L’avortement est donc menacé au sein de l’Union. Si la plupart des pays européens l’autorisent aujourd’hui - il est légalisé ou dépénalisé dans 25 des 27 États membres, en dehors de Malte et de la Pologne -, en pratique, l’IVG reste fortement limitée dans certains pays.
En Italie, où gouverne le parti d’extrême-droite de Giorgia Meloni, la Première ministre a par exemple autorisé des associations anti-IVG à entrer dans les services de santé pour décourager les femmes d’avorter. Par ailleurs, l’objection de conscience permet aux gynécologues de refuser de pratiquer l’avortement, c’est le cas pour plus de 70% d’entre eux. Eleonora Cirant, militante italienne à l’Unione femminile nazionale, évoque d’autres problèmes d’accès : « Au manque d'informations stables et institutionnelles s'ajoute le dysfonctionnement des services, qui de plus ne sont pas répartis uniformément : plus de 40% des structures médicales ne pratiquent pas l'IVG. »
Mélissa Camara précise que ne pas protéger l’avortement, « c’est faire preuve d’une frilosité coupable, quand les droits des femmes reculent un peu partout », en Europe, mais aussi aux États-Unis, avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.
Comment reprendre la main sur son propre continent ? C’est la question que s’est posée l’Union européenne à l'occasion de la session parlementaire du mois de mars. Alors que Washington semblait vouloir abandonner le dossier ukrainien, un accord inattendu sur un potentiel cessez-le-feu est intervenu. Quand son principal allié est capable de tels revirements en si peu de temps, pas le choix : il faut se débrouiller soi-même, se dit-on à Strasbourg.
Au revoir l’écologie et le Pacte vert, priorités absolues de la précédente mandature européenne. Dans l’hémicycle, c’est désormais la défense qui est sur toutes les lèvres. L’Europe veut assurer sa sécurité sans l’aide des Etats-Unis. Washington suspend son aide à la Moldavie ? L’Europe compense avec un soutien record pour permettre à ce petit pays, voisin de l'Ukraine, de lutter contre l’ingérence russe.
Pour faire face à la menace de la Russie, qui s’étend désormais aux portes de l’Europe, la Commission a présenté cette semaine au Parlement son plan ReArmEU, avec pour objectif de se renforcer sur le plan militaire. Quelque 800 milliards d’euros seront mobilisés. Un plan d’une ampleur comparable à celui de la relance post-Covid.
L'urgence de la défense de l’UE a ruisselé sur le reste des débats. Même la célébration de la journée des droits des femmes a été éclaboussée par le sujet. Quand l’opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa et la militante ukrainienne Lenie Umerova se sont exprimées face aux eurodéputés, le droit des femmes n’était pas au cœur du propos. Leur véritable message était : « Faites attention, la guerre et l’oppression sont aux portes de l’Europe. »
Joris Schamberger
Un « effet boule de neige » pour l’industrie de l’armement européenne
Un droit menacé en Europe
Cette situation s’illustre dans l’actualité. Mardi 4 mars, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé un plan de 800 milliards d’euros pour réarmer l’Europe. Martin Schirdewan, coprésident du groupe The Left, dénonce la priorité donnée à la défense dans les budgets européens : « On parle de défense comme si c’était un bien public alors que des mesures d’épargne sont imposées pour les secteurs de la santé. »
« Malgré les progrès engrangés, l’égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes prendra encore des décennies, voire des siècles, au rythme actuel. » C’est en ces termes que Roxana Mînzatu, vice-présidente de la Commission européenne, a présenté aux eurodéputés, mardi 11 mars, une nouvelle feuille de route pour les droits des femmes. La Commission a défini une liste de huit grandes orientations à suivre, incluant la santé, l’éducation, l’emploi, la représentation politique, ou encore la lutte contre les violences. Le chapitre sur la santé des femmes, ajouté sous la pression des lobbys féministes, mentionne vaguement le droit de chaque femme à disposer de son corps. Théoriquement, ce droit permet à chacune de décider de façon autonome de sa vie sexuelle, d’avoir recours à la contraception ou encore à l’avortement. Pourtant, aucune mention de l’IVG dans la feuille de route.
L’eurodéputée écologiste Mélissa Camara des Verts européens trouve cette lacune regrettable. « L’IVG n’est pas qu’une question de santé, il faut rappeler que le droit à l’avortement est un droit fondamental. [...] La Commission a encore une fois fait le choix de la faiblesse », dénonce-t-elle. L’élue réclame davantage de textes législatifs contraignant les pays membres à légiférer sur l’accès à l’avortement, dans un contexte européen de montée de l’extrême-droite, opposée à l’IVG.
Ce n’est pas la première fois que la Moldavie bénéficie du soutien de l’Union européenne. Chisinau a touché près de 270 millions d’aides d’urgence de l’UE entre 2021 et 2024 pour redresser son système énergétique, en crise suite au retrait de l’entreprise russe Gazprom.
Le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne a ainsi servi d’accélérateur au rapprochement de la Moldavie avec les 27, allant jusqu’à en faire une candidate officielle à l’adhésion en 2022. Avec ce plan de croissance, l'Europe souhaite mettre le pays à niveau pour qu’il puisse faire face à la concurrence du marché en cas d’intégration à l’Union européenne. « 70 % du commerce moldave se fait [déjà] avec l’UE » rappelle Florent Parmentier.
Toutefois, la politologue Claudia Badulescu nuance le tableau : « Ce qu’on voit, c’est une aide massive, qui va permettre de stabiliser le pays en profondeur. Mais il reste à déterminer s’il existe une perspective réelle d’adhésion dans les dix prochaines années. » En attendant, le premier versement du plan de croissance devrait être touché par Chisinau avant la fin avril. Un calendrier volontairement accéléré, pour un pays qui craint d’être la prochaine cible de l’appétit impérialiste du Kremlin.
L'exercice lui-même du semestre est critiqué par les députés. Marie Toussaint, membre du groupe des Verts, dénonce un deux poids, deux mesures : « Nous faisons face à d'immenses contradictions. D’un côté des règles budgétaires imposent une camisole de force aux États, et les mènent à conduire une politique austéritaire aux conséquences catastrophiques, et de l’autre la commission reconnaît les besoins massifs en termes d’investissement. »
Un « effet boule de neige » pour l’industrie de l’armement européenne
Les soutiens du plan ReArmEU évoquent un effet « boule de neige » qui permettra de réindustrialiser, rouvrir des chaînes de production et relancer l’industrie lourde. En France par exemple, la Fonderie de Bretagne (Lorient) se dirige vers cette stratégie. Cet ancien fournisseur de pièces pour Renault aujourd’hui en redressement judiciaire, pourrait très bien être repris par Europlasma pour fabriquer des obus.
Pour autant, ReArmEU ne fait pas l’unanimité. La présidente du groupe de gauche S&D, Iratxe García Pérez, défend le plan, mais plaide pour qu’il ne se fasse pas « aux dépens des dépenses sociales et de l’État providence qui sont à la base de l’État européen ». Le président du groupe d’extrême droite PfE, Jordan Bardella, estime que le programme « ne peut avoir de sens que s'il s’accompagne de la préférence nationale » dans l’achat des armements. De l’autre côté de l’assemblée, le député du groupe de gauche radicale The Left Danilo Della Valle, membre du Mouvement 5 étoiles italien, parle d’une « folie belliciste ». « Ce sont des milliards d’euros qui sont retirés à la santé au profil de la militarisation », a-t-il scandé dans l’hémicycle.