Contrairement à Ana ou au Magnolia, certains ont tout de même pu prendre le train de la croissance en marche, comme Kristina, salariée du Princess Casino. « Avant il n’y avait pas de transports publics, pas de bonnes routes et d’infrastructures. Aujourd’hui, c’est bien mieux avec l’évolution de la ville, affirme la croupière, cheminant vers son travail en jogging et basket. C’est bien que les étrangers manifestent de l’intérêt pour la ville. Les constructions sont une source de travail et de revenus pour beaucoup de gens ici. » Paradoxale, Batoumi est habitée par cette disparité, une modernité rêvée, lucrative, mais aussi inadaptée, en particulier à l’urgence climatique, tout au bas de la liste des priorités locales.
Camille Aguilé
Cyprien Durand-Morel
Isalia Stieffatre
Avec Nini Shavladze et Mariam Mtivlishvili
Sans en produire, la Géorgie est devenue le principal marché de l’automobile du Caucase. Sa spécialité : la voiture d’occasion importée des États-Unis, puis ré-exportée de Roustavi, au sud-est de Tbilissi.
L’Adjarie continue de miser sur le tourisme, qui se concentre sur les mois d’été. 32 % des investissements de la région lui sont dédiés selon le Département du tourisme de la république autonome d’Adjarie. Ce secteur n’est toutefois plus le seul moteur du développement de Batoumi, où des structures commerciales sortent de terre et espèrent être rentables à l’année. C’est le cas du Batumi Grand Mall, un centre commercial qui ouvrira en août 2023 sur la rue Sherif Khimshiachvili, parallèle au boulevard de Batoumi. 24 000 m2 de boutiques, un cinéma, une salle de fitness, une aire de restauration et un bowling… L’établissement a coûté 20 millions d’euros. Il sera le premier de la région à accueillir des marques internationales comme Zara ou Mango. Le Batumi Grand Mall pourra profiter d’un récent changement de démographie. « La guerre entre la Russie et l’Ukraine joue un rôle important dans la croissance locale, affirme l’économiste Paata Aroshidze, professeur associé à l’université Shota Roustaveli de Batoumi. Des Ukrainiens et des Russes avec des salaires supérieurs à la moyenne arrivent pour échapper au conflit. Ils s’installent à Batoumi, consomment, et injectent du capital. » Ces nouvelles populations au pouvoir d’achat plus élevé que la majorité des Géorgiens ont aussi les moyens d’habiter les immenses complexes immobiliers construits au cours des vingt dernières années.
Une ville inadaptée à l’urgence climatique
« Avant la guerre, beaucoup d’immeubles étaient vides, sans lumière et sans vie », décrit Natia Apkhazava, du Civil Society Institute, organisme de lutte contre les inégalités. Une conséquence de l’évolution rapide mais chaotique de la ville. « À l’époque, le gouvernement ne s’intéressait pas à la façon dont les immeubles allaient vraiment bénéficier aux habitants de Batoumi sur le long-terme, déplore Natia Apkhazava. L’objectif était de construire, pas d’améliorer la ville. » Au détriment des enjeux écologiques. « Cette urbanisation rapide a détruit la nature et l’environnement. Elle a aussi empiré la pollution de l’air », tempête Shota Gujabidze. L’écologiste est membre de l’association Society Batom, opposée à la transformation dérégulée de Batoumi.
Cette urbanisation désordonnée a parfois laissé sur le carreau habitants et bâtiments. Ana a 90 ans et vit depuis plus de 70 ans à Batoumi. « Aujourd’hui, les prix sont plus hauts, et ma maison n’est pas aussi bien qu’avant. J’avais plus d’argent, un meilleur travail, je pouvais acheter tout ce que je voulais. Tout a augmenté », témoigne-t-elle, assise devant sa minuscule épicerie. S’il pouvait parler, le Magnolia Building tirerait sûrement les mêmes conclusions que la Géorgienne. Son histoire est aussi édifiante que son apparence. Une arcade blanche aux épaisses colonnes romaines précède une cour entourée de 900 appartements à la façade lépreuse et noire de moisissure. Sur les 13 étages, quatre ont été ajoutés illégalement, conduisant à la condamnation du promoteur immobilier. Ce dernier a ensuite fait faillite et laissé l’immeuble à l’abandon, en proie à une détérioration accélérée. Le bâtiment n’a que 12 ans mais il en paraît 100 et fait pâle figure par rapport au McDonald’s en forme de vaisseau futuriste qui lui fait face. Plusieurs appartements vides sont désormais des dépotoirs à l’odeur nauséabonde. L’endroit avait pourtant vocation à devenir un établissement haut de gamme avec piscine et service de chambre.
En 2020, Batoumi inaugurait l’Adjarabet Arena, symbole du virage moderniste pris par la ville pour rendre le quartier attractif en Géorgie et au-delà.