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Le président de l’Union cycliste Jacky Ruez s’explique : “Rouler à dix mètres l’un de l’autre, c’est une hérésie. Dix gamins qui roulent l’un derrière l’autre en respectant ces consignes, ça fait presque 100 mètres. Comment rassurer les parents dans ces conditions ?” Chaque dépassement de voiture deviendrait encore plus dangereux qu’à l’accoutumée.
Une situation bien connue d’Élise. En février 2019, elle assiste à des réunions d’information pour rejoindre NL International, après avoir trouvé une annonce sur la page Facebook de son université. Pour intégrer le réseau, la jeune femme affirme avoir déboursé près de 300 euros : « [Le vendeur] a sorti les fiches et il m’a montré les différents packs qui s’offraient à moi, “à tester” avant de me lancer dans l’activité. Il s’est focalisé sur l’un d’eux, soi-disant le plus complet, le plus économique. J’étais réticente mais il insistait, et sa collègue a fini par passer directement la commande sur une application sur son téléphone. »
Aujourd’hui, l’étudiante considère avoir subi des pressions. « J’étais seule face à eux, ils m'intimidaient, ne me donnaient pas le sentiment d’avoir le choix, explique-t-elle. Ils martelaient que cet investissement serait vite rentabilisé lorsque j’effectuerai mes premières ventes, que c’était une chance exceptionnelle. » Une aubaine surtout pour ses vendeurs, qui touchent une marge sur chaque achat réalisé depuis leur shop.
Noyé par des promesses d’une vie meilleure, affranchie des contraintes du salariat, que met en avant le vendeur, cet investissement initial peut paraître dérisoire au nouveau recruté.
Le trésor perdu des pyramides
Ces recrutements en chaîne laissent alors penser à un système pyramidal, que Herbalife et NL International se défendent de pratiquer. Dans un système pyramidal, illégal en France, une personne doit s'acquitter d'un droit d’entrée à l’entreprise, versé directement à son recruteur. Autrement dit : le profit de l’entreprise vient du seul fait d’enrôler de nouveaux membres et non pas de la réalisation des ventes.
Dans les sociétés à MLM, les vendeurs sont payés à la fois sur les marges et les commissions qu’ils touchent sur leurs propres ventes, et sur celles réalisées par leurs recrues. Le recrutement seul ne génère pas le profit, il y a bien vente d’un produit, sans quoi tout le système s’écroule. Mais en pratique, « la frontière est ténue entre la vente pyramidale et la vente multi-niveaux », souligne la Miviludes dans son rapport de 2017.
Chasseurs de tête
Mais si les nouveaux entrants ne règlent rien à leur recruteur, ils ne sont pas exonérés de frais pour autant. Chez NL International, ils doivent acquitter à l’entreprise une vingtaine d’euros de frais administratifs. À cela s’ajoutent un premier kit de produits que le futur vendeur doit tester, à ses propres frais, ainsi que des sessions ou week-ends de formations payants. Dans un document de NL International que nous avons pu nous procurer, nous avons appris qu'une opportunity manager a dû débourser 192 euros pour participer à un week-end de lignée.
Contacté à ce sujet, Sylvain Bonnet, le directeur de l’entreprise, insiste sur le fait qu’« aucune formation n’est obligatoire ». Mais « que leurs parrains les encouragent à se former et à acquérir des compétences additionnelles ».
Cherche vendeur désespéremment
Le coach a tout intérêt à « accompagner » les challengers qu’il enrôle puisqu’il touchera une commission sur les recrutements de futurs clients. C’est d’ailleurs par ce biais qu’Antoine, le coach de Herbalife, a pu atteindre ses « 57 000 euros de revenus ». A chacune de ses présentations, il le répète, « j’aide plus de 55 000 challengers ».
Sur quoi repose cette promesse de revenus mirobolants ? Les deux sociétés n’embauchent pas les vendeurs, mais les font travailler sous un statut d’indépendant. Celui-ci serait la clé d’un niveau de revenus confortable, fruit d’un système qui repose tant sur la vente de produits que sur le recrutement de nouveaux vendeurs.
Les vidéos de « présentation d’opportunité » de ces sociétés montrent toutes le même schéma : pour augmenter leurs bénéfices, les managers et coachs ne sont pas seulement incités à vendre, mais à recruter, encore et encore.
C’est bien le discours que nous tient Antoine, quand il explique au père de notre journaliste l’origine de ses revenus : « On est rémunéré sur la vente des produits, je peux donc avoir 15, 20, 30 clients moi-même, mais je ne peux pas m’occuper de plus. Il y a un deuxième aspect, qui est une super opportunité : on a quartier libre pour recruter et former des distributeurs, et Herbalife nous reverse un pourcentage sur leurs propres chiffres d’affaires. »
Chez Herbalife, le membre indépendant Math Fit, en haut de la hiérarchie, alimente également des peurs sur le futur du salariat. Sur son profil Instagram, le jeune homme incrimine le circuit économique classique : « Déçu par le schéma École Boulot Retraite ? Le changement existe. » Sa mission, « rendre le monde plus heureux, plus sain et plus riche ».
Dans un article intitulé « Un nouveau monde », il prédit un avenir funeste post crise du coronavirus où la sécurité de l’emploi n’existerait plus. Rassurez-vous, néanmoins, dans ce « nouveau monde » se trouve une « opportunité pour tous », assène-t-il, « un changement inexorable qu’il faut accepter et anticiper à l’échelle individuelle pour ne pas subir les ravages de l’Histoire ». Pour cela, il propose une solution prête à l’emploi : s’engager auprès d’Herbalife.
Une rhétorique que nous avons pu également constater chez Herbalife. Lorsque nous déclinons la proposition d’Antoine, en expliquant que nous préférons finalement nous concentrer sur nos études, le vendeur se désole que nous visions « des objectifs bas ».
J’irai au bout de mes rêves
« Rêves : il peut sembler “spécial” d’en parler parce que l’on a été éduqué à “ne pas rêver” ou que la société actuelle nous amène souvent à réduire ses rêves au niveau des revenus que l’on a. C’est pourquoi, dans ce métier, tu apprendras à rêver de nouveau ! », peuvent lire les nouveaux vendeurs NL dans le plan d’apprentissage qui leur est fourni.
Ces promesses en cascade rejoignent celles de mouvements sectaires, considère la porte-parole de l’Unadfi : « On vous fige autour d’une croyance, celle que vous êtes supérieur. Vous êtes forcément réceptif car on vous balance des poncifs qui correspondent à tout le monde. On vous fait croire que vous participez à un système élitiste, dans une logique de winners contre losers [gagnants contre perdants]. »
Contactée par notre rédaction, Herbalife assure que rien de tel n’existe au sein de l’entreprise. « Nous démentons formellement avoir des pratiques assimilées ou proches de celles utilisées par les mouvements sectaires », assure un porte-parole.
Pourtant cette « philosophie » a retenu l’attention de la Miviludes. Elle « vise à marquer que la réflexion, l’engagement commercial et l’implication totale sont une “opportunité commerciale” puis une “opportunité de vie”, puis enfin une “opportunité pour la vie”, signale la Mission. Quelle est l’entreprise capable de faire une telle proposition dans une économie de marché ? », s’interroge l’organisme dans son rapport de 2007.
Anne-Marie Courage, conseillère à la Miviludes, s’inquiète de l’ampleur des risques inhérents aux propositions délirantes de ces sociétés : « Les techniques de manipulations utilisées conduisent les jeunes gens à dépenser leur épargne, leurs économies ou bien encore leurs maigres salaires. En contrepartie, ils reçoivent la promesse d’une vie de rêve, de gains et d’investissements rapidement profitables. Ces promesses sont avancées comme seul but ultime de la vie répondant ainsi au besoin de quête de sens et de valeurs de ces jeunes adultes. Il y a une forme d’urgence à signer une inscription avec les frais du premier mois. Le leitmotiv semble immuable et urgent : devenir riche et changer de vie. »
Pour atteindre ce but ultime, rien ne peut justifier le choix de ne pas rejoindre Herbalife, nous explique Antoine. « Ne te laisse pas l’excuse de l’argent t’éloigner de quelque chose de dingue : 62 euros pour créer ton business à l'international et sans limite crois-moi, c’est juste dingue. »
Alors pour nous mettre le pied à l’étrier, il nous propose une réunion en ligne détaillant comment fonctionnent ces fameux systèmes de rémunérations « sans limites ». « Je ne vais pas te lâcher dans la nature, je vais te former pour que tu sois autonome », nous rassure-t-il. Pour cause, un nouveau venu qui démarre bien est synonyme de gains potentiels immédiats pour son dévoué recruteur.
Manager sa vie
Pour intégrer l’entreprise Herbalife et devenir nous aussi « membre indépendant », nous avons enfilé les baskets d’un étudiant en quête de sens - et d’un complément de revenus. Nous ciblons alors Antoine* et ses 14 000 abonnés sur Instagram. Après un simple message, ce trentenaire au sourire indéboulonnable, membre de la president’s team [le troisième grade le plus élevé dans la hiérarchie de la société, ndlr] nous propose un appel.
Son profil pousse à l’extrême le stéréotype du vendeur accompli : promotion de ses revenus à cinq chiffres et de son « activité professionnelle incroyable ». De quoi faire rêver et inciter à se lancer à son tour. « Tu vois, le mois dernier j’ai gagné 57 000 euros et il n’y a pas de limites », lance-t-il dès le premier contact.
Saisissez l’opportunité
Et pour nous convaincre, Antoine répète un discours emballé, identique à celui des vidéos postées sur son compte, et surjoue la proximité : « C’est fou, moi j’ai démarré à 23 ans après mon master management et entrepreneuriat. On a des points communs, on va bien bosser ensemble. »
Proposant d’abord un complément de revenus confortable, les deux entreprises font miroiter la possibilité future d’une activité à plein temps. Témoignages à l’appui, elles affirment que « ce nouveau monde » peut profiter à tous. « J’ai un gars qui était dans la métallurgie, aujourd’hui il gagne 18 000 euros par mois. Céline, une de mes meilleures distributrices, était prof de SVT. C’est la beauté du truc », se félicite Antoine.
La « beauté du truc » consiste à nous donner l’impression que, nous aussi, pouvons « y arriver ». Sur son site, NL International se vante de son modèle révolutionnaire. « Être indépendant grâce à une activité collaborative, c'est le concept novateur que nous vous proposons avec le B2U... À la clé, épanouissement et réussite ! » Le B2U, « le business pour vous et qui va vers vous » serait une nouvelle façon d’entreprendre pour tirer son épingle du jeu.
Pour se hisser en haut de la pyramide, le nouveau venu doit s’investir pleinement dans ladite entreprise. L’argumentaire est simple : « Ça va être à toi de te créer, de te construire. C’est juste génial et tu vas progresser personnellement », affirme Antoine. L’analogie entre son parcours et le nôtre revient sans cesse. « J’étais dans la même situation que toi, j’étais étudiant quand j’ai démarré j'avais pas un radis, pas une thune. Par contre, j’ai vu que je voulais changer ma situation », décrit-il.
Le business miracle
S’extirper d’un monde du salariat instable et précaire pour se trouver réellement : pour les deux entreprises, la rengaine est la même. Lorsqu’une recrue potentielle s’intéresse à NL International, l’un des premiers conseils est de lire l’ouvrage L’Entreprise idéale de Rod Nichols, conférencier américain spécialiste du marketing. L’auteur y dresse un constat alarmiste du marché du travail aux États-Unis en 2030. Divisée en deux classes, la société oppose les gagnants, « propriétaires d’entreprise », et les perdants, « ceux qui travaillent pour quelqu’un d’autre. La place que vous occuperez sera dictée par les décisions que vous prenez maintenant », prévient l’auteur. Face à une telle menace, rejoindre NL International s’apparente à un geste salvateur.
“Le fait d’être dans une tâche, de s’y consacrer pleinement, ça évite de partir dans des pensées anxiogènes”, ajoute Isabelle Boucq. Des bienfaits que nombre de confinés ont découvert en se lançant dans cette activité. Christian Romain, horticulteur à Barr, a remarqué une certaine prise de conscience chez ses clients : “On voit que les gens ont envie de jardiner, ils ont compris que leur bien-être passe par le jardinage. Toucher les plantes, les voir pousser, c’est une satisfaction personnelle.”
Le sentiment du travail accompli, après avoir passé des heures à retourner la terre en plein soleil ou s’être cassé le dos à soulever des pots de fleurs, renforce l’estime de soi. Et un jardinier satisfait ne s’arrête pas en si bon chemin : le succès actuel du jardinage a désormais un bon terreau pour fructifier.
Justine Maurel
Quentin Griebel