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Un éco-quartier au sol pollué

Difficile aujourd’hui de voir pourquoi le quartier mérite le qualificatif d’écologique. Les voitures sont partout, comme les engins de chantier qui s'activent. La route du Rhin, ses quatre voies de circulation et ses poids lourds rappellent qu'on est au cœur d'une métropole d’un demi-million d’habitants. Cependant l’objectif final est d’atteindre le zéro voiture en stationnement en surface. A l’exception des personnes à mobilité réduite, les habitants ne pourront pas circuler en voiture dans l’éco-quartier et devront se garer sur l’une des 520 places de parking en sous-sol. A titre de comparaison, le parking du cinéma UGC compte environ 600 places.

Beaucoup d'habitants là « par hasard »

Ces intentions sont loin d'être partagées par tous les habitants de l'éco-quartier. Une partie de la population est imperméable à ce discours. « Je m’en fous d'habiter dans un éco-quartier, lâche Antoine P., qui vit dans la résidence étudiante Kellermann depuis la rentrée. Je suis là parce que c'est proche du centre et de la fac, c'est tout. »

En revanche, tous les habitants profitent de l'atout numéro un du quartier : sa localisation. Proche de Rivetoile et du canal du Rhône-au-Rhin, à 20 minutes à pied de la cathédrale et deux minutes du tramway, le Danube offre à ses habitants toutes les commodités possibles. « Si l'éco-quartier avait été ailleurs, je n'y serais sans doute pas allée, affirme Edithe Bresch. Je voulais absolument être proche du centre-ville. Pas à Illkirch ou pire, à la campagne. »

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Habitats naturels et urbains coexistent au parc du Heyritz © Juliette Mariage 

« Vivre ensemble sans se regarder en chiens de faïence »

A l'ombre des grues et des squelettes d'immeubles, ce « vivre autrement » est pour le moment loin de ressembler à celui vanté par la Mairie et les promoteurs. « Pour l'instant, la vie ici, c'est le chantier, constate Grégoire Klotz, qui habite au bord du canal depuis l'été 2015. On ne dit pas encore bonjour à tout le monde. »

Grégoire Klotz et quelques uns de ses nouveaux voisins ont décidé de s'unir en collectif d'habitants. Ils sont en tout une dizaine de membres actifs, qui donnent leur temps pour faire de leur quartier un endroit plus agréable à vivre. « On essaye d'aider les gens à s'installer et de créer un état d'esprit commun, précise Hervé Rémy, habitant de l'immeuble Belved'air depuis février 2017. On veut apprendre à se connaître, pour éviter d'avoir toujours le fusil près de la porte.Tout ce qui peut amener les gens à vivre ensemble sans se regarder en chiens de faïence, c'est positif ! »

 

 

Selfies et photos d’anniversaire décorent les murs de l’ « Appart ». Sandrine, Laurent, Nina, Charline et Benjamin se partagent les 200 m² de ce magasin Leroy Merlin déguisé en loft. Ici, pas de vendeurs mais des « colocs », choisis avant tout pour leur personnalité et leur complémentarité.

Installé dans le centre commercial en septembre 2016, c’est le premier Leroy Merlin de ce genre en France. Les autres boutiques de l’enseigne dépassent souvent les 10 000 m². Peu d’articles sont en vente dans le magasin, mais les clients ont la possibilité de commander et d'être livrés en 24 heures depuis le Leroy Merlin de Hautepierre auquel la boutique est rattachée. 

Depuis l'installation au rez-de-chaussée de Rivétoile, les vendeurs sont au cœur du projet. Autonomes, ils changent la décoration, testent de nouveaux services pour les clients, en bref ils expérimentent. « Avant, on avait plus de produits en rayon, mais on s'est rendu compte que ce n'est pas ce qui marchait le mieux. Donc on a décidé de réduire », raconte Nina. Elle ajoute : « C'est notre bébé. »

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Jeremy, 26 ans, ne voit que les points positifs dans le quartier pour sa première entreprise © Konstantin Manenkov

Dans le parc du Heyritz, oiseaux et joggeurs se côtoient quotidiennement © Phœbé Humbertjean

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La construction des logements durera encore 2 à 3 ans avant d’accueillir les nouveaux habitants © Konstantin Manenkov

Strasbourg, un matin d’octobre, un cygne nage paresseusement sur les eaux du bassin du Heyritz. Il rejoint comme ses congénères un des îlots flottants, inaccessibles aux promeneurs. Ces zones, réservées à la nidification, sont classées « naturelles » : protégées du public. « Il y a là de la nourriture pour les plantes et des insectes qui servent à nourrir les oisillons en période de nidification », analyse Marc Keller, animateur scolaire pour la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Le parc des Deux-Rives consacre également une partie de son terrain au développement de la flore. Dans ces zones dites de classes naturelles, les jardiniers interviennent moins souvent.

 

« Ça fait 20 ans qu’on réinvente le métier et qu’on s’adapte », constate Christian Meline, gestionnaire des espaces verts du quartier Neudorf. Arrivé en 1997 à Strasbourg, il a été témoin des différentes mutations de la profession de jardinier. « Moi j’ai 50 ans, les attentes ne sont plus les mêmes par rapport à la manière dont j’ai été formé ! », se souvient-il. Depuis 2008, la protection de la biodiversité est devenue un enjeu capital.

 

Entre 2008 et 2010, les premières techniques alternatives de désherbage sont expérimentées par les équipes de jardiniers. Exit les produits phytosanitaires. Une décennie plus tard, l’effet bénéfique de la suppression de ces herbicides est palpable. « Les insectes ne sont plus empoisonnés », note Marc Keller.

 

Au-delà d’une amélioration de la qualité de vie de la faune, c’est également tout le paysage urbain qui s’est transformé : des brins d’herbes entre les pavés et des fleurs au pied des lampadaires s’épanouissent. « L’espace vert sans herbicide, c’est un espace vert différent » explique Christian Meline. Adieu les parterres entièrement désherbés, bonjour les plates-bandes d’herbes folles. Les jardiniers trouvent alors des compromis : paillage des sols, désherbage manuel, sélection et acceptation des plantes adventives. Les rôles se sont inversés selon Christian Meline qui a maintenant pour devise : « On est au service de la plante, pas le contraire ».

 

Les espaces protégés par les jardiniers sont essentiels pour les oiseaux. D’autant plus que le quartier s’urbanise de plus en plus. « On est dans une logique de densification des constructions », reconnaît Florian Venant, chef de projet transition énergétique et écologique en urbanisme à l’Eurométropole. Cette dynamique a des conséquences néfastes pour la faune. « Dans le quartier il y a eu des grosses pertes de lieux de vie pour les oiseaux parce qu’on a trop bâti », constate Marc Keller. « On a du mal à renforcer la place du végétal », admet Florian Venant, chargé du projet d’Écoquartier du Danube.

 

« D’un côté il y a une perte d’espace pour les animaux, et d’un autre, les pratiques se sont beaucoup améliorées », tempère Marc Keller. Christian Meline précise que les espaces verts se sont multipliés ces dernières années, mais que cette dynamique s’est tarie. Aucun projet de parc à Strasbourg entre le Heyritz et les Deux-Rives n’est prévu à l’heure actuelle.

 

Les parcs existants sont des espaces très fréquentés, aux usages multiples, qui peuvent parfois mettre à rude épreuve les zones non-protégées. « En l’espace d’une dizaine d’années, l’approche des utilisateurs des espaces verts a changé », observe Christian Meline. Bandes d’adolescents, joggeurs et manifestants ont remplacé les passants du dimanche. Ces nouveaux utilisateurs sont dans une logique de « consommation » des espaces verts. Ils y passent plus de temps sans toujours se soucier de les préserver. Or Christian Meline le rappelle : « L’espace vert est là toute l’année et il est là pour durer ».

 

D’où la nécessité de sensibiliser ce public consommateur à la sauvegarde de la biodiversité urbaine. Lors de toute demande d’occupation d’un espace vert, l’organisateur doit prendre connaissance des précautions d’usage. Des associations se chargent également de responsabiliser le jeune public, comme Marc Keller qui intervient pour la LPO en milieu scolaire dans le quartier. Martins-pêcheurs, foulques macroules et sternes pierregarin pourront peut-être compter sur ces citoyens de demain pour préserver leur habitat. 

 

Juliette Mariage et Phœbé Humbertjean

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