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L'incubateur Semia accueille des start-up à Strasbourg  Crédit photo: Cuej / Thomas Porcheron

L'antenne Wifi, un lien vers Internet essentiel pour les hackeurs. Crédit photo : Cuej / Pierre-Olivier Chaput.

Chaque vendredi soir, les hackeurs du Hackstub ouvrent leurs portes aux curieux. Dans les locaux du Shadok, le collectif s'adonne autant à l'informatique qu'à la cuisine et au débat éthique.

Sur des canapés bas dans un angle sombre du premier étage du Shadok de Strasbourg, une poignée de personnes discutent doucement. En s'approchant, on peut entendre des termes comme « clés de chiffrement », « tunnel VPN » ou encore « certificat SSL ». Tous les vendredis soirs, le Hackstub ouvre ses portes, ou plutôt celles de l'ancienne usine Bischwiller, sur la presqu'île Malraux. C'est là que se trouve le « hackerspace », sorte de laboratoire communautaire où les passionnés et les amateurs bricolent et mettent en commun leurs savoirs, le plus souvent dans l'informatique. Depuis que la fédération alsace.netlib.re a obtenu son petit coin à elle dans l'espace de travail partagé strasbourgeois, les hackeurs ont pris leurs aises. À l'approche du week-end, ils arpentent souvent seuls cet espace au décor encore essentiellement constitué de béton armé.

Ce 17 mars, l'étage est occupé par une exposition, reléguant le collectif de bidouilleurs dans ce recoin peu éclairé. On y retrouve Valentin, d'Alsace Réseau Neutre, qui discute avec deux nouvelles têtes des difficultés à établir un véritable anonymat sur Internet. De l'autre côté de la table, une étudiante en art raconte son expérimentation intitulée #BalanceTonPortable (lire notre reportage). Plus tard, la petite troupe monte d'un étage jusqu'à l'espace de coworking déserté et rejoint les habitués qui y ont déjà déployé leurs ordinateurs. Dans la cuisine commune voisine, la « stammtisch », table des rencontres où l'on partage à boire et à manger, se met en route. Irina et Jérémie, membres actifs du collectif, passent derrière les fourneaux. Au menu : spätzle aux pruneaux tandis que la discussion dérive doucement entre la configuration d'antennes radio et les dernières avancées en matière d'intelligence artificielle.

Vers minuit, Jérémie raccompagne les visiteurs. Pour lui, le premier jour du week-end ne va pas rimer avec « grasse matinée » mais plutôt avec « atelier à préparer ». Samedi, il doit animer un Network and magic, « jeu de rôle sérieux » qui vise à faire comprendre le fonctionnement d'Internet.

Pierre-Olivier Chaput

Il n’existe aucune définition officielle de la start-up. La traduction littérale donne « société qui démarre ». Souvent liée au monde du numérique, la start-up embrasse tous les secteurs de l’économie: industrie, agro-alimentaire, transports…
L’historien Patrick Fridenson, historien des entreprises et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), définit la start-up par trois caractéristiques : la perspective d’une forte croissance, l’usage d’une nouvelle technologie et le besoin d’un financement massif par des levées de fonds.

 

Distribué par Monoprix et au chômage

Non loin de Sémia, dans le chic café Brandt, les yeux bleu profond d’Alexis Wydra scrutent la fenêtre mouillée par la pluie. L’histoire de sa start-up, Aztek, une marque de jus de pastèque, est assez particulière. Quelques mois à peine après son lancement, Alexis Wydra et son associé signent un contrat avec Monoprix et vendent leur boisson dans les 220 magasins de France pendant trois mois. « Prendre un énorme client dès le lancement, c’est très rare », se félicite-t-il. Le produit se vend très bien, l’enseigne leur propose de poursuivre la collaboration. Aujourd’hui, pourtant, Alexis est au chômage, et il aurait fermé sa boîte si deux investisseurs ne l’avaient pas rachetée in extremis. « On part sans dettes, c’est déjà ça », se rassure-t-il.

Dans son récit, un mélange de fierté et de frustration, teintée d’une pointe d’amertume. « C’est un peu un échec », reconnaît-il à demi-mot. Mais aucun regret. « A un moment, il a fallu qu’on investisse pour développer l’emballage, la communication, pour au moins 200 000 euros. On n’a pas voulu risquer de l’argent qui ne nous appartenait pas. » D’où la fin de l’aventure. Contrairement à la plupart des start-uppeurs, il ne parle pas de « business model », de « marketfit ». Les mots « innovation », « projet », « progrès » ne font pas partie de son vocabulaire.

La précarité l’a toujours accompagné. « On ne s’est jamais pris de salaire sur Aztek. J’avais un autre travail à côté pour gagner ma vie. C’était très éreintant, tu te mets sur les rotules. » Il ne fait pas partie des chanceux incubés par Sémia. « Ils nous ont dit que le concept n’était pas assez innovant. L’agro-alimentaire, c’est moins vendeur que le numérique. » Serait-il prêt à se relancer ? Pourquoi pas. Mais ce n’est pas sa priorité. Il souhaite d’abord… passer par le salariat.

Thomas Porcheron

Les appuis aux jeunes pousses sont relativement nombreux et généreux : Réseau Entreprendre ou Sémia – financés en partie par les pouvoirs publics – dispensent des conseils en marketing et en communication, la Région Grand-Est accorde des subventions de 100 000 euros pour la recherche et le développement, la Banque publique d’investissement se porte garante pour assurer un prêt aux start-up, le label French Tech distribue jusqu’à 45 000 euros de bourses. « Cela ne permet pas de durer, tempère Luca Fancello. Le meilleur financement, c’est le client. »

Encore faut-il le trouver. « Beaucoup d’entrepreneurs ont une bonne idée, mais ne savent pas comment la vendre, analyse Sébastien Dérivaux, membre d’Alsace Business Angel, un réseau d’investisseurs alsaciens. Cette acculturation au marketing est un obstacle. » Il salue les soutiens publics aux start-ups, mais en pointe les limites : « Faire des  dossiers de candidature prend du temps, que l’on ne passe pas à vendre son produit et trouver des clients. Or, c’est ça qui assure la pérennité d’une entreprise. En cela, c’est un peu pervers. » Selon lui, l’écosystème alsacien manquerait encore de maturité. « Il faudrait des chefs d’entreprises qui ont vendu leur boîte et réinvestissent pour que le système s’autoalimente. » Seules trois ou quatre start-ups alsaciennes font plus d’un million de chiffre d’affaires par an. Chez Sémia, la plupart font quelques dizaines de milliers d’euros, quand une simple boucherie crée 328 000 euros en moyenne (source : Insee). Et attirer des investisseurs parisiens quand on est à Strasbourg est une gageure. « Pour lever plus de 100 000 euros, c’est mieux d’être connu dans le milieu des investisseurs, ajoute Luca Fancello. Ce n’est pas le genre de contacts qu’on trouve sur Internet. »

« 10 000 euros au départ, c’est que dalle »

En réalité, monter une start-up relève du parcours du combattant. Des mois de labeur, pendant les études ou après le travail, à vivre sur le dos de ses parents ou de son conjoint, sans se verser de salaire. Avec comme horizon, souvent, l’échec. Selon le site 1001 start-ups, seules 10% d’entre elles survivent après quelques années. Le plus gros défi consiste à trouver des financements : près d’un tiers des échecs sont dus à un manque de liquidité.

Luca Fancello est cofondateur de Brewnation, une plateforme en ligne de distribution de bière artisanale basée à Mulhouse. « Tout l’investissement qu’on a pu mettre au départ, c’est 10 000 euros, raconte-t-il. Pour l’e-commerce, c’est que dalle, ça sert à peine à faire un test. » Il a cravaché pour obtenir des subventions, des aides et gagner des prix.

Si la « start-up nation » chère à Emmanuel Macron était une marque de parfum, Sémia en serait le laboratoire et Clément Sornin l’égérie. À 26 ans, il codirige Teewii, une plateforme numérique en pleine ascension qui propose aux étudiants de faire du « tee-shirting » et du « flyering » pour les entreprises. Cheveux en bataille, barbe de trois jours, tenue décontractée, le jeune homme a réussi le parcours parfait. En 2016, son projet remporte le Start-up week-end de Mulhouse. Sémia accepte de l’incuber dans la foulée. Aujourd’hui, Teewii collabore avec des gros calibres comme Orange ou la Banque Populaire et rêve d’international. Avec 100 000 euros de chiffre d’affaires en 2017, la jeune pousse tourne avec six salariés et trois stagiaires. « Une start-up doit toujours se remettre en question pour croître », philosophe Clément Sornin, avec un sourire qui donne à croire que tout est facile.

Trouver de l’argent est une question de survie pour une start-up, au-delà des success stories, des applications pratiques et du discours flatteur sur l’innovation. Les aides sont nombreuses, mais elles n’assurent pas la viabilité des entreprises.

Sémia est un pavé quelconque posé au milieu de la Krutenau, ceinturé de grilles et d’un muret émaillé de mots griffonnés à la craie : « innover », « créer », « progrès », « avenir ». Des escaliers bleu électrique, des murs chamarrés, une galerie de photographies d’entrepreneurs souriants. A l’entrée, un baby-foot comme figure de proue, incarnation suprême de l’esprit start-up. Des jeunes, plutôt masculins, en jean-baskets défilent dans les couloirs, à la recherche d’un café. Peu ont dépassé la trentaine. Sémia est un incubateur de start-up. Elle « couve » les jeunes entreprises en leur prodiguant de précieux conseils et des bureaux tout frais à moindre prix.

Au Parlement européen, la percée des forces antisystèmes aux élections législatives italiennes suscite l'inquiétude.

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