Toutes nouvelles nées, les fondations partisanes s'activent à déjà aligner les idées en ordre de bataille, entre deux séances d'aménagement de leurs locaux.
Pas de nom sur l’interphone. La fondation des Verts européens, la «Green European Institute», a son siège au 15, rue d’Arlon à Bruxelles. Mais, au premier abord, difficile de s’en apercevoir. En réalité, il faut sonner à Heinrich Böll Foundation, la fondation proche des écologistes allemands. La fondation des Verts européens se résume pour l'instant à un simple bureau, encombré de cartons, où s'affairent deux permanentes: Heidi Hautala, la présidente, épaulée par une directrice de programme Leonora Gewessler. Le site Internet de l'Institut doit voir le jour en janvier.
«Cela ne fait que quatre mois qu’on travaille réellement, même si la fondation a officiellement vu le jour en novembre 2007», confesse Leonora Gewessler. L’Autrichienne doit s’interrompre pour recevoir les agents de Belga Com qui installent le téléphone.
Même son de cloche au Center for European Studies, la fondation du Parti populaire européen (PPE). Leurs locaux sont indépendants. Des postes restent encore à pourvoir. Un bureau sert à stocker les publications: «C’est le bureau de notre futur administrateur général qu’on est en train de recruter», explique Tomi Huhtanen, le directeur.
Les fondations: puissantes en Allemagne, peu connues en France
Il faut dire que les fondations européennes en sont à leurs balbutiements. En 2007, le Parlement modifie la réglementation sur le financement des partis politiques européens, et octroie des fonds communautaires destinés à la création de fondations européennes.
Un sujet d'étonnement pour un Français, beaucoup moins pour un Allemand. Outre-Rhin, les fondations politiques sont puissantes et leurs budgets se chiffrent en centaines de millions d’euros. Sur ce modèle, les fondations européennes sont des laboratoires d'idées et des partenaires politiques pour les partis. «L'Europe s'est dotée d’institutions, ensuite on a eu les partis politiques européens, et il était normal que ces partis aient leurs fondations», juge Tomi Huhtanen. Indépendantes, les fondations ne peuvent soutenir les partis politiques lors des campagnes européennes.
Le directeur de la fondation du PPE assume ce rôle de «cerveau» du parti populaire. En témoigne ce sondage récent mené par la CES sur l'insécurité de l'emploi en Europe: «On a constaté que les gens sont moins inquiets de perdre leur emploi dans des pays où le marché de l'emploi est plus souple, insiste Tomi Huhtanen. Ce genre d'étude, ça apporte du grain à moudre à notre famille politique.»
Objectif: participer à la formation d'une conscience collective
«Pour 2009-2010, nous avons pour l'heure deux axes principaux de travail : la thématique de l'éducation et l'élaboration d'un vrai corpus théorique d'économie politique de gauche», explique François Isserel-Savary, conseiller politique de la FEPS, la fondation du Parti socialiste européen (PSE). En novembre dernier, la FEPS a ainsi publié des travaux sur la régulation des marchés financiers, en collaboration avec l'université américaine Columbia.
«La fonction des fondations est de rapprocher l'Europe des citoyens en reconnectant les agendas nationaux et européens», poursuit François Isserel-Savary. Pour ce faire, les fondations européennes ont développé leur réseau national. La FEPS s'appuie ainsi sur une «plate-forme» de 29 fondations nationales, dont deux françaises (les fondations Jean Jaurès et Europartenaires). Pensées comme des relais partout en Europe, les fondations souhaitent participer à la formation d'une conscience politique. «On a besoin de politiser l’Europe, analyse Heidi Hautala. Mais aussi d’écouter et de comprendre les citoyens européens.» Séminaires en Pologne ou en République tchèque, congrès, colloques et stages dans les Etats baltes. La plupart du temps, l’objectif est tout simplement de faire découvrir l’Europe aux citoyens.
Pierre Manière, à Bruxelles
La fondation du Parti de la gauche européenne fait preuve d’une activité sans équivalent comparée aux fondations des autres forces politiques au sein de l’UE. Cette originalité s’explique par sa genèse liée à l’explosion des mouvements sociaux au début des années 2000.
Transform, fondation du PGE ? « Attention, nous sommes avant tout un réseau d’organismes, d’instituts, de think tanks de la gauche radicale qui existe depuis 2001, explique Elisabeth Gauthier, responsable de l’association Espace Marx, membre fondateur de Transform. Nos racines ne se trouvent pas dans le monde politique mais dans les mouvements sociaux. » Formulée au troisième étage du siège du parti communiste, place colonel Fabien à Paris, la précision émane d’une membre du bureau national.
Transform englobe plus de 90 composantes. Un rapide coup d’oeil au sommaire de l’épais magazine éponyme, près de 200 pages, suffit pour se rendre compte de la diversité des collaborateurs. Les écrits de chercheurs de la fondation Gabriel Péri, directement affilié au PCF, côtoient le plaidoyer d’un syndicaliste indien pour la régulation du travail dans les mines. Seule contrainte - non écrite - pour chacun : expliquer les enjeux sociaux actuels (précarisation des salariés, contestation sociale...) à travers une analyse marxiste.
PGE-Transform : une union libre
L’année de création, 2001, correspond au premier forum altermondialiste à Porto Alegre au Brésil. C’est au cours de cette rencontre que les réseaux anticapitalistes européens décident de mettre en commun leurs recherches dans le domaine social.
« Espace Marx s’est constitué aussi après un mouvement populaire : les grandes grèves de 1995, précise la responsable du think tank français. L’intérêt principal est de rencontrer des acteurs très différents : syndicalistes, associatifs, politiques, intellectuels, etc. Nous avons voulu recréer cette synergie au niveau européen. » L’équipe de direction de Transform compte trois personnes : Elisabeth Gauthier, Ruurik Holm (Left Forum, Finlande) et Haris Golemis (Nicos Poulantzas Institute, Grèce). Le réseau compte aussi un coordinateur, l’Autrichien Walter Baier.
En 2007, le PGE demande à Transform de devenir sa fondation politique au sein de l’Union européenne. La Portugaise Carmen Hilario, représentante de l’europarti, se joint deux fois par an aux réunions. Mais Transform ne veut pas être assimilé au parti.
Le PC de Bohême-Moravie (République tchèque), qui appartient au PGE et compte six députés européens, n’y est pas représenté. La LCR, qui refuse d’adhérer au PGE, participe elle régulièrement à ses débats. « Pour continuer à fonctionner correctement, nous devons séparer au maximum le domaine du politique et celui de la recherche, insiste Walter Baier, coordinateur de Transform et ancien président du PC autrichien. Le mélange des genres n’est jamais bon. »
L’activité se manifeste par l’utilisation importante du web, outil roi des altermondialistes. Elisabeth Gauthier déclare recevoir jusqu’à 150 courriels par jour provenant du la mailing liste du Forum social européen.
Sur la toile, en ce moment, le débat d’idées s’intensifie en vue du prochain forum social mondial de Bélem, au Brésil, en janvier 2009. A l’ordre du jour : la crise financière.
Mathieu Galtier
Le PPE, le PSE et l'ELDR réunissent régulièrement leurs membres les plus influents pour préparer les temps forts de l’agenda européen. Conseil européen, Conseil des ministres, Commission, Parlement européen, ils veulent donner une dimension politique à toutes les institutions européennes.
Jeudi 11 décembre, jour de Conseil européen, 13 heures. Dans le décor clinquant du Palais Egmont à Bruxelles, les journalistes s’impatientent. Dans la pièce d’à-côté, les dirigeants de l’ELDR achèvent leur sommet. Bientôt, ils prennent place sur les fauteuils qui portent leurs noms pour la photo de famille. Autour de la présidente de l’europarti, Annemie Neyts-Uyttebroeck (Belgique), les Premiers ministres estonien, danois, lituanien, roumain et finlandais, cinq commissaires européens et les dirigeants libéraux d’opposition. Au même moment, à l’Académie royale de Belgique, le PPE organise un rassemblement semblable. Les chefs de partis PSE se sont retrouvés lors du congrès du parti à Madrid, la semaine précédente.
Pour les trois gros partis (PPE, PSE et ELDR), l’objectif est de préparer le Conseil européen, moment stratégique de la vie de l’Union. Il s’agit lors de ces "sommets des leaders" de rassembler les têtes qui comptent : chefs d’état et de gouvernement et dirigeants des partis d’opposition affiliés. On discute, on arrondit les angles et on harmonise les points de vues au sein de sa propre famille politique. L’ordre du jour de ces réunions est calqué sur celui du Conseil européen. Pour ce dernier sommet de la présidence française: paquet énergie-climat, plan de relance économique et Traité de Lisbonne.
Politiser les conseils des ministres
Au PPE, on a pris l’habitude d’inviter à ces sommets des partis ou gouvernements non membres de l’Union. Mais quand les sujets deviennent délicats, on restreint la liste des participants pour coller au plus près de la composition des 27. «Plus on est nombreux, plus c’est compliqué à gérer», commente Nicolas Briec, conseiller politique au PPE. A l’avenir, l’europarti s’oriente vers deux formes de sommets: restreints (avec des délégations réduites) et élargis.
Ces réunions de dirigeants sont nées à l’occasion des discussions sur le traité de Maastricht. A l’origine, on y discutait uniquement des réformes des institutions. Petit à petit, leur ordre du jour s’est élargi.
Pour les questions plus techniques, les ministres des 27 se réunissent par domaines d’activité, ce sont les Conseils des ministres de l’Union. Les europartis ont décidé de politiser les plus importants en rassemblant les membres du Conseil de leurs familles en amont de la session officielle. Le but : défricher les questions délicates.
Au PPE, ces réunions sont systématiques depuis février 2007 pour les questions d’économie et de finances et depuis décembre 2007 pour les Affaires étrangères. Le parti envisage de faire la même chose pour les questions de défense et de justice-affaires intérieures. Au PSE, la fréquence de ces réunions varie en fonction de l’ordre du jour des conseils des ministres. Les socialistes européens organisent ainsi deux ou trois fois par an des réunions des ministres des Affaires étrangères, de l’emploi et des affaires sociales ; et ils le font au coup par coup pour les formations économie et finances, développement ou défense.
Peser sur les institutions
Ces pré-réunions de ministres restent l’apanage des deux plus grands partis. Daniel Tanahatoe, conseiller politique à l’ELDR, s’y résout : «On a l’idée de le faire mais il faut être réalistes : on n’en a pas les moyens. Nos ministres ne sont concentrés que dans quelques pays».
Les europartis n’entendent pas s’arrêter là : ils tissent des liens plus étroits entre le Parlement, la Commission et le Conseil. Ainsi, le PPE rassemble une fois par mois les commissaires, le président du groupe PPE-DE au Parlement et le président de l’europarti. Au PSE, les présidents socialistes de commissions parlementaires sont invités aux pré-conseils des ministres de leurs domaines de compétence. Concrètement, l’action des europartis vise à rendre la politique omniprésente à tous les échelons de l’Union pour la rendre plus visible et plus compréhensible au quotidien.
Anaëlle Penche et Chloé Fabre, à Bruxelles
Avant d’être investi, ou non, par le Parlement, chaque candidat-commissaire est désigné par le Conseil européen en concertation avec le président de la Commission. La composition d’une Commission à 27 reflète la couleur politique des gouvernements nationaux au moment de cette désignation.
Le temps des fonctionnaires est bel et bien révolu. «Quand j'étais à la Commission, sur 20 commissaires, seuls deux n'avaient jamais été élus, se souvient Michel Barnier (PPE), ancien commissaire à la politique régionale (1999-2004). Nous avions une Commission à la fois très compétente et très politique». Un bilan qui semble le satisfaire : «Il est très important, par les temps qui viennent, que les commissaires assument cette dimension de responsabilité politique», assure le ministre de l'agriculture.
Des réunions informelles
Aujourd'hui, sur les 27 commissaires, sept sont socialistes (PSE), neuf conservateurs (PPE) et neuf libéraux (ELDR). «Nous avons pour mission d’être des politiques, donc d’appartenir à un courant de pensée, admet Jacques Barrot, commissaire français de la justice et affaires intérieures depuis avril dernier. J’appartiens au parti PPE et à ce titre j’ai des contacts plus étroits avec le groupe PPE-DE. Nous nous rencontrons régulièrement avec le président et les principaux responsables du groupe et les commissaires d’esprit PPE. Tout cela est assez informel.»
Les commissaires conservateurs se retrouvent également au sommet des leaders des europartis aux côtés des membres du Conseil européen et du Parlement de même obédience politique. L’exercice était récurrent chez les socialistes de la Commission Prodi (1999-2004) et perdure aujourd’hui.
Socialiste avant d'être tchèque
Une politisation de la Commission que confirme Vladimír Špidla, commissaire tchèque à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances. «Bien entendu, notre rôle n’est pas que technique, c'est aussi politique. Je suis socialiste avant même d'être tchèque.» Son portefeuille lui a été attribué notamment parce qu’il fut ministre aux Affaires sociales et directeur de l’agence de l’emploi en République tchèque. «J’ai un certain concept socialiste de la politique et mes propositions en sont issues. Par exemple, ma directive sur les comités d'entreprise était liée à mes convictions. Elle a pourtant été votée presque à l’unanimité.»
«Nous ne travaillons pas comme un gouvernement», tempère-t-il cependant. Tout d’abord, pas de sectorisation des décisions. Elles se prennent, «presque en totalité par consensus bien que le principe soit celui d’un vote à la majorité simple». Pour Jacques Barrot, les commissaires ne peuvent pas être aussi partisans qu'un gouvernement national. «Nous sommes obligés de faire passer l’intérêt général européen et de rassembler des majorités y compris avec les socialistes», affirme l’ancien centriste devenu président du groupe UMP à l’Assemblée nationale avant d’aller à Bruxelles.
Favorable aux auditions personnelles des commissaires -prévues dans la réforme du règlement du Parlement adopté en juin dernier mais déjà pratiquées-, Vladimir Špidla s’inquiète néanmoins des empiétements de la politique partisane sur l'autonomie du Collège. «Les Assemblées ne doivent pas détenir le pouvoir exécutif. De plus, la Commission européenne est un phénomène à part dans la construction européenne. Elle a une tâche très spécifique d'initiative dont les sources ne se trouvent ni dans l'intérêt des partis ni dans l'intérêt national.»
Pour Michel Barnier, «il est tout à fait imaginable que, pour gagner en légitimité, de futurs commissaires soient issus du Parlement européen». Justement, il prendra sans doute la tête de la liste UMP dans le sud-est aux européennes de juin 2009.
Alexandra du Boucheron, à Bruxelles
Longtemps sous l’influence du souverainisme gaulliste, la droite française a délaissé l’Europe jusqu’à l’entrée des élus RPR au sein du groupe PPE-DE, lors des élections européennes de 1999. Son installation dans le parti est plus tardive encore. L’UMP met désormais les bouchées doubles pour se tailler une place aux côtés des Allemands de la CDU, des Espagnols du PP et des sociaux-chrétiens belges.
«L’intérêt pour l’europarti date de l’arrivée d’Alain Juppé, en 2002, à la présidence de l’UMP. Il a été le premier à venir assister aux sommets des leaders du PPE, raconte l’eurodéputé français, Alain Lamassoure. L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de l’UMP en 2004 a marqué un coup d’accélérateur.»
Désormais, la stratégie est tous azimuts : investir la permanence de l’appareil, ses sommets de dirigeants, son bureau politique, ses groupes de travail et son congrès. «Nous avons décroché une vice-présidence, occupée par Michel Barnier, la présidence du groupe PPE-DE au Parlement européen tenue par Joseph Daul et un conseiller politique au siège du parti, Nicolas Briec.»
Michel Barnier, l’homme clé de l’UMP au PPE
Tête de pont de l’UMP au PPE : Michel Barnier. Aujourd’hui ministre de l’agriculture du gouvernement Fillon, il a un parcours d’europhile. Ministre délégué aux affaires européennes de 1995 à 1997, commissaire à la réforme des institutions et à la politique régionale de 1999 à 2004, et ministre des affaires étrangères en 2004 et 2005, il est l’un des dix vice-présidents de l’europarti. Lors du sommet des dirigeants PPE, il «représente personnellement Nicolas Sarkozy», tandis que François Fillon a mené la délégation UMP pendant la présidence française de l’Union.
Lors des pré-réunions PPE du Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union, Michel Barnier porte également la casquette de Bernard Kouchner, qui n’est pas membre de l’UMP. Une déception : Christine Lagarde s’est obstinément refusée à occuper son siège lors des pré-réunions PPE du Conseil Ecofin.
C’est encore Michel Barnier qui a estimé nécessaire de consolider la présence française au siège du PPE et qui a longuement négocié un poste de permanent. Trois ou quatre fois par an, il copréside les réunions du bureau politique. Le 13 novembre dernier, quatre membres de la délégation française s’y pressaient sous sa houlette. «C’est comme cela que l’on montre qu’on a de l’influence : en étant présent en nombre et en intervenant souvent», assure Olivier Ubéda, le délégué aux affaires européennes de l’UMP.
Deuxième personnage clé : l’UMP Jacques Barrot, le commissaire à la justice et aux affaires intérieures. Une fois par mois, il rencontre le président du groupe PPE-DE, Joseph Daul, le président du parti, Wilfried Martens, et les commissaires PPE. «Il a une très grande expérience politique. Il contribue beaucoup à la recherche des consensus et c’est très utile», dit Françoise Grossetête, eurodéputée UMP.
Le chemin est encore long
Troisième poids lourd : Joseph Daul, président du groupe PPE-DE au Parlement européen. Il peut compter sur le travail d’Alain Lamassoure qui fait le lien entre la délégation des eurodéputés UMP et l’europarti. «C’est un personnage important, dit de ce dernier le secrétaire général du parti, Antonio Lopez Isturiz. Son adhésion européenne est connue et reconnue. Il est très actif au sein du PPE.» Membre du bureau politique du PPE, Alain Lamassoure est rapporteur de son groupe de travail, chargé d’élaborer un programme commun pour les élections européennes. Il veille à l’assiduité des délégués de l’UMP : Jacques Toubon, Françoise Grossetête, Thierry Mariani et Fabienne Keller. Enfin, il assure la coordination avec les groupes du Parlement français via Hubert Haenel et Pierre Lequiller, respectivement présidents de la délégation des affaires européennes au Sénat et à l’Assemblée nationale, eux aussi membres du bureau politique. Depuis Paris, Olivier Ubeda, assure la logistique de la machine.
Le chemin à parcourir pour asseoir l’influence de l’UMP dans l’europarti est encore long. Selon Thierry Mariani, délégué aux relations internationales à l’UMP, «quand la CDU allemande affiche une dizaine de permanents dévoués aux affaires européennes depuis plusieurs années, l’UMP n’en a que deux, qui doivent se partager entre les relations internationales et les affaires européennes, et encore, depuis 2007». Un conseiller UMP regrette, lui, que la France «ne joue qu’au coup par coup, alors que les Allemands et les Espagnols jouent un billard à deux bandes». Autrement dit, les Allemands et les Espagnols ont toujours deux coups d’avance.
Chloé Fabre, à Bruxelles
Alors que le Parti socialiste n’avait pas encore réuni ses troupes, le Manifeste, programme électoral du Parti socialiste européen, a été adopté à Madrid, le 1er décembre. Martine Aubry a été élue une semaine avant le lancement de la campagne socialiste européenne. Même si sa présence à Madrid a rassuré ses camarades européens, le PS éprouve quelques difficultés à s’identifier au PSE.
«Vamos a gañar, compañeros» (nous allons gagner, camarades). A Madrid, Martine Aubry a témoigné de son attachement à l’Europe et à la grande famille du PSE. La nouvelle première secrétaire du PS a été ovationnée durant ce grand meeting européen, entre autres par Poul Nyrup Rasmussen et José Luis Zapatero, chef du gouvernement espagnol.
L'Europe absente des débats
Le congrès du PSE était la première sortie de Martine Aubry après son élection. Un moyen de prouver que le Parti socialiste français a toute sa place chez les socialistes européens. Durant ce congrès, les Français se sont clairement exprimés en faveur d’un président de la Commission issu de la mouvance socialiste. Mais c’est à l’intérieur du Parti socialiste français que l’engagement européen connaît quelques limites. Au lendemain du congrès de Madrid, le responsable de l’Europe vient de changer. Martine Aubry a nommé Jean-Christophe Cambadélis à ce poste laissé vacant par Pierre Moscovici depuis le 6 décembre 2007.
Bernard Poignant, président des socialistes français au Parlement européen, déplore que le Congrès de Madrid n’ait pas été davantage préparé par ses camarades français.
Il faut se rappeler de la campagne référendaire de 2004 sur le traité pour une constitution européenne qui avait scindé le parti en deux camps : ouistes et nonistes. Depuis,l’Europe est quasi-absente des débats socialistes et n’a même pas été évoquée lors du dernier congrès de Reims. L’adoption par le PS du "traité simplifié" devait mettre fin aux querelles mais les divisions demeurent.
Des listes en stand-by pour les élections de juin
A six mois des élections européennes, les socialistes français n’ont pas encore constitué de listes. Du côté du parti, on évoque comme explication les échéances de ces derniers mois. Mais la vérité est que les liens entre le parti socialiste français et son frère européen ne paraissent pas si naturels à bon nombre de socialistes. Jean-Louis Bianco, ancien co-directeur de campagne de Ségolène Royal, le reconnaît avec philosophie.
Beaucoup plus critique, Benoît Hamon, ancien chargé d'Europe du PS, estime que les relations entre le parti et le PSE ne vont pas de soi. Il a démissionné en 2007 de son poste de secrétaire chargé aux affaires européennes du PS après la décision du Parti de soutenir l’adoption par voie parlementaire du traité simplifié.
Mais la nouvelle direction affirme que les choses bougent. Le 6 décembre dernier, pour faire taire les mauvaises langues, Martine Aubry a nommé Zita Gurmai, députée européenne socialiste hongroise et présidente du PSE femmes, secrétaire nationale aux droits des femmes. Une nomination qu’elle juge symbolique «de l’engagement européen du PS».
Mariam Pirzadeh, à Madrid
A Bruxelles, les secrétariats des partis européens servent de courroie de transmission entre les partis nationaux. Du Parti socialiste européen (PSE) aux eurosceptiques de l’UED en passant par les Verts, ces machines politiques disposent de moyens et d'effectifs variables.
Elle pianote sur son clavier d'ordinateur, téléphone sur l'épaule. Sandrine Bertin, 29 ans, est depuis mars assistante administrative au secrétariat du Parti socialiste européen (PSE). Elle occupe un bureau au deuxième étage du 98, rue du Trône à Bruxelles.
Au total, une vingtaine de secrétaires, communicants et conseillers politiques arpentent les couloirs. Ils sont Belges, Anglais, Portugais, ou Français. Tous appartiennent aux partis sociaux-démocrates, travaillistes et socialistes affiliés au PSE et assistent le secrétaire général du parti, le Français Philip Cordery. Cette semaine-là, il est en voyage en Chine après s’être rendu aux Etats-Unis pour rencontrer l’équipe du président Obama.
Réunir les positions des 33 partis affiliés au PSE
«On est une équipe très jeune car il faut avoir la santé ! Etre en contact avec les 27 pays de l'Union, les 33 partis, les ONG, les syndicats, etc. Ce n'est pas de tout repos...», s'exclame Sandrine, qui est notamment chargée des relations entre les partis membres.
La Française assiste le département politique, qui regroupe sept conseillers spécialistes de la crise financière, de l'égalité hommes-femmes ou encore du dialogue transatlantique. «On tient des réunions les lundis avec toute l'équipe administrative pour faire le point, et les mardis avec les membres du département politique, sous la houlette du secrétaire général», précise-t-elle.
Des rendez-vous qui vont conditionner son travail pour le reste de la semaine. «A l'issue de ces réunions, je fais l'inventaire des informations dont les conseillers politiques auront besoin, détaille Sandrine. J'appelle les partis nationaux concernés pour centraliser leurs positions.» Des synthèses sont ensuite transmises au secrétaire général, ainsi qu'au président Poul Nyrup Rasmussen.
Les pays de l'Est, demandeurs des synthèses du secrétariat
«On n'adopte aucune position politique sans l'aval de nos partis, insiste Sandrine. Lors de la rédaction du Manifesto (le programme de campagne pour les élections européennes de juin 2009, NDLR), le secrétariat était en contact permanent avec les partis nationaux pour trouver des compromis.» Au final, les décisions au sein du PSE se prennent entre patrons de partis nationaux, à l'unanimité. «Ils gardent la main sur notre agenda.»
Sandrine rédige aussi des notes d'information en fonction de l'actualité dans les pays de l'Union. Ce matin-là, elle termine un compte-rendu sur les élections en Roumanie et sur le problème des minorités hongroises en Slovaquie et en Hongrie. «Ce sont surtout les pays de l'Europe de l'Est qui sont demandeurs de nos travaux de synthèse», souligne-t-elle. «Leurs structures ont besoin de la machine européenne pour avancer.»
Fondé en 1992, le PSE a doublé ses effectifs entre 2007 et 2008. «On cherche encore notre fonctionnement et nos procédures. Mais surtout on s'interroge sur ce qu'on veut faire du parti», achève Sandrine.
Situé dans la rue qui court entre les deux bâtiments bruxellois du Parlement européen, le siège du parti vert européen (PVE) attire peu les regards. Une maisonnette d'un étage blottie dans une cour. Pas de plaque voyante, seulement une étiquette sur la sonnette. Et juste une petite affiche estampillée du logo du parti dans l’entrée de l’immeuble. Une discrétion qui contraste avec l’idée qu’on pourrait se faire d’un parti européen.
Les apparences ne sont pas trompeuses. Le PVE est encore très jeune et évolue dans l’ombre du groupe Verts/ALE au Parlement. «Le parti a peu de moyens contrairement au groupe qui est très riche», explique Helmut Weixler, chef du service de presse des Verts/ALE. Marie-Anne Isler Béguin, eurodéputée verte du grand Est, confirme ce déséquilibre : «Ce qui est visible, c’est le groupe vert, avec Daniel Cohn-Bendit. Je n’ai jamais vu une seule fois une intervention forte du parti sur quoi que ce soit.»
La jeunesse du PVE explique cette modestie. La reconnaissance du parti date seulement de 2004. Il remplace les coordinations et fédérations qui regroupaient les partis verts nationaux jusque-là. «L’ambition de devenir une force politique présente et active au niveau européen est récente», explique Juan Behrend, secrétaire général du parti vert européen dans l’une des quatre pièces du siège du parti, près du coin cuisine.
« Les leaders ne disent plus : Ça, c’est Bruxelles, on s’en fout »
La quatrième force politique européenne s’organise. Les maigres effectifs ont doublé. Le parti emploie aujourd’hui cinq personnes dont un attaché de presse et s’est même offert les services d’un directeur de campagne.
Les Conseils organisés deux fois par an, au printemps et à l’automne, ont pris une autre ampleur. Depuis mai 2006, ces espaces de discussion et de rencontres sont devenus des lieux de débats politiques et de prises de décision. C’est notamment là que les orientations et le contenu du programme commun, ont été adoptés.
Conséquence directe, les leaders ne boudent plus ces Conseils. «Ces réunions sont de plus en plus importantes pour les partis nationaux. Ils sont moins en mesure de se dire : Ça c’est Bruxelles, on s’en fout», constate-t-il.
«Avant, le seul critère pour participer à ces réunions était de savoir parler anglais, explique Juan Behrend. Aujourd’hui, ce sont les leaders des partis nationaux, les porte-paroles ou des membres de l’exécutif des partis nationaux qui se déplacent.» Parmi eux : Reinhard Bütikofer, ancien président des Verts outre-Rhin, Dominique Voynet ou encore Cécile Duflot, secrétaire générale des verts français.
«Ils sont aussi peut-être obligés de venir pour éviter qu’on n'adopte des positions qui puissent être gênantes pour eux au niveau national, précise le secrétaire du PVE. Ce n’est pas toujours pour mener les choses plus avant. Mais de toute façon c’est positif.»
Des groupes de travail et d’experts ont également vu le jour, qui ont permis d’élaborer le manifeste en vue des prochaines élections. Les groupes «économie» et «politique sociale» se sont formés au cours des deux dernières années. «Nous voudrions que ces groupes de travail deviennent des structures de fonctionnement permanentes du parti.» C'est déjà chose faite pour le groupe «politique étrangère et de sécurité» et le groupe «égalité des sexes». Celui en charge du réseau des militants est, lui, en passe de le devenir confie de son côté Ann Verheyen, secrétaire au bureau des verts.
Dans l’ombre du son puissant groupe, le parti cherche aujourd’hui à s’affirmer. Il espère une campagne réellement européenne en 2014 (nomination de candidats par les partis politiques européens, etc), seule capable, avec la politisation des institutions, de faire sortir les partis de leur relative confidentialité.
Rien de plus simple, en apparence, que de joindre l'Alliance européenne des démocrates (UED). Certes, l'adresse du siège du parti au Danemark a disparu du site internet lors de sa refonte début décembre, mais le téléphone de son bureau bruxellois y figure. Pourtant au bout du fil, personne ne peut donner de renseignements sur le parti. Il faut appeler directement le secrétaire général… à un autre numéro.
Sur place, au 113 de la rue du Trône, à Bruxelles, le numéro et la rue sont écrits au marqueur sur un papier scotché à la vitre. Pas d’erreur possible : une autre feuille, format A4, indique que nous sommes bien au bureau bruxellois de l’UED. Franchir le seuil demande de la détermination : la porte vitrée racle péniblement le sol avant de consentir à s’ouvrir.
A l’intérieur, on remarque les pancartes colorées d’une exposition organisée par l’UED à Berlin en 2007. Pourtant les trois personnes présentes ici ne travaillent pas pour le parti mais pour la «campagne européenne du non» au traité de Lisbonne qui loue les locaux. Une cohabitation qui n’étonne guère, vu l’engagement de l’UED contre le Traité. Le jeune homme qui nous encourageait à pousser la porte avec plus de force s’excuse, «il n’y a personne de l’UED, Juan n’est pas là».
« Des membres n'ont pas les moyens de venir à Bruxelles »
Juan Manuel Ghersinich est le secrétaire général de ce petit parti eurocritique créé par le Danois Jens-Peter Bonde. Il est aujourd’hui le seul apte à fournir des informations sur le parti. Mais comme il est aussi le seul permanent à travailler pour l'UED, il est quasiment injoignable.
Retour au Parlement européen, pour interroger les députés qui y sont affiliés. «Le principe est que chaque pays membre ait un vice-président pour que toutes les délégations soient représentées au bureau», explique la Suédoise Hélène Goudin, elle-même co-présidente de l'UED. Selon les statuts du parti, le bureau doit se réunir deux fois par an. «Tous les membres n'ont pas toujours les moyens de venir à Bruxelles, admet la députée, donc nous ne nous connaissons pas vraiment.» Elle ajoute qu'au dernier congrès de l'UED, les membres slovènes avaient dû faire le déplacement en voiture, par souci d’économie.
Même s'ils comptent six élus au Parlement européen, les partis qui composent l'UED ont peu de poids sur leur scène nationale. En Suède par exemple, «la liste de juin», parti d'Hélène Goudin, qui avait atteint 14,6% aux européennes de 2004, n'a recueilli que 0,5% des voix aux législatives suivantes. Paradoxalement, l'Europe est la condition de l'existence politique de ces souverainistes. Raison de plus pour se fédérer dans un europarti «pour présenter des listes dans tous les pays, mais aussi dans un but financier», reconnaît Hélène Goudin.
Pierre Manière, Anaëlle Penche, Gautier Demouveaux, Florent Godard, Julie Bienvenu
Post-communistes, réformateurs, orthodoxes, eurocommunistes... toutes les tendances marxistes se retrouvent au sein du parti de la gauche européenne (PGE). Cet éclatement idéologique ne favorise pas l’unité du parti en vue des prochaines élections européennes.
Trente formations politiques éclatées dans 22 pays composent le Parti de la gauche européenne. Une impression de mosaïque renforcée par la présence de deux partis membres du PGE dans quatre pays: l’Allemagne, la Belgique, la République Tchèque, l’Italie. L’Espagne y compte même trois forces politiques : le parti communiste, la Gauche unie et le parti régional catalan Unité et alternative de gauche.
Cette diversité met en relief les divergences dans la pensée marxiste européenne, vingt ans après la chute du mur de Berlin.
Premier exemple en Allemagne, où les communistes du DKP accusent Die Linke d’abandonner la révolution prolétarienne pour une tiédeur social-libérale. «Nous sommes un parti révolutionnaire, insiste Heinz Stehr, président du DKP. Nous voulons abolir le capitalisme. Pour cela nous nous référons au communisme scientifique décrit par Karl Marx avec notamment la nationalisation totale de tous les moyens de production». Die Linke, né en 2007, est issu d’une scission du SPD mené par Oskar Lafontaine à laquelle se sont ajoutés les anciens communistes de la RDA.
Des «staliniens grecs»
En République Tchèque, le parti communiste de Bohême-Moravie (KSCM) refuse toute compromission avec le capitalisme. Il fustige l’attitude du parti du socialisme démocratique (SDS) et le pragmatisme de son président, Milan Neubeurt. Celui-ci explique : «Je suis un communiste orthodoxe. Mais l’UE est d’essence capitaliste, c’est un fait. Maintenant, c’est à nous d’être prêts pour un changement; car l’histoire nous montre que chaque système est voué à disparaître.» Son homologue du KSCM, Filip Vojtech, milite pour la «création de passerelles avec les partis communistes totalement absents du PGE, comme le PC grec et portugais.» Ces deux partis, aux convictions idéologiques ultra-orthodoxes en matière économiques et sociales, refusent de siéger dans une organisation dont certains membres se sont alliés au niveau national pour former un gouvernement.
Pour le représentant grec du PGE, Synaspismos, alliance de plusieurs mouvements de la gauche radicale, pas question de rejoindre la position extrême du parti communiste grec : «C'est le seul parti européen à vouloir remettre le stalinisme au goût du jour ! s’étrangle le jeune chef de parti, Alexis Tsipras. L’ennemi c’est la politique néo-libérale. Alors s’il faut faire des alliances avec les sociaux-démocrates pour peser dans le débat, pourquoi pas...»
Les Italiens se déchirent sur le rôle de l’Etat
Côté italien, les membres du parti des communistes italiens (PdCI) et du parti de la refondation communiste (PCR) on ne refuse pas la discussion mais de là à fusionner, il y a un pas de géant. La raison de cette méfiance ? La place à donner à la construction européenne. Le PdCI, créé en 1998 après une scission au sein du parti de la refondation communiste, veut d’abord renforcer le poids communiste en Italie avant de songer à l’échelle européenne: «Nous n’avons plus de députés de gauche au Parlement, socialistes ou communistes, souligne Cinzia Plazzolo, responsable des questions européennes dans le PdCI. Une union avec nos partenaires de Rifondazione (PRC) est donc primordiale à l’intérieur des frontières italiennes».
Pour Fabio Amato, du bureau exécutif du PCR, l’Etat n’est plus la base pertinente pour lutter contre l’économie de marché. «Chaque pays a sa spécificité mais l’ultra-libéralisme sévit partout en Europe avec la même force. Ce premier programme commun est un grand pas en avant. Ce qu’il faut c’est construire l’Europe depuis l’intérieur des institutions de l’UE. Pour cela, le PGE doit devenir une vraie force politique et pas seulement une simple coordination de partis.»
Les réformistes majoritaires au PGE
En France, les couleurs du PGE sont portées aujourd’hui par le PCF. Le Parti de la gauche de Jean-Luc Mélenchon et de Marc Dolez s’est déclaré favorable à une liste commune avec le parti de Marie-George Buffet pour les prochaines échéances européennes. Mais la LCR ne veut pas entendre parler du PGE: «Nous n’avons rien à faire avec une organisation composée de partis qui passent des alliances pour obtenir le pouvoir», explique l’ancien dirigeant trotskiste, Alain Krivine.
Le 29 novembre dernier, toutes les sensibilités du parti de la gauche européenne se sont retrouvées au cinéma Babylon, dans la partie est de Berlin, pour rendre publique leur plateforme électorale. Ce programme «a minima», selon Milan Neubert, porte le sceau des mouvements réformistes, majoritaires au sein de l’europarti (18 députés sur 29), menés par Die Linke.
La dénonciation de la crise financière, qui a dominé les débats ce jour-là, a servi de ciment à la gauche radicale sans régler pour autant les aspérités idéologiques. Malgré ces dissensions fortes, les délégués du PGE ont repris en chœur l’Internationale à la fin de leur conférence sur les élections européennes. Mais il s’en est fallu de peu. Au moment d’enfiler les manteaux pour quitter le cinéma Babylon, un permanent du parti se saisit du micro : «Attendez, attendez! nous avons oublié quelque chose». Quelques instants plus tard retentit l’hymne des communistes.
Mathieu Galtier, à Berlin
Certains le voyaient déjà mort après l'éclatement de l'UDF. Mais lors de son congrès, début décembre, le parti démocrate européen a confirmé l’alliance franco-italienne qui a inspiré ses origines. Il a de plus la quasi-certitude d’être présent dans la future commission européenne.
Près de 600 000 euros de budget en 2008. Moins de 400 000 euros dépensés au 31 novembre, en majorité en frais de déplacement et de représentation. Comme tous les ans depuis sa création en 2004, le parti démocrate européen (PDE) n’a pas réussi à dépenser tout son budget. «Comme tous les ans, nous devons en rendre une partie au Parlement», se désole l’Italien Luigi Lusi, le trésorier.
Le problème est sans mystère : le parti n’existe que sur le papier. Pas de permanents, un site internet jamais actualisé, un numéro de téléphone que tout le monde a oublié. Difficile dans ces conditions de dépenser un budget, nourri à 85% par les subventions du Parlement européen.
À la tête du frêle esquif, deux présidents. François et Francesco. Bayrou, le Français du Modem, et Rutelli l’Italien, ancien chef de la Margherita, parti de centre-gauche italien. Dans sa quatrième année d’existence, le parti européen a connu deux crises majeures, provoquées par les louvoiements nationaux de ses deux grands partis fondateurs. L’UDF s’est disloquée à la création du MoDem, en mai 2007. Certains eurodéputés de l’UDF ont quitté les rangs des démocrates européens en quittant ceux du MoDem, comme Jean-Marie Cavada. L’ancien président de la commission des libertés -poste dont il a démissionné depuis- est aujourd’hui rallié au parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs pour l’Europe (ELDR), associé au PDE dans le même groupe du centre, l’ADLE!
Les Italiens éclatés
Côté italien, la Margherita s’est alliée en octobre 2007 aux Démocrates de gauche, pour former le grand Partido Democratico. Ce rapprochement a bien failli coûter la vie au PDE. L'ancrage européen du nouveau parti italien, regroupant la gauche et le centre sous un même toit, posait problème : devait-il s’allier avec les socialistes européens, ou avec les centristes du PDE ?
Pour Sandro Gozi, vice-secrétaire -italien- du PDE, «la question n’est pas encore tranchée officiellement. Mais il est sûr que nous restons au PDE». En pratique, le grand parti italien devrait se dégrouper en deux europartis, le parti socialiste européen et le PDE, comme c’est déjà le cas dans les faits depuis 2007.
Pour la députée lituanienne Ona Jukneviciene, la cause principale de la faiblesse du PDE ne fait aucun doute. «Les problèmes rencontrés au niveau national nous ont handicapé au niveau européen. Chez les Français, les Italiens, et même dans mon propre parti en Lituanie : lors des dernières élections, nous sommes passés de 30 sièges à 10 sièges dans notre parlement national.»
En état végétatif pratiquement depuis sa création, le PDE s’est donc réveillé à son congrès des 4 et 5 décembre 2008. Toujours pas de structures, mais un programme commun: une résolution, autour de laquelle les Français, les Italiens et leurs partenaires entendent enfin démarrer la machine. «C’est difficile de construire un parti en partant de rien, affirme Sandro Gozi. Mais je pense que nous réussirons à nous organiser.»
Un nouveau groupe ?
Parmi leurs propositions, les démocrates européens plaident notamment pour pour une plus grande intégration du budget militaire, ou pour rendre le programme Erasmus obligatoire. «Nous voulons bâtir l’Europe en nous fondant sur ses succès, explique le vice-secrétaire. Nous voulons aussi qu’il y ait un référendum à l’échelle de l’Union pour chaque modification du traité.» Des propositions qu’ils veulent démarquées de celles des autres partis, «car il y a un créneau pour nos idées politiques, affirme la députée lituanienne. Nous ne devons pas rater cette occasion.»
Le parti n’exclut pas, à terme, de créer son propre groupe au Parlement. L’idée circule en tout cas parmi ses membres. «Il y aura un nouveau congrès en juin après les élections européennes, c’est là seulement que nous prendrons la décision», tempère Francesco Rutelli. Le parti espère aussi pouvoir prendre pied dans les autres institutions de l’Union : Milan Urbani, membre du parti slovaque HZDS, affilié au PDE, serait déjà assuré d’être le commissaire Tchèque. «Avoir un commissaire est essentiel pour nous, estime Yannick Laude, responsable de la communication du parti. Ne serait-ce que pour savoir ce qui s’y passe.»
Un intérêt national
Les démocrates européens verraient bien rejaillir leur nouvelle influence sur leurs scènes politiques nationales. «L’échec du socialisme conduit à penser qu’il faut un nouveau modèle, le modèle démocrate pour le monde», estime François Bayrou. Pour le monde et pourquoi pas pour la France. Le président du MoDem est d’ailleurs soutenu par ses collègues, qui le voient volontiers président de la République française en 2012. «Nous voulons présenter un candidat à la présidence de la commission, mais ça ne sera pas Bayrou. Il est plus important pour nous d’avoir un Président français PDE, c’est à dire d’avoir un membre du conseil européen», confirme Sandro Gozi.
Olivier Devos, à Bruxelles
Simon Hix, professeur de politique européenne comparée à la London School of Economics and Political Sciences explique à quels signes on reconnaît la politisation des institutions qui est en cours.
«Ces dernières décennies voient la politisation progressive des institutions européennes. C'est très évident au Parlement européen où les votes se font clairement selon des divisions idéologiques. Mais c'est aussi vrai au Conseil et dans les relations entre le Parlement, le Conseil et la Commission.
Ce que les recherches sur les votes au Conseil ont commencé à montrer, c'est que les divisions entre ses membres obéissent de plus en plus à un clivage gauche / droite et plus seulement à la géométrie des positions nationales. Cela ne veut pas dire que les Britanniques ne défendent plus les intérêts britanniques ou que les Français ne défendent plus les intérêts français. Cela veut dire qu'un gouvernement socialiste français se comporte différemment au Conseil d'un gouvernement conservateur français ou un qu'un gouvernement travailliste anglais se comporte autrement que ne le ferait un gouvernement conservateur anglais. Ce n'est pas si surprenant quand on y réfléchit.
Maintenant que l'Union européenne est construite, les grands choix portent sur la réglementation ou la déréglementation du marché unique, la politique monétaire, le commerce, les migrations ou la justice et les affaires intérieures. La majorité de ces sujets divise sur des lignes partisanes autant que nationales. Ainsi, naturellement, un homme politique siégeant au Conseil et appartenant à un certain pays, un certain parti politique, aura les mêmes positions que quelqu'un d'un autre pays mais du même bord politique.
L'élargissement de l'Union a accentué ce processus de politisation
La politisation de la Commission commence, elle, clairement avec la Commission Santer. Il a été le premier président de la Commission a faire l'objet d'un vote d'investiture par le Parlement européen en juillet 1994. Et là, on a vu une fracture nette. Les socialistes et les libéraux ont voté massivement contre lui. C'est une coalition de centre-droit qui l'a élu avec le soutien de deux partis socialistes au pouvoir à l'époque : les Danois et les Espagnols.
Dès le départ, Santer a donc été vu comme un politique. C'était la première fois qu'un président de la Commission était appréhendé comme issu d'un choix politique de la majorité au Conseil. Au cours de cette mandature, les socialistes, les Verts et la gauche radicale s'érigent progressivement en quasi-opposition à la Commission. Et quand le Parlement européen a l'opportunité de mettre en cause la Commission pour des soupçons de corruption, l'attaque est menée par la gauche. Finalement, la Commission Santer démissionne la veille d'un vote de confiance du Parlement qui aurait clairement montré l'existence d'une majorité de centre-gauche en faveur d'une motion de censure face à une minorité de droite tentant de protéger la Commission.
L'inverse se produit avec Prodi. Pour la première fois, la Commission est majoritairement de centre-gauche, en terme d'affiliation des Commissaires. Le groupe socialiste commence à se comporter comme un parti de gouvernement en position minoritaire au Parlement. Presque tout ce que la Commission propose, les socialistes le soutiennent et le PPE s'y oppose.
Aujourd'hui, avec Barroso, c'est le contraire. La Commission, dominée par le centre-droit, est appuyée par le centre-droit du Parlement et c'est la gauche qui ne l'aime pas.
L'élargissement de l'Union a accentué ce processus de politisation car plus il y a d'euro-députés, plus il y a de gouvernements au sein du Conseil et plus il y a de commissaires, plus les institutions se mettent à fonctionner comme des institutions politiques normales plutôt que comme des organes intergouvernementaux.»
Propos recueillis par Clarisse Briot
Retour sur le parcours du président, entre positionnement pro-européen à Bruxelles et souverainisme au pays.
2004
Tout nouveau ministre de l’Economie, Nicolas Sarkozy piétine des règles de la concurrence européenne et parvient à faire plier la Commission : l’État français achète 21% d’Alstom, le constructeur du TGV. Plus tard, Sarkozy raconte: « Pour sauver Alstom, j'ai dû me rendre à quatre reprises devant la commission européenne. Elle aurait dû m'aider, pas me combattre. » Les partenaires européens apprécient peu. Mario Monti, alors commissaire à la Concurrence, écrit en 2007 : « L'Europe n'est pas une entité sadique, qui demande des sacrifices inutiles et arbitraires. Aucun État membre n'a besoin de héros pour le sauver des agressions de la Commission ».
8 septembre 2006
À Bruxelles, Nicolas Sarkozy discourt devant la Fondation des Amis de l’Europe et la Fondation Robert Schuman. Conseillé par le député européen Alain Lamassoure et l'ancien commissaire européen Michel Barnier (PPE), le candidat officieux à la présidence de la France étonne: « Pourquoi ne pas avoir l’audace de réfléchir à une sorte de saut conceptuel, consistant à confier la composition de la Commission à son président ? », suggère-t-il. Autrement dit, il propose de désaisir les chefs de gouvernement de leur prérogatives. Il se déclare par ailleurs favorable à la mise en place d’un impôt européen.
2006-2007
Nicolas Sarkozy se rapproche du souverainiste Henri Guaino, qui devient après la présidentielle son conseiller spécial. Ce dernier a soutenu Charles Pasqua en 1992 dans son combat pour le « non » au traité de Maastricht. « Avec l’arrivée de cette "plume", Nicolas Sarkozy changea de style et de propos », estime Florence Autret dans le livre Sarkozy à Bruxelles.
18 décembre 2006
Dans un discours de campagne, le candidat de l’UMP affirme : « L’Europe était une volonté politique. La volonté politique s’est diluée dans la bureaucratie. L’Europe était une exigence. L’exigence s’est dissoute dans la gestion. L’Europe était un projet. C’est devenu une machine. » Il ajoute : « Il n’y a pas un pays au monde où la Banque centrale ne dialogue pas avec le gouvernement. L'indépendance est une chose. Le refus du dialogue en est une autre. On ne peut pas continuer comme cela ! »
Juillet 2007
François Fillon, Premier ministre fraîchement nommé, annonce le report de 2010 à 2012 de l’objectif d'équilibrer le budget français. Les partenaires européens, au premier rang desquels le ministre allemand des Finances, s’insurgent.
13 novembre 2007
« J’ai toujours préféré la règle de la majorité à la règle de l’unanimité, explique Nicolas Sarkozy devant le Parlement européen. Et ce n’est pas un petit engagement de la part d’un Président français. » Il propose la création d’un « comité des sages » pour réfléchir à l’avenir de l’Europe.
19 janvier 2008
Devant les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, le président Sarkozy déclare : « La première chose [pour aider la pêche], c'est l'affaire des quotas : il faut qu'on en sorte ». L'accord sur les quotas a été signé par les 27, dont Michel Barnier, un mois plus tôt jour pour jour. Le ministre français de l’Agriculture et de la pêche avait annoncé qu'il serait appliqué avec une « totale intransigeance ».
10 juillet 2008
Premier adresse très politique de Nicolas Sarkozy, président du Conseil, au Parlement européen en session à Bruxelles. Il vient présenter les priorités de la présidence française : pacte énergie-climat, immigration, défense, etc. Son discours est apprécié dans les rangs de l’hémicycle; certains de ses positionnements, contre l’adhésion de la Turquie par exemple, ne font en revanche pas l’unanimité.
12 août 2008
Sans demander aucun mandat à ses homologues européens, Nicolas Sarkozy se rend à Moscou et Tbilissi après l’invasion de la Géorgie par la Russie. Il obtient un accord de cessez-le-feu au nom de l'Union. Son volontarisme est apprécié. La méthode est critiquée.
4 octobre 2008
Un sommet du G4 - les quatre pays européens du G8 - est convoqué à Paris par Nicolas Sarkozy. Objectif: définir une position commune face à la crise du crédit. Les vingt-trois autres pays de l'Union se sentent oubliés. Un responsable gouvernemental espagnol estime que le sommet est une « perte totale de temps ». Par la suite, Nicolas Sarkozy prend soin d'associer les 27 à son action. Le chef de l'Etat s'inspire du plan de sauvetage du premier ministre britannique Gordon Brown, définit avec les 27 la position de l'Union pour le G20 de Washington. Il propose aux gouvernements européens de coordonner leur action contre la récession, ce qu'ils acceptent sans aller jusqu'à adopter un plan commun.
12 décembre 2008
Adoption du pacte énergie-climat, plan contre la crise économique, relance du traité de Lisbonne avec l'organisation d'un nouveau référendum irlandais: le bilan du dernier Conseil européen sous présidence française est jugé positif. « La présidence française est un succès », admet Martin Schultz, le président du groupe socialiste au Parlement européen. S'adressant à Nicolas Sarkozy, il déclare: « Vous avez fait votre coming-out en vous révélant pro-européen ».
Christophe Zoia
Catherine Guy-Quint est coordinatrice de la commission des budgets et membre suppléante de la Commission des affaires économiques et monétaires. Elle a voté "oui" au référendum sur le traité constitutionnel.
«Ça a été un moment très douloureux. Pervenche Bérès et moi étions des complices au sens politique, bien qu'elle soit fabiusienne et moi rocardienne à l'époque. J'ai très mal vécu sa volte-face. On a réussi à conserver notre amitié parce que je lui ai dit : "on va faire des jokers et on ne reparlera jamais de ça". Lorsqu'on déjeunait, je faisais joker (elle lève la main d'un air jovial) ! On n'en a jamais parlé parce qu'on allait s'engueuler, et peut-être même se battre. Au PSE, le "non" nous a mis à l'écart au sein du groupe. Ça a été une perte de confiance évidente pour la délégation socialiste française. Et c'est dommage, parce que nous sommes 31 : c'est un groupe énorme. Le "non" a beaucoup pesé car à chaque fois que l'on se rencontrait, on ne pouvait pas parler de l'essentiel, sinon, on se tuait.»
Pervenche Bérès est présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires. Elle a voté «non» au référendum sur le traité constitutionnel.
«La question du "oui" et du "non" au traité constitutionnel a divisé la délégation et a pesé dans notre capacité à exercer toute notre influence. Ça a été un moment difficile à vivre. Au sein de ma Commission des affaires économiques et monétaires, certains membres, socialistes ou non, ont trouvé malin de faire état dans les débats de ma prise de position. Ça ne m'a pas empêché d'exercer mes fonctions, quel que soit le dossier traité. Étant noniste, je n'avais pas la position la plus facile au sein de groupe parce qu'on était minoritaires et qu'il fallait résister. Je souhaite aux autres partis européens de faire l'exercice de conscience et de vérité qu'on a fait vis-à-vis de la construction européenne à l'occasion du référendum. Mais je ne dis pas que je le referai tous les jours...»
Pierre Manière et Anaëlle Penche, à Bruxelles
Qui est le plus influent en Europe? Sur le podium des meilleurs élèves, l’Allemand - quand il fait de l’Europe sa carrière- est sur la plus haute marche, suivi du Britannique et de l'Espagnol.
Au Parlement européen, l’influence d’une nationalité est d’abord déterminée par le nombre de ses représentants et leur concentration dans les groupes politiques qui comptent. Les Allemands, les plus nombreux au Parlement européen avec 99 députés, se repartissent entre cinq groupes politiques mais surtout chez les deux majoritaires, PPE-DE (49 députés) et PSE (23) et les Verts (13). «Ils sont très nombreux, mieux organisés donc présents partout et plus influents», remarque Nicolas Briec, conseiller politique au PPE. «Un eurodéputé allemand reste dix, voire vingt ans donc il s’investit énormément. Pour lui, c’est une carrière comme une autre, renchérit la Française Martine Roure, vice-présidente (PSE) du Parlement. Ce sont de vrais techniciens.»
Les Britanniques arrivent bons deuxièmes avec 78 députés dont une majorité au PPE-DE (28) et au PSE (19). Enfin, le gros des 54 Espagnols se répartit entre le PPE-DE et le PSE (24 chacun).
Pour une délégation nationale comme pour un groupe, le temps de parole, le droit d’initiative politique et la disposition de moyens techniques dépendent du nombre.«On ne peut pas s’organiser si on n’est pas assez nombreux, si on n’a pas assez de députés pour obtenir des fonds ou encore du personnel», confirme Timothy Kirkhope, député (PPE) anglais.
La guerre des premiers rangs en session plénière
L’autre enjeu du poids numérique est la répartition des postes-clés. Des postes qui donnent, symboliquement, à ceux qui les occupent l’accès aux premiers rangs en session plénière. Dans les 22 commissions et sous-commissions, les Allemands détiennent 5 postes de président et 27 coordinateurs, des rouages essentiels puisqu’ils suivent tous les dossiers d’une commission au nom de leur groupe. Les britanniques ont 2 postes de président et 23 de coordinateurs. Les Espagnols ont également 2 présidents de commission. «Les grosses délégations bien organisées comme les Allemands ou les Espagnols obtiennent presque tous les coordinateurs. Nous n’en avons aucun», regrette un député letton.
L'Allemagne discrète dans les europartis
Si l’Allemagne préside le Parlement et domine trois ses groupes clés, elle se fait plus discrète à la tête des europartis. Elle préside le PGE mais se contente de deux secrétaires généraux (PVE et AED), tout comme les Espagnols (ALE et PPE). Rien pour les Britanniques.
Le sens de l’organisation joue aussi. «A la SPD, notre interlocuteur est très efficace, explique Sandrine Bertin, chargée de coordonner les pays membres du parti PSE. Les Allemands sont très disponibles» et contribuent au bon fonctionnement du parti. Moins disponibles, les Britanniques, mais tout aussi efficaces. Peut-être parce qu’ils tirent profit de leur culture parlementaire, «semblable au parlementarisme européen, notamment en termes de stratégie, de négociation, d’influence, de lobbying», note Timothy Kirkhope, député (PPE) anglais. «Les Anglais sont un cran au-dessus, reconnaît un haut fonctionnaire du secrétariat général des Affaires européennes à Matignon (SGAE). IIs anticipent plus. Ce que l’on fait bien, eux le font très bien».
La culture fédérale et parlementaire
La structure fédérale de l'Allemagne est sans doute l'une des raisons pour laquelle les eurodéputés allemands se sentent plus à l’aise dans l’Union. Fédéralisme aussi chez les Espagnols. Dans les deux cas, la valorisation de la culture parlementaire est vécue comme un rempart contre le totalitarisme de sombre mémoire. Même valorisation du côté du Royaume-uni, mais sur fond d’une autre histoire : celle du service de la Reine. A l’inverse des premiers qui cherchent à peser sur chaque composante de la machine communautaire, les Britanniques font bloc autour de leur représentation permanente. De l’homme politique au fonctionnaire, ils défendent l’intérêt national.
Alexandra du Boucheron, à Bruxelles
Du MPF de de Gaulle à l'UMP de Sarkozy, en passant par Chirac, la droite conservatrice a mis 40 ans pour jeter pièce à pièce ses habits souverainistes aux orties.
De Gaulle côté pile, tel qu'on le connaît: un souverainiste. Son action la plus symbolique est la «politique de la chaise vide». Pendant six longs mois de 1965, les Français sont absents de la table européenne. Objectif: conserver l'unanimité dans les décisions européennes. Car pour le général, «il ne peut pas y avoir d'autre Europe que celle des Etats». Autrement dit, la construction européenne ne doit pas empiéter sur la souveraineté française. La France est plus influente dans l’Europe, mais la France ne doit pas perdre ses capacités de décision.
De Gaulle, côté face, c'est un européen convaincu. L'Europe facilite, à ses yeux, la réconciliation franco-allemande. La mise en place d’un marché commun doit aussi permettre à l’industrie française de se moderniser, selon le général. La politique agricole commune ne peut que profiter aux paysans français. Le président espère aussi que l’Europe devienne une « troisième force », dans ce monde polarisé entre les Etats-Unis et l’URSS. De Gaulle veut une « Europe européenne », c’est-à-dire indépendante des Américains. D'où son veto à l’entrée des Britanniques dans le marché commun, le président estimant que le Royaume-Uni est trop lié aux Etats-Unis. Il faudra attendre l'élection de Georges Pompidou pour voir le Royaume-Uni adhérer à la CEE.
La mutation de Jacques Chirac
Le président libéral et pro-européen Valéry Giscard d’Estaing nomme Jacques Chirac Premier ministre en 1974. Deux ans après, le torchon brûle entre les deux leaders. Chirac démissionne et crée le Rassemblement pour la République (RPR). Il revendique l’héritage de de Gaulle et lance en 1978, à la veille des premières élections au suffrage universel direct, l’appel de Cochin, violemment anti-européen. « Tout nous conduit à penser que, derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l'inféodation de la France », estime celui qui était alors Maire de Paris. L’UDF est dénoncé comme « le parti de l’étranger ».
« L’appel de Cochin est un acte de politique intérieure », explique Jean-Claude Gaudin. Chirac utilise la question européenne pour se différencier de l’UDF. Gaudin poursuit : « Et c’est un flop ». Aux élections européennes de 1979 la liste de Chirac arrive en quatrième position, avec 16% des voix. Au Parlement européen, ses 15 élus forment le noyau dur du très nationaliste Groupe des Démocrates Européens de Progrès (DEP).
Derrière Mitterrand et Giscard à la présidentielle de 1981, Chirac change alors de stratégie. Le positionnement eurosceptique du RPR n’est pas payant électoralement. En plus, UDF et RPR ont désormais un adversaire commun : le pouvoir socialiste. Aux européennes de 1984, les « meilleurs ennemis » présentent une liste commune, conduite par Simone Veil, qui obtient 42,9% des voix. Chirac a lissé son discours sur l’Europe. Mais à Strasbourg, UDF et RPR font bande à part. Les premiers rejoignent les libéraux de l'ELDR; les seconds restent dans leur bastion nationaliste, rebaptisé Rassemblement des Démocrates européens (RDE).
En 1986, après les élections législatives remportée par son parti, Chirac est nommé Premier ministre de Mitterrand. Le député UMP Hervé Mariton relève: « La responsabilité assumée par le RPR l'oblige à se convertir à l'idée européenne. Quand vous êtes au pouvoir, vous êtes obligés de jouer le jeu européen.»
Maastricht s’invite
1988 : c’est la deuxième défaite de Chirac à l’élection présidentielle (avec 46% des voix au deuxième tour). Les dissensions se font jour au RPR. Avec comme point d’orgue les discussions sur le traité de Maastricht en 1992. Après une longue hésitation, le président du RPR choisit un « oui sans enthousiasme mais sans état d’âme ». Mais le RPR ne donne pas de consigne de vote. Alain Juppé et Edouard Balladur choisissent le Oui. Philippe Séguin et Charles Pasqua se lancent dans la campagne contre le traité. La moitié des militants du RPR glissent dans l'urne un bulletin « non ». Après une campagne rude, le traité est adopté avec 51% des voix.
Une date clé, selon le député UMP Thierry Mariani:
«Certains disent que Chirac est devenu pro-européen par conviction, d’autres parce que c’était indispensable pour devenir président», souligne le député du Nouveau Centre Charles de Courson. Chirac est élu à l'Elysée en 1995. La même année à Strasbourg, le RDE, où siègent les élus du RPR, fusionne avec Forza Italia et devient le groupe Union pour l'Europe (UPE). L’influence des souverainistes Pasqua et Séguin reste forte. Ce dernier arrache même la présidence du RPR en 1997. On est alors en plein débat sur le traité d'Amsterdam. Séguin ne se prononce pas sur le traité; Pasqua demande un référendum : « Que serait le RPR, issu du gaullisme, s'il ne défendait pas la souveraineté nationale? »
De la débâcle à l'Union
Pasqua n'obtient pas gain de cause et quitte le RPR. Aux élections européennes de 1999, il se présente avec Philippe de Villiers contre la liste de l'Union pour l'Europe menée par Nicolas Sarkozy, regroupant RPR et Démocratie Libérale. Ils la devancent. Pour Pasqua, c'est une victoire, mais à l'extérieur du RPR.
C'est le dernier coup d'éclat des eurosceptiques, largement aidés par la défection de la tête de liste RPR Philippe Séguin. «A partir de ce moment-là, Pasqua et Séguin ne jouent plus des rôles de premier plan dans le parti», souligne Thierry Mariani. Les souverainistes ont perdu la bataille au sein du mouvement néo-gaulliste.
D'autant plus que le débat s’engage pour former un parti rassemblant toutes les forces de la droite, des centristes aux conservateurs. La coalition électorale des européennes 1999 montre la voie: à Strasbourg, UDF et RPR se regroupent au sein du Parti Populaire européen (PPE).
L’Union pour la majorité présidentielle, qui deviendra l’Union pour un mouvement populaire, est créée en 2002. UDF et RPR, qui s’opposaient sur la construction européenne, sont désormais ensemble au sein de l’UMP. Une coalition hétéroclite, rappelle Thierry Mariani.
Restent au sein de l'UMP quelques voix dissonnantes. Nicolas Dupont-Aignan, ancien de l'UDF qui se veut l'héritier des valeurs du Général, se présente à la présidence de l'UMP contre Alain Juppé. Battu (avec 15% des voix), il crée son courant «Debout la République» en 2003 et quitte l'UMP début 2007. «Il y a encore quelques archéos anti-européens à l’UMP, mais notre parti est avant tout pro-européen», assure le député Claude Goasguen. L'UMP s'ancre dans le PPE. Depuis 2004, à Strasbourg, la droite souverainiste n'est plus représentée que par Philippe de Villiers.
Christophe Zoia, à Paris
L’année européenne 2009 sera politique. Elle sera partisane et concurrentielle.
« La politique doit être de retour en Europe. Et faire de la politique c’est proposer des choix », déclarait Nicolas Sarkozy (PPE) le 16 décembre dernier aux parlementaires européens, lors du discours de clôture de sa présidence hyper-active du Conseil. Dix europartis, fédérations de partis nationaux, s'activent déjà à le prendre au mot. Leur objectif immédiat est d’affermir leurs prises sur les ressources institutionnelles de l'Union par le scrutin parlementaire de juin. Ensuite, charge à eux de délivrer aux électeurs les politiques qu'ils ont choisies. Dans leur ligne de mire : janvier 2010 et la présentation par le nouveau président de la Commission européenne de son programme législatif pour cinq ans. Entre ces deux moments clefs, un écueil, dressé par le Conseil européen du 12 décembre : le deuxième référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, prévu pour l’automne prochain, auquel l'avenir institutionnel de l'Union est suspendu.
Des europartis en quête de légitimité
Apparue discrètement sur la scène officielle de l'Union en 2004, cette nouvelle génération de machines politiques entend réconcilier les citoyens avec l'Europe, en leur parlant un langage qu'ils connaissent depuis cent cinquante ans, celui des clivages qui font s'affronter les grandes familles dans un combat démocratique d'où sortent périodiquement des vainqueurs et des vaincus.
Désormais, les clivages seront transnationaux, pour autant que les partis nationaux acceptent de jouer le jeu. La dynamique de politisation bouscule l’idée selon laquelle l’Union européenne fonctionne avant tout au consensus. Mais les temps ont changé. Le projet du marché unique, sur lequel la Communauté s’est édifiée, est désormais achevé. L'architecture est là, couronnée par une monnaie. Comment l'habiter? Les choix qui attendent l’Union s’appellent désormais sécurité énergétique, réforme des marchés financiers, défense, immigration, nouvelle donne économique et sociale. Le cœur même de ce qui relevait, hier, de la politique nationale.
Une politisation sur fond de crise
Sur toutes ces questions, ouvertes aux vents d’une mondialisation en crise, l’année 2009 sera décisive. Dès le 21 janvier prochain, les rapports avec les Etats-Unis seront à réinventer. Le 2 avril, la réunion du G20 à Londres sera une première étape vers un nouvel ordre financier mondial. Le lendemain, au sommet du soixantenaire de l’Otan, à Strasbourg et à Kehl, l'UE réévaluera son rôle dans la sécurité internationale. Et le 18 décembre à Copenhague, 20 ans après la chute du mur de Berlin, le sommet de l’après Kyoto nous dira si une troisième révolution industrielle est en marche. Le tout sur fond d'une récession aux effets imprévisibles, qui ébranle les fondations sur lesquelles le consensus européen s'est construit: toujours plus de libéralisme économique a cessé d'être la formule du compromis acceptable. Le pari d'une refondation politique dans la tempête n’est pas gagné pour les europartis, qui cumulent les handicaps. Dépourvus de visage, ils vont devoir se déployer et manifester leur présence au Parlement, à la Commission, et au sein même du Conseil européen face à des citoyens qui ignorent jusqu'à leur nom. Il est pourtant trop tard pour reculer. Les europartis sont en mouvement.
Emilie Salvaing
Votewatch.eu, le site de référence sur l'activité des parlementaires européens