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Après la machine à vapeur, l'électricité et l'automatisation de la production industrielle, une nouvelle révolution des méthodes est en marche : l'industrie 4.0 fait entrer les technologies du numérique, la réalité augmentée et l'intelligence artificielle à l'usine.

Thierry Vogel en est convaincu : « La digitalisation, on va nous aussi y passer à un moment ou un autre. » Cet ingénieur méthode chez Hydromat (Éléphant bleu), qui gère quelque 470 stations de lavage, est à l'affût des nouvelles technologies qui pourraient trouver une application dans son entreprise. Récemment, il a repéré un modèle de casque de réalité virtuelle : « Lorsque nos clients, qui gèrent les sociétés de lavage, appellent notre hotline pour un dépannage, on est forcé de se fier à ce qu'ils nous disent. Or certains n'ont pas toujours la formation nécessaire pour comprendre nos conseils et agir correctement. Les équiper d'un tel casque pourrait nous permettre de voir ce qu'ils voient et de mieux les diriger, par exemple en entourant en rouge une zone. » Mais ce projet n'est pour le moment qu'un vœu pieu : « Le produit est encore beaucoup trop cher. Et puis, ce n'est pas encore tout à fait au point, on a le mal de mer si on l'utilise trop longtemps. Cela dit, on sait que ce genre de technologies évolue vite et que les prix baissent. Donc, en attendant, on reste au contact pour voir ce qui se développe. »

 

Toutes les entreprises n'ont pas les moyens d'investir dans les nouveaux équipements : l'industrie 4.0 n'est pas encore accessible à tout le monde. Crédit photo : ISAPUT

Comme cet ingénieur, de nombreux entrepreneurs s'intéressent aux possibilités qu'offrent les technologies numériques. Après la machine à vapeur, l’utilisation de l’électricité puis l’automatisation des machines, le 4.0 serait la quatrième révolution industrielle. Elle se caractérise par le recours aux technologies du numérique (réalité augmentée, intelligence artificielle, etc.) et à des machines connectées entre elles, capables de capter et de gérer, sans intervention de l’homme, une grande quantité d’informations. Le terme d'« industrie 4.0 », venu d'outre-Rhin, est en fait un label qui désigne la stratégie de développement du numérique dans les entreprises mise en place par le gouvernement allemand. Le concept a rapidement fait des émules et été copié à travers le monde. En France, il se décline plutôt sous la forme d'« industrie du futur », nom sous lequel a été lancé, en avril 2015, le projet du gouvernement français visant à transformer le modèle industriel par le numérique. « Au départ, on pensait que c'était seulement une mode, mais il s'agit d'un vrai mouvement mondial, juge Isabelle Botzkowitz, présidente d'Alsace Tech, un organisme chargé de mettre en réseau les grandes écoles d'ingénieurs, d'architecture et de management avec les entreprises locales. L’industrie 4.0 a des implications à la fois sur les techniques de production, sur le commercial et l’administratif. »

Produire sur-mesure... à l'échelle industrielle

L’Alsace compte au moins deux exemples aboutis d’entreprises ayant engagé ce genre de transformations. Le premier est le groupe Schmidt, spécialisé dans le mobilier de cuisine, via sa franchise Cuisinella. Dans son usine de Sélestat, les lignes de montage sont capables de produire des meubles de taille et d’aspect différents. Cela permet de proposer du sur-mesure aux clients, là où, avec une production à la chaîne traditionnelle, il n’est possible que de proposer un produit standardisé. « Nous offrons un degré de personnalisation comparable à celui d’un artisan, mais à l’échelle industrielle, c’est-à-dire produit bien plus rapidement, explique Tristan Cenier, animateur d'innovation chez Schmidt. La gestion des données nous permet également de coordonner l’activité de nos deux usines, pour fabriquer au moment où il y a un besoin et donc de minimiser les stocks. » L’usine PSA de Mulhouse a quant à elle lancé une nouvelle ligne de production en mars 2017, au prix d’un investissement de 400 millions d’euros. Elle est censée représenter la vitrine de l’usine du futur voulue par le groupe. Elle fonctionne en « monoflux intégral » : les différents modèles de voiture peuvent être assemblés sur une même ligne de montage. La logistique a été entièrement repensée : les pièces sont préparées à l’écart par des ouvriers puis acheminés par des chariots à guidage automatique sur la ligne de montage, où les opérateurs s’activent, épaulés par toutes sortes de robots et matériels connectés.

L'industrie 4.0 connecte les robots des usines entre eux, pour leur permettre d'effectuer des tâches plus complexes sans intervention des ouvriers. Crédit photo : ICAPlants

L’autonomisation des machines n’est pas sans conséquences sur le travail humain. « Il y a une hausse du niveau de qualification des ouvriers, et une baisse sur le volume d’opérateurs de production, admet Tristan Cenier, animateur d'innovation chez Schmidt. Mais les effectifs augmentent du côté dispositif produit et de la vente. » A PSA Mulhouse, la réduction de la pénibilité du travail humain, bien que mise en avant, ne fait pas l’unanimité parmi les employés : « Pour nous, cela s’est révélé être une aggravation de nos conditions de travail. Nous avons moins de déplacements car les pièces sont à portée de main. Mais cela va de pair avec une multiplication des gestes que l’on doit faire en plus, et une réduction des temps de repos. Ce n’est pas une image de dire que l’on n’arrête pas une seconde » déplore Julien Wostyn, secrétaire CGT à PSA Mulhouse, qui travaille sur la nouvelle ligne de production.

« Nous n’avons pas forcément les ressources pour développer ce genre de système »

PSA Mulhouse et le groupe Schmidt font figure d’exception dans le paysage alsacien. Pour nombre d’entreprises, la refonte du modèle de production est loin d’être aussi radicale. Elle s’opère le plus souvent par petites touches progressives. L’entreprise Liebherr a perfectionné depuis une dizaine d’années un système qui lui permet de récupérer des données en temps réel sur l’état de ses grues à tour de location. Elle développe désormais un logiciel de modélisation en 3D de ses machines pour permettre à ses clients de les intégrer dans leurs propres modélisations. Mais, pour beaucoup d’entrepreneurs, la mue vers le numérique est loin d’être une évidence. « Ils ne savent pas toujours par quel bout le prendre, par où commencer, car il n’y a pas toujours une bonne compréhension de ce qu’est le 4.0, analyse Isabelle Botzkowitz. A la base de toute démarche, il doit y avoir une réflexion stratégique de chaque entreprise pour définir ce qui peut lui être profitable. En d’autres termes : que faire des données collectées via ces technologies, comment les transformer en or noir ? » Poussée par le gouvernement, la Région s’efforce depuis quelques années de mettre de l’huile dans les rouages. Elle propose aux entreprises qui le souhaitent un diagnostic de leurs performances industrielles, sur la base duquel elles peuvent amorcer leur développement.

Par ailleurs, Alsace Tech propose aux entreprises de développer des projets avec des étudiants des grandes écoles d’ingénieurs, d’architecture et de management, ce qui représente une opportunité pour expérimenter des technologies, à moindres frais. Lors de la réunion de présentation des projets dans les locaux de la Haute école des arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg jeudi 15 mars, il était question de réalisations telles qu'un outil d’analyse des données de flux internes de l’usine ou de l’amélioration des capacités de conservation d’un légumier.

Venu par curiosité, Simon Schaeffer, responsable de production chez Burkert, confessait : « Nous avons quelques idées, comme s’équiper de tablettes pour digitaliser nos données de production qui, actuellement, sont sur papier. Mais nous n’avons pas forcément les ressources et la créativité en interne pour développer ce genre de système. Un partenariat avec des étudiants de l’INSA ou d’autres écoles pourrait être une solution. »

Eddie Rabeyrin

Les nouvelles technologies pour contrôler les distributeurs de publicité
« Avant, sur la feuille de route, on avait un temps donné pour la distribution. On nous donnait trois heures pour distribuer un secteur mais si on faisait cinq heures, on était payés trois heures » raconte René*, responsable syndical dans une entreprise de distribution de publicité.
Un combat syndical pour la reconnaissance effective du temps de travail qui a abouti il y a deux ans à la loi El Khomri. Une avancée aux effets pervers. Les salariés se retrouvent alors munis d'un GPS qu'ils doivent activer quand ils commencent leurs tournées. Quand le distributeur fait son trajet, il a un parcours précis à respecter. S'il s'écarte de son itinéraire, s'il le fait mal ou s'il met trop de temps à le réaliser, une alerte se déclenche. Une manière simple pour les employeurs de suivre à la trace leurs salariés sous couvert de bonnes intentions. 
En cas de problème de distribution « automatiquement, il y a une personne qui va venir faire le trajet avec le salarié pour vérifier » détaille René. Un sentiment d'être « traqué qui a fait fuir beaucoup de distributeurs » selon le syndicaliste qui explique lui s'être habitué au GPS.
* Le nom a été modifié.
M.T.
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