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Terre rurale, les Vosges n’en sont pas pour autant un désert médical. L’infrastructure hospitalière est même l’un des points forts du département : près de 30 hôpitaux et cliniques, soit deux 2 lits pour 1000 habitants, le même niveau que la moyenne nationale et 38 pharmacies pour 100 000 habitants contre 37 pour la France. Le docteur Jean-Jacques Maglia, médecin au centre hospitalier d’Épinal, confirme : « D’une manière générale, nous sommes assez bien lotis en équipements et en professionnels de santé. Toutefois, pour les personnes éloignées des zones urbaines, comme dans l’est des Vosges, l’accès est plus difficile. Les professionnels de santé sont aussi amenés à se déplacer chez les patients qui ont des problèmes de mobilité. »

La CMU couvre 9253 Vosgiens
    Du côté des praticiens, l’offre est également non négligeable : 93 médecins généralistes pour 100 000 habitants, un chiffre correct mais inférieur à la moyenne nationale (102). Cependant, les spécialistes, concentrés autour d’Épinal, sont moins bien répartis sur le territoire. Contrairement aux généralistes qui offrent souvent des tarifs pris en charge par la sécurité sociale, les spécialistes pratiquent des dépassements d’honoraires, ce qui constitue un frein pour les personnes précaires. Une étude de l’UFC Que choisir démontre ainsi qu’aucun ophtalmologue vosgien ne propose les tarifs de la sécurité sociale. Les consultations chez le dentiste ou le gynécologue, par exemple, sont alors retardées, voire évitées pour des raisons financières. Chez ces spécialistes des hôpitaux publics, les listes d’attente s’allongent, confirmant le phénomène.
    Autre indicateur de paupérisation, le nombre de bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) a augmenté. Ce dispositif, qui permet à toute personne qui réside en France de manière stable et régulière et qui ne peut s’ouvrir des droits à l’Assurance maladie à un autre titre, de couvrir ses frais médicaux, concerne 9253 Vosgiens en 2011. Chiffre en hausse depuis 2007, la part de bénéficiaires de la CMU est passée de 1,04% de la population à 2,17%, suivant la courbe observée au niveau national (2,17% en 2007 contre 3,33% en 2011).

Des permanences contre les addictions
Une paupérisation observée sur le terrain par les professionnels de santé, qui notent également une hausse des dépendances à l’alcool et aux drogues illicites sur le territoire. « Chez nous, la majorité des patients viennent pour des problèmes d’alcoolisme. Est-ce parce que la communication est plus efficace et qu’ils sont de moins en moins dans le déni ? Est-ce parce qu’il y a plus de personnes dépendantes à l’alcool ? Je pense que les deux raisons sont recevables. Avec la création de deux nouveaux centres, nos capacités d’accueil ont aussi augmenté, ce qui joue sur nos statistiques », affirme Delphine Rémy, au centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie de Remiremont. Là, le nombre de patients suivis est passé de 306 en 2006 à 998 en 2011. Installées également à Saint-Dié et Épinal, ces structures associatives traitent des addictions de tout ordre en partenariat avec les hôpitaux. Des permanences de proximité sont proposées dans les centres communaux d’action sociale afin d’atteindre une population venant des zones rurales.
« Les catégories sociales que l’on retrouve souvent dans nos centres sont les ouvriers, les employés et les personnes sans emploi », ajoute Delphine Rémy. Si les hommes sont les plus touchés par la dépendance à l’alcool, une hausse chez les femmes est notable. Elles étaient 62 en 2006 et 227 en 2011.  

Des lieux sans espoir
L’addictologue Jean-Jacques Maglia remarque aussi que les consommations d’alcool fort se font de plus en plus jeune : « L’effet de groupe est plus intense dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Cela peut jouer sur le fait que la consommation d’alcool ou de drogues illicites se développe plus rapidement. » De là à établir un lien entre augmentation des dépendances et pauvreté, il reste prudent : « Il ne faut pas généraliser. Ce n’est pas forcément à cause des problèmes économiques que les personnes sombrent dans l’alcoolisme. C’est un fléau qui touche tous les milieux sociaux. Dans les zones où il y a de l’emploi, il y a aussi des personnes alcooliques. Néanmoins, on ne peut nier la réalité des vallées où des secteurs entiers dépendaient des anciennes industries textiles. Ce sont des lieux où il n’y a plus d’espoir. »
    Les pompiers sont les seuls à oser la corrélation entre augmentation des dépendances à l’alcool et difficultés économiques. Près de 70% des sorties concernent les secours à la personne, 8% les incendies, 22% des opérations diverses et 7% les accidents sur la voie publique. Au Service départemental d’incendie et de secours de Vosges, les interventions à caractère social ont augmenté depuis 2005. Le standard reçoit de plus en plus d’appels pour des personnes alcoolisées mais aussi des tentatives de suicide.
« On enregistre une hausse des interventions pour les tentatives de suicide. Depuis 2008, ce qui est surprenant, c’est le passage à l’acte qui a fortement augmenté », s’alarme Michaël Pierrat, médecin lieutenant chef des sapeurs-pompiers. Le nombre de personnes qui se sont donné la mort à domicile a plus que doublé de 2008 à 2011 (31 à 71). « Ces chiffres sont internes et ne prennent en compte que notre activité. Ils n’ont pas de valeur statistique, mais nous ressentons cette hausse au quotidien. Et nous pensons que c’est lié à la crise économique. Les personnes sont désespérées », affirme Michaël Pierrat.
    Les pompiers commencent à travailler en collaboration avec les assistantes sociales depuis 2004 en signalant les personnes en détresse remarquées lors des interventions. Mais les liens entre les deux catégories de professionnels ne sont pas encore officialisés, à leur grand regret.
Adama Sissoko

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