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Atelier "Slow Couture ", deux samedis par mois à La Fabrique, 91 route des Romains, Strasbourg. 03 88 12 23 87 / lafab.org
Le projet Secret Garden entre en scène en 2008, lorsque Frank Immobilier rachète le site. Le promoteur obtient ce terrain inconstructible en échange de sa dépollution. Il prévoit un complexe résidentiel de 226 logements répartis sur huit bâtiments et 3,5 hectares de terrain au bord de la Bruche. Aucune installation d’énergie renouvelable n’est envisagée. Le projet s’inscrit dans la politique municipale du logement, qui vise à réhabiliter les friches industrielles et à augmenter le parc immobilier. Le plan d’occupation des sols est modifié en 2010 et rend cette zone inconstructible habitable. L’association Koenigshoffen Demain conteste alors ce nouvel aménagement mais perd le procès devant le tribunal administratif de Strasbourg (TA) le 18 décembre 2014. La Ville attribue donc le permis de construire en 2015 et le chantier démarre. "Le site offre des caractéristiques exceptionnelles avec les abords bucoliques du canal de la Bruche et sa piste cyclable au sud et du Muhlbach à l’ouest", annonce la page web de Secret Garden. Le promoteur présente ce projet comme axé sur la nature, avec une "architecture apaisante". Pourtant, cet espace est loin d’être vert pour tout le monde…
“On savait qu’on ne commencerait pas les travaux en période hivernale”
“C’était une décision d’expulsion brutale”, dénonce Eric Schultz, l’un des élus verts présents le matin du 30 octobre 2012. “On savait qu’on ne commencerait pas les travaux en période hivernale”, affirme l’actuel adjoint municipal, soutien historique du 2 route des Romains. Par sa présence, il a souhaité “empêcher les dérapages toujours possibles de la force publique et, au moins, en être témoin”. Son appui a divisé au sein de l’équipe municipale. “Le maire estimait que ce n’était pas mon rôle”, ajoute-t-il.
Dans la ligne majoritaire, l’ex-adjoint de quartier Eric Elkouby ne laisse planer aucune ambiguïté sur sa position : “Je me suis battu jusqu’à la démolition”. En cause, selon lui, l’insalubrité des lieux, qu’il compare volontiers à l’effondrement récent de maisons rue d’Aubagne à Marseille. De son côté, Isabelle n’a jamais constaté de signes d’insalubrité dans le logement. En 2010, une décision de justice l’avait d’ailleurs confortée : le caractère urgent de l’expulsion allégué par la Cus (Communauté urbaine de Strasbourg, devenue Eurométropole de Strasbourg, EMS) n’avait pas été établi. Isabelle pense que le problème ne vient pas de l’insalubrité mais de la crainte d’une responsabilité de la mairie. “Ils s’en foutent que les gens prennent des risques s’ils ne sont pas responsables”, lâche-t-elle, amère.
“Ni entrée, ni bar”
Pendant six ans, une dizaine de personnes aux profils éclectiques ont vécu dans cette ancienne ferme à deux étages comportant huit chambres aménagées. Eric Elkouby considère qu’ils étaient proches de l'extrême gauche. Isabelle insiste sur la diversité des motivations au sein du groupe. Des événements ouverts au public étaient organisés plusieurs fois par an, rassemblant parfois des centaines de personnes. “Ni entrée, ni bar”, peut-on lire sur les affiches sérigraphiées de l’époque, comme un résumé de la philosophie du lieu, avec la gratuité comme priorité. Concerts, pièces de théâtres, performances, projections de films… Les squatteurs ont même donné des spectacles de marionnettes, qui ont attiré des jeunes de Koenigshoffen.
Hassan
37 ans
Marié, deux enfants
Proches installés au Hohberg : parents
L’histoire de ce site au cœur de la controverse commence avec l’installation des imprimeries magazines des DNA dans les années 1960. Située rue Jean-Mentelin, au sud-ouest de Koenigshoffen, elle connaît d’abord une ère alsacienne, avec la société Jean Didier. Le nom de Québecor lui vient du repreneur canadien qui découvre en 1994, au moment du rachat, la pollution de la nappe phréatique. Un pompage est nécessaire pour confiner la zone et le rapport du laboratoire Lisec confirme la présence de ces polluants en 2005. La cause : des fuites dans les citernes d’encre ont provoqué une forte contamination au toluène et aux hydrocarbures, des substances toxiques et cancérigènes. L’amiante des murs menace aussi de se disperser et d’affecter la population. L’usine ferme ses portes en 2006 et ses locaux sont laissés à l’abandon. Son état de délabrement pendant deux ans pousse l’association Koenigshoffen Demain à demander le confinement du site avec le soutien d’Eric Elkouby, alors adjoint du quartier.
"Ici c’est moins pire, la chambre est plus grande", affirme-t-il. Mais le quinquagénaire regrette un manque d’accompagnement : "On nous propose le strict minimum. Un toit, c’est tout". Pour un loyer de 409 euros par mois, Jean-Marie ne bénéficie d’aucune aide.
L’ambition affichée par Adoma est claire : la résidence sociale est temporaire. Le principe est d’héberger des personnes en difficulté, le temps qu’elles trouvent une situation stable. La plupart des locataires bénéficient ainsi des minima sociaux, certains sont retraités, peu sont salariés. Mais dans les faits, l’occupation peut être longue. Movsar réside ici depuis deux ans et n’a aucune idée du temps qu’il va y séjourner. "Je ne pense pas m’éterniser, mais je me suis fait au quartier, j’ai mes habitudes." De son côté, Jean-Marie n’a qu’un souhait : "partir au plus vite". Mais dans sa situation, il ne parvient pas à obtenir un logement dans le parc immobilier traditionnel. "Impossible de trouver un garant, de payer des frais d’agence… Je suis bloqué, se décourage-t-il. Il y a des gens qui sont là depuis plus de dix ans. Moi, ça fait déjà trois ans et je n’en peux plus."
Ehmade aussi voudrait s’en aller. Après un périple en bateau depuis la Libye et deux refus à la frontière, l’homme de 52 ans est arrivé en France en 2014. Réfugié politique, il a fui le Soudan en raison de la guerre. Après un passage par Paris et par la jungle de Calais, il a rejoint Metz et enfin Strasbourg.
Ehmade, Jean-Marie et Movsar ont beau être voisins aux "Romains", ils ne communiquent pas. Ils ne parlent respectivement que l’anglais, le français et le russe. "Je ne peux échanger qu’avec des russophones, principalement des Arméniens, Géorgiens, Ukrainiens", lâche le Tchétchène. Pour les autres, la conversation se limite à de brèves formules de politesse. "Presque personne ne parle français ici, on se rapproche inévitablement des personnes venant de la même zone géographique", déplore Movsar. Les trois hommes ne connaissent même pas le prénom des autres. Ils partagent pourtant la même "unité de vie", section regroupant trois à cinq personnes avec cuisine, douche et toilettes communes.
Un manque d'accompagnement
Jean-Marie est né à Strasbourg. S’il s’est retrouvé aux Romains, c’est parce que sa vie a basculé en 2014. Sa femme le quitte, il perd emploi et logement. Après un bref passage en centre d’hébergement au Neuhof, dans une chambre "qui ressemblait à une cellule de prison", il se retrouve dans ce logement sur le conseil d’assistants sociaux.
Koenigshoffen Demain, l’association en guerre contre les promoteurs
Avec plus de 300 adhérents, Koenigshoffen Demain est un acteur incontournable de la vie du quartier : organisation du marché de Noël, manifestations et travaux d’embellissement. Mais depuis sa création en 2008, en réponse à la friche industrielle Québecor, son moteur demeure la protection du quartier face à l’urbanisation galopante. Deux autres initiatives suscitent une ferme opposition des membres de l’association : la création de 250 logements sociaux rue de la Chartreuse et la relocalisation d’un centre culturel turc chemin Long.
Apolitique, Koenigshoffen Demain fonctionne grâce aux cotisations des adhérents, aux subventions du Crédit Mutuel et à une partie de la réserve parlementaire de l’ancien député du Bas-Rhin, Eric Elkouby. Ces fonds lui permettent de s’engager dans des combats judiciaires contre les entreprises de construction en cours.