Vous êtes ici

Le module est validé, il peut être inséré dans un article pour être consulté par les internautes.

L'audience a été renvoyée au 23 mars prochain, faute d'avoir pu communiquer avec le prévenu. © Luc Herincx/cuej.info

Un Nigérian de 42 ans a comparu ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour non-respect de son assignation à résidence à Épinal. Mais incompris par son avocat, son interprète, et les juges, son parcours reste mystérieux.

Le S-métolachlore est surtout utilisé pour la culture du maïs © CC BY / aqua.mech

Avec 1.946 tonnes par an, le S-métolachlore est un mastodonte, l’un des pesticides les plus courants sur le sol français. Ce désherbant agricole, principalement utilisé pour la culture du maïs, est pourtant plus que jamais dans le viseur de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’environnement (Anses). 

Si, depuis 2021, l’agence a introduit des restrictions dans les autorisations de mise sur le marché des produits le contenant, de récents contrôles dans les eaux souterraines ont montré que la concentration de S-métolachlore et de ses métabolites, les molécules de dégradation du pesticide, présente « un risque de contamination ».  

Des décisions qui évoluent

Cette décision de l’Anses peut surprendre au premier abord. En effet, en septembre 2022, cette dernière déclarait les métabolites du métolachlore comme « non-pertinents ». En d’autres termes, elle les considérait comme n’engendrant pas de risque pour la santé humaine. Leur concentration autorisée avait alors augmenté, passant de 0,1 mg/l à 0,9 mg/l. Aujourd’hui pourtant, ce seuil de 0,9 mg/l est dépassé dans trop d’endroits, ce qui conduit l’Anses à vouloir interdire le métolachlore. 

Ce n’est pas un changement d’avis, cela « reflète simplement de l’évolution de connaissance l’Anses », explique Katia Schmitzberger, qui dirige l’équipe chargée de la surveillance des eaux souterraines et de surface à l’agence de l’eau Rhin-Meuse.   

Situation alsacienne 

Avec une production de maïs qui représente 36 % de la filière céréalière, les agriculteurs alsaciens risquent d’être fortement touchés par cette restriction. Les précédentes interdictions de pesticides auraient déjà entre autres participé à l’augmentation des ventes de S-métolachlore dans la région. Ainsi, entre 2008 et 2019, elles seraient passées de 50 à 100 tonnes, selon la Chambre d’agriculture d’Alsace. 

Difficile pourtant pour Katia Schmitzberger d’estimer si la situation des eaux alsaciennes se dégrade ou non. « À chaque fois qu’on interdit une molécule, une autre est utilisée et pose problème », explique-t-elle. Ce qui est sûr, c’est que « dans les cours d’eau, on note une amélioration globale sur les macros-polluants [NDLR : comme excréments humains et animaux]. En ce qui concerne les substances chimiques, on en retrouve de plus en plus. Mais il faut prendre en compte le fait qu’ il y a des progrès scientifiques et une prise de conscience du problème. »

En Alsace, on retrouverait encore selon cette spécialiste des traces d’atrazine ou encore d’alachlore, deux pesticides anciennement utilisés pour la culture du maïs, pourtant interdits respectivement depuis 2003 et 2008.

Camille Gagne Chabrol
Édité par Quentin Celet

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement annonce avoir engagé une procédure pour retirer ce pesticide du marché, dans un rapport publié ce mercredi. La région alsacienne, grande consommatrice, s'inquiète pour la qualité de ses eaux.

Ses deux passages éclair auront plongé la salle 101 du tribunal de Strasbourg dans une atmosphère de flottement et de confusion générale, le mercredi 15 février après-midi. Renvoyé de France et accusé de ne pas avoir respecté son assignation à résidence à Épinal – à plus de 120 km de Strasbourg –, cet homme de nationalité nigériane débarque d’abord dans la pièce en silence, tremblant, escorté par deux policiers.

 

Alors que son interprète lui tend un écouteur dont il se saisit avec difficulté, le quadragénaire a seulement le temps de balayer du regard chacune des personnes présentes, que le président prend déjà sa place pour débuter un dialogue de sourds : « Vous êtes sans domicile fixe, célibataire, sans ressources… Acceptez-vous d’être jugé immédiatement ? » Pour seule réponse, l’homme à l’allure élancée vers qui tous les regards sont dirigés balbutie quelques mots incompréhensibles.

 

L’avocat n’a pas pu préparer la défense de son client

 

« Désolé, je ne comprends pas ce que dit ce monsieur. Ce n’est pas de l’anglais, ou en tout cas pas un anglais que je comprends », s’excuse la traductrice. Puis subitement, le quadragénaire parvient à sortir, dans un anglais parfait : « Si je dois être jugé, il me faut savoir pourquoi. » Il s’agit là d’une des seules interactions fluides. Mais ne souhaitant pas rappeler les faits déjà exposés, le président conclut avec impatience : « Qui ne dit mot ne consent pas, nous ne pouvons pas juger cette affaire immédiatement. »

 

Dans la foulée, l’avocat du Nigérian baisse les bras, expliquant aux juges ne pas avoir réussi à communiquer avec son client la veille de sa comparution : « J’ai eu un entretien assez lunaire. Ça ressemblait à une partie de kamouloux à chaque fois que je m’adressais à lui. Je ne peux que recommander une expertise psychiatrique. »

 

Durant ces brefs échanges, l’homme en question fixe les membres du public, les sourcils haussés, comme cherchant le motif de sa présence au tribunal. Le président tente une ultime communication : « L’anglais est-il votre langue maternelle ? On parle anglais avec maman ? » Le prévenu répond par l’affirmative, sans développer, sous le ricanement des policiers derrière lui qui le raccompagnent ensuite vers la sortie, menotté.

 

L’affaire sera jugée le 23 mars

 

Une demi-heure plus tard, après concertation des juges, le Nigérian revient dans la salle d’audience, toujours couvert d’une épaisse doudoune noire malgré la chaleur de la pièce. On lui explique la décision du tribunal : son cas sera jugé le 23 mars, il sera maintenu en détention et examiné par un psychiatre d’ici là. « J’ai une question », lance-t-il alors en anglais. « Ce n’est plus le moment », lui répond sèchement le juge.

 

Parmi les membres du public, une jeune femme chuchote : « Il a l’air perdu. » C’est le mot, et il s’applique à la vingtaine de personnes présentes : nous sommes perdus. Son arrivée en France, son voyage interdit d’Épinal vers l’Alsace, sa santé mentale… Autant de questions à propos de cet homme qui, le temps d’une audience de quelques minutes, restent en suspens.

Luc Herincx

Édité par Nils Hollenstein

Charlotte Thiede
Édité par Quentin Celet

Pages