Vous êtes ici

En 2008, de nombreux habitants d’Ossétie du Sud ont fui le conflit armé face à la Russie. Relogés en urgence dans des camps, leurs conditions de vie varient. À Prezeti, village isolé, certains déplacés ne s’y font toujours pas. 

De loin, seuls les toits de tôle ondulée contrastent avec un décor de village vacances. Trois cents maisonnettes identiques entourées de jardins font face aux collines. Depuis 2008, le hameau de Prezeti abrite en réalité un camp de déplacés d’Ossétie du Sud. Casquette sur la tête, Nodari bricole un vieil engin agricole dans l’une de ces allées. Ce trentenaire, à l’air un peu bourru, est considéré comme une « personne déplacée interne » selon les Nations Unies. Il a fui à l’intérieur de son propre pays pour rejoindre la région de Mtskheta-Mtianeti, où il vit depuis quinze ans. Comme lui, beaucoup ont quitté l’Ossétie du Sud (territoire séparatiste) après les conflits armés de 2008 déclenchés par Moscou. C’est pour les reloger que 36 camps de déplacés ont vu le jour à travers le pays. D’énormes implantations, mais aussi de plus petites en zones rurales pour reloger d’anciens fermiers et fermières comme Nodari. Avec 700 autres déplacés ossètes, le gouvernement l’a installé à Prezeti. Objectif : lui permettre d’y reprendre son activité d’avant-guerre. C’était en tout cas l’idée initiale.

« Nos jardins sont trop petits »   

Si les champs abondent autour du camp, les déplacés n’en jouissent pas à leur guise. « Les terrains autour de nos maisons appartiennent aux locaux », affirme Nodari. L’ancien éleveur gagne désormais principalement son pain avec de petits boulots. « Je fais ce dont les gens (des environs) ont besoin, comme réparer du matériel », marmonne-t-il. Durant la guerre, ce natif du village ossète de Kurta a perdu ses deux maisons et la ferme familiale. Faute de moyens, il n’a pas pu retrouver pleinement son métier. « Nos jardins sont trop petits pour qu'on puisse être vraiment fermiers », conclut-il. En pratique, il y a juste assez de place pour des légumes, quelques poules. Parfois, de rares vaches se pressent dans des étables de fortune.

« Des patates, des haricots, des tomates », liste Omari Oghadze, en traversant son jardin, quelques encablures plus loin. Si le pré est verdoyant à cette période, ça n’a pas toujours été le cas. « Certaines années, on n’avait aucune récolte », affirme l’octogénaire, le plus gros problème, c’est l’eau. À Prezeti, cette dernière n’est disponible au robinet « que deux fois par jour », abonde son épouse Venera. Une situation compliquée pour ce couple précaire dont le maraîchage reste le principal revenu.

[ Plein écran ]

Originaire de Kurta, village sud-ossète désormais abandonné, Omari a été relogé à Prezeti par le gouvernement après le conflit de 2008. Il s'agit de l'un des 36 camps de déplacés existant en Géorgie. © Loris Rinaldi

 

Chaque déplacé reçoit de l’Etat une aide de 45 laris (soit 16,5 euros) par mois, une somme jugée dérisoire pour subsister. Car les déplacés de Prezeti se confrontent à la vie dans un lieu isolé. Entre les prix élevés des deux supérettes du village et la nécessité de payer les transports pour se rendre à Tbilissi lors de chaque démarche, les obstacles s’accumulent. Tout cela alimente la nostalgie des régions quittées en 2008. 

Une maison mais pas de chez soi

Dans son salon, Venera se penche sur des photos en noir et blanc qu’elle a soigneusement étalées sur la table. Des souvenirs de vacances en Ossétie que l’ancienne enseignante se remémore avec émotion. Celle qui a rejoint son mari dans le camp il y a quelques années peine à s’adapter à cette nouvelle vie. Assis dans un champ aux abords du village, Aleqsandre Shiukashvili confirme : « Je ne me sens pas chez moi ici. » Relogé depuis 15 ans, l’homme de 78 ans est désormais contraint de surveiller un champ pour gagner sa vie. Les larmes aux yeux, le vieil homme évoque son Ossétie du Sud natale avec une voix tremblante : « J’avais tout : un grand jardin, mon magasin, ma ferme. J’étais riche. » 

 

À l'instar d'autres déplacés, Aleqsandre Shiukashvili éprouve de la nostalgie quant à son ancienne vie. © Loris Rinaldi

Des traumatismes constatés par les spécialistes de l’association Empathy. À deux pas de l’université médicale de Tbilissi, sa fondatrice Mariam Jishkariani, docteure en psychiatrie, explique : « Ces déplacés peuvent présenter des syndromes de stress post-traumatique qui engendrent de l'anxiété et de la nostalgie et mènent parfois à des problèmes d’addiction ou de violence. » À Prezeti, beaucoup regrettent le président Mikheil Saakachvili, au pouvoir lors des conflits armés. « Le gouvernement actuel ne s'intéresse pas à nos conditions de vie », s’emporte Aleqsandre. Un sentiment d’abandon parfois renforcé par les pouvoirs locaux : « Je me suis rendu à l’administration de la région, ils ne savaient même pas où se trouvait Prezeti », s’étonne encore Venera. 

 Des petites avancées 

Pourtant dans le camp, Mari Gochashvili, directrice de l’école maternelle, voit la vie à Prezeti sous un meilleur jour : « Les conditions de vie dans le camp n’ont pas empiré, elles n’ont pas changé en 15 ans. Si vous voulez travailler, il y a des opportunités », assure-t-elle. Selon la directrice, ce sentiment est surtout provoqué par un retrait de certaines ONG. Néanmoins, cette déplacée, ancienne représentante locale du gouvernement, subit les contrecoups de cet isolement. Sa mission de directrice lui rapporte seulement 500 laris (185 euros) par mois, soit moitié moins qu’à Tbilissi.

Mari Mgebrishvili, représentante du gouvernement local, abonde dans ce sens. Dans le bureau qu’elle partage avec une médecin et une infirmière, elle raconte : « L’école maternelle a été refaite récemment, les réservoirs d’eau aussi, le gouvernement actuel a fait beaucoup de choses. » Des développements généralement soutenus par des investissements étrangers : lituaniens pour les panneaux solaires, japonais pour le jardin d’enfants, et américains pour les réservoirs d’eau. 

 

D’autres font vivre le village à leur échelle. C’est le cas de Mariam Sabiashvili, 20 ans, installée ici avec sa famille. En 2019, avec une ONG locale, la jeune femme a créé un centre pour jeunes avec une petite bibliothèque. Une maisonnette vert d’eau au cœur du camp pour se retrouver et échanger. Elle est aussi à l’origine d’un parc pour enfants et souhaite réhabiliter le stade endommagé. Pour l’instant, l’étudiante fait quotidiennement les aller-retours entre son village et Tbilissi où elle étudie l’écologie.  Si elle aime Prezeti et est pleine de projets, elle ne se voit pas y rester : « Il n’y a pas beaucoup d'opportunités pour ma future carrière. » Un manque de possibilité en partie responsable de la diminution de la population de certains camps de campagne comme Prezeti.

Camille Gagne Chabrol
Loris Rinaldi

Imprimer la page