forces de l’ordre, aidées au besoin d’experts judicaires, entrent en action pour déterminer les responsabilités. La justice peut être saisie pour juger les auteurs et fixer le préjudice des victimes.

Il n’est ni policier, ni gendarme. C’est un expert automobile. René Boulliung résout pourtant des accidents de la route « lorsque les causes sont indéterminées et que les forces de l’ordre n’arrivent pas à reconstituer les faits », précise-t-il. « Les policiers et les gendarmes n’ont pas vocation à connaître les raisons d'un accident, à calculer les vitesses, à reproduire la scène. » Ce travail, c’est celui de l’expert judiciaire en automobile.

Son rôle : « Reconstituer, rembobiner l’accident pour expliquer ce qui s’est passé », indique Joël Haas, gérant d’une entreprise d’experts automobile qui en emploie deux. Pour cela, le parquet accorde à ces enquêteurs de l’ombre l’accès « à tout le dossier »: « Les déclarations des témoins, les plans, les photos des forces de l’ordre… On peut même demander à interroger les victimes et auteurs présumés. L’expert judiciaire a tout pouvoir », souligne René Boulliung.

Une reconstitution de l’accident sur ordinateur, en images de synthèse

Mais il se base avant tout sur des considérations techniques. « On regarde la configuration des lieux de l’accident, la position finale des véhicules, s’ils avaient des défauts, les points d’impact, les enfoncements dans la carrosserie… On prend des mesures. On intervient rarement sur place, le jour de l'accident. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, les autorités bloquent les routes, parfois pendant huit jours, pour laisser travailler l'expert. En France, on travaille surtout dans le garage, sur les véhicules. Même si on retourne sur les lieux de l’accident avec les forces de l'ordre. »

Grâce aux données relevées, l’expert judiciaire peut retracer les courses des véhicules et reconstituer l’accident sur ordinateur. Cette intervention, qui dure plusieurs semaines et qui se chiffre à près de 5 000 euros pour la justice, peut se révéler décisive. « Une nuit, un conducteur avait été retrouvé mort après un accident de deux-roues, se souvient René Boulliung. Il n’y avait aucun témoin. En faisant des relevés, on a pu découvrir qu’il avait été renversé par une voiture et qu’il y avait eu délit de fuite. »

Grâce aux mesures relevées sur les véhicules et aux photographies fournies par les forces de l'ordre, l'expert judiciaire peut faire une reconstitution de l'accident sur ordinateur en images de synthèse. Montage Cuej Thomas Gathy

« Un automobiliste qui se repent sera traité avec plus de bienveillance »

Une fois les circonstances de l’accident établies, la justice prend le relais. Sa première fonction : sanctionner le responsable de l’accident s’il y en a un, en s’appuyant sur le rapport de l’expert. Ce n’est qu’un des éléments qu’examinera le tribunal, qui peut être amené à prendre en compte d’autres facteurs, comme le casier judiciaire, les circonstances, ou le comportement à la barre. Selon l’avocat Didier Reins : « Certains automobilistes disent à l’audience qu’ils ne comprennent pas ce qu'ils font là, que c'était un banal accident, qu'on a le droit de boire de temps en temps. Ils n’attirent pas la clémence du juge. A l'inverse, un automobiliste qui se repent sera traité avec plus de bienveillance ».

Me Lenger insiste pour sa part sur les circonstances atténuantes : « Lors d’un accident, l'auteur, un saisonnier, avait perdu le contrôle de son véhicule après s'être assoupi, raconte l’avocat. Il a eu une atténuation de sa peine car son patron l'avait obligé à travailler bien au-delà du temps réglementaire ». Le défenseur peut mettre en scène les conséquences d’un jugement sévère : « La sanction est toujours adaptée, affirme Me Reins. L’automobiliste dont les seuls revenus font vivre sa famille sera moins lourdement sanctionné que s’il est célibataire. S’il va en prison, il perd son travail et son salaire, et toute sa famille peut être à la rue ».

La justice a aussi pour mission de fixer les dédommagements des victimes. Mais comment calculer la perte d’un bras, une difficulté à marcher ou des maux de dos récurrents après un accident de voiture ? C’est le rôle du médecin expert judiciaire. « On s’appuie sur un barème très complet, explique le docteur Gérard Weindling. Après un examen clinique, on doit fixer une liste de préjudices. Par exemple le préjudice d’agrément, sur l’incapacité de pratiquer certains loisirs, la souffrance subie, ou le dommage esthétique. Il y a une échelle de 0 à 7. Mais tout dépend de la vie de la victime. Si une actrice a une cicatrice sur la figure à cause de l’accident, ce sera 5 ou 6 sur 7. Si elle a une cicatrice au genou, ce sera beaucoup moins. »

« L'indemnisation de la victime sera à hauteur de ce qu’elle arrivera à prouver »

Le médecin expert judiciaire rend un rapport sur lequel les avocats vont pouvoir s’appuyer. Celui de la victime pour demander une indemnisation financière située dans une fourchette haute, celui de l’auteur dans une fourchette basse. « Mais ce n'est pas parce que vous êtes victime que vous êtes présumé avoir eu un dommage. On peut le penser, mais c'est à vous de le démontrer, rappelle Me Lienhard. L'indemnisation sera à hauteur de ce que la victime arrivera à prouver. »

L’avocat de l’auteur tente pour sa part de minimiser les conséquences de l’accident pour les victimes. « Si un étudiant a raté ses examens à cause d’un accident, qu’il était dans une grande école et qu’il était certain de trouver rapidement un travail, il bénéficiera peut-être d’un an de préjudice de carrière et d’un an de préjudice de retraite, raconte Me Lienhard. Mais s’il est dans une filière qui ne mène à aucun emploi, l'assureur va dire : "Il aurait eu son diplôme mais n'aurait pas eu d'emploi. Il ne doit pas y avoir de préjudice de carrière" ».

Avocats et assurances décortiquent la vie des victimes qui, déjà confrontées à la douleur de l’accident, doivent se justifier sur les conséquences de leurs blessures. Voire sur leur rôle pendant l’accident. « Quand c'est du corporel, avec des personnes en invalidité, le coût est énorme pour l'assurance, explique l’expert automobile Michel Drost. Alors elle essaie de réduire la part de responsabilité de son client. Par exemple, lorsqu’un motard est victime, les assurances veulent savoir s’il n’était pas en excès de vitesse. »

« Mais on fait toujours attention à ne pas aller trop loin, assure Me Reins. On ne dira jamais à une victime qu’elle exagère. Face à nous, il y a des gens dont on ne pourrait comprendre les souffrances qu’en ayant un accident à notre tour. » Des souffrances souvent irréparables, malgré les dommages et intérêts fixés par un juge.

Les condamnations pour violences routières en France

Condamnés pour blessures involontaires Condamnés pour homicides involontaires
par conducteur en état alcoolique par conducteur par conducteur en état alcoolique par conducteur
2000 2011 2000 2011 2000 2011 2000 2011
f
Tous condamnés 3953 1828 14722 5843 414 187 1428 744
En %
hommes 73.2 88.9 76.6 78.9 95.4 90.9 83.3 81.3
femmes 6.5 11.1 23.4 21.1 4.6 9.1 16.7 18.7
f
mineurs 0.1 0.4 0.4 1.5 0.7 1.1 0.5 0.9
18-19 ans 3.6 6.1 6.2 7.5 5.3 9.1 8.6 8.3
20-24 ans 19.3 18.9 19.5 19.2 26.8 26.2 20.4 20.0
25-29 ans 17.7 15.6 14.1 12.9 21.7 16.6 16.4 11.7
30-39 ans 27.4 21.4 19.4 18.5 24.9 21.4 20.5 16.9
40-59 ans 28.4 32.0 26.6 26.4 17.4 21.4 23.7 28.0
60 ans et plus 3.6 5.4 13.7 14.2 3.1 4.3 9.9 14.1

Source : Exploitation statistique du Casier judiciaire - SDSE - Ministère de la Justice

De l'enquête au tribunal

Un grave accident corporel vient d'avoir lieu. Les victimes ont été prises en charge par les pompiers et le Samu. Mais le traitement de l'accident est loin d'être terminé. Le chemin est encore long et les étapes nombreuses avant que la ou les victimes n'obtiennent réparation de leur préjudice. Un chemin qui diffère selon les circonstances et le type d'accident. Découvrez ce long parcours qui peut parfois durer plusieurs années, de l'enquête au tribunal, en faisant vos propres choix.

Accident corporel

Les forces de l'ordre se rendent sur les lieux. Elles enquêtent et recueillent les déclarations d'éventuels témoins et des personnes impliquées dans l'accident. Des tests d'alcoolémie et de drogue sont réalisés. Elles écrivent un compte-rendu au procureur de la République.

L'infraction au code de la route ne peut être prouvée

Il y a infraction au code de la route

Il n'y a pas eu d'infraction au code de la route

<

Les policiers ou les gendarmes, ne peuvent pas prouver, en l'état actuel des choses, qu'une infraction ou un délit a été la cause de l'accident de la route.

Un expert judiciaire est missionné

Aucun expert judiciaire n'est missionné 

<

Les policiers ou les gendarmes découvrent qu'une infraction a été la cause de l'accident de la route.

Traitement de l'accident au pénal

<

Les policiers ou les gendarmes sont certains qu'une infraction n'est pas à l'origine de l'accident de la route.

Il y a eu homicide

Traitement de l'affaire au civil

<

Le parquet peut missionner un expert judiciare pour savoir si l'accident est dû à une infraction. L'expert va pouvoir faire une enquête plus technique que les forces de l'ordre et établir une reconstitution précise de l'accident sur ordinateur. Si aucun expert judiciaire n'est missionné par le parquet, l'avocat peut en faire la demande au tribunal.

Il y a infraction au code de la route

Il n'y a pas eu d'infraction au code de la route

<

L'accident n'est pas grave. Le parquet décide qu'il n'est pas utile de faire appel à un expert judiciaire pour tenter de savoir s'il y a eu une infraction au code de la route. L'accident ne prendra donc pas la voie du pénal.

Traitement de l'affaire au civil

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Une ou plusieurs personnes ont été blessées lors de cet accident. Elles se retournent contre l'auteur présumé au civil pour obtenir réparation des dommages. Même s'il n'est pas pénalement responsable car il n'a pas commis d'infraction ou de délit, il peut être civilement responsable de l'accident.

Réparation au tribunal civil 

<

Il y a eu un ou plusieurs tués dans l'accident. C'est une infraction pénale. L'auteur présumé va être poursuivi pour homicide involontaire.

Traitement de l'accident au pénal

<

Les policiers ou les gendarmes découvrent qu'une infraction a été la cause de l'accident de la route.

Traitement de l'accident au pénal

<

Les policiers ou les gendarmes sont certains qu'une infraction n'est pas à l'origine de l'accident de la route.

Traitement de l'affaire au civil

<

Il y a ouverture d'une procédure pénale. L'auteur présumé qui peut avoir été placé en garde à vue, est mis en examen. Il est entendu par les forces de l'ordre.

Un expert judiciaire est missionné

Aucun expert judiciaire n'est missionné

<

Certaines circonstances de l'accident restent floues. L'expert va pouvoir faire une enquête plus technique que les forces de l'ordre et établir une reconstitution précise de l'accident sur ordinateur. Si aucun expert judiciaire n'est missionné par le parquet, l'avocat peut en faire la demande au tribunal.

Tribunal correctionnel

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L'ensemble des parties sont d'accord pour dire que les circonstances de l'accident sont suffisamment précises. Le juge peut donc rendre une décision sans avoir besoin de l'intervention technique d'un expert judiciaire.

Tribunal correctionnel

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L'auteur présumé de l'accident devient prévenu et est convoqué au tribunal correctionnel. Il y a une audience.

Coupable

Non coupable

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Le tribunal reconnaît l'auteur présumé coupable de l'infraction ayant entrainé l'accident de la route. Il est condamné à une peine prévue par le code pénal.

Les blessures sont légères

Les blessures sont graves et non consolidées

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Le tribunal relaxe l'auteur présumé de l'accident de la route. Il n'a donc pas commis d'infraction ou de délit ayant entrainé un accident corporel. Mais il peut être poursuivi au civil par la ou les victimes.

Réparation au tribunal civil

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Une réparation forfaitaire est réclamée tout de suite au tribunal par la ou les victimes, comme dédommagement.

Réparations au tribunal correctionnel

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Les blessures ne sont ni guéries ni stabilisées. Il est donc impossible de se prononcer sur le préjudice de la victime.

Renvoie devant la chambre des intérêts civils

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Le juge établit des dommages et intérêts pour la victime sans s'appuyer sur le rapport d'une expertise. La somme est payée par l'auteur ou le plus souvent, par l'assurance de l'auteur s'il en a une.

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L'auteur et la ou les victimes de l'accident se retrouvent devant cette chambre correctionnelle. Elle doit se prononcer sur le dédommagement des victimes.

Réparations à la chambre des intérêts civils

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Les préjudices de la victime sont évalués sur la base du rapport d'un médecin expert judiciaire. Les responsabilités de l'auteur et de la victime sont calculés en pourcentage. Le juge établit des dommages et intérêts qui sont payés par l'auteur ou le plus souvent, par l'assurance de l'auteur s'il en a une.

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Les responsabilités de l'auteur et de la victime lors de l'accident sont calculées en pourcentage. Les préjudices de la victime sont évalués, sur la base du rapport d'un médecin expert judiciaire. Le juge établit des dommages et intérêts qui sont payés par l'auteur ou le plus souvent, par l'assurance de l'auteur s'il en a une.

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Nature des peines prononcées en 2011 pour blessures involontaires par conducteur en état alcoolique

Source : ministère de la Justice

Julien Bigard