Une ferveur religieuse en baisse, après un pic post-communisme
Ovidiu fait habituellement partie de cette foule, malgré quelques réserves : « Je vais à l’église mais je me méfie de l’institution orthodoxe. » Lui y est resté, mais beaucoup de ses amis, comme une partie de la jeunesse roumaine, se sont détournés de ses portes. « Si on s’intéresse aux comportements religieux (assistance aux services, prières, jeûnes, etc.), on constate qu’il y a un affaiblissement plus profond », précise Dani Sandu, qui a cosigné une étude sur la jeunesse de son pays en 2019. Selon cette dernière, 13 % des jeunes assistent à la messe au moins une fois par semaine. C’est deux fois moins que cinq ans auparavant.
Une tendance qui contraste avec l’effervescence religieuse observée chez les jeunes au cours de la décennie qui a suivi la chute du régime communiste. Des milliers d’églises flambant neuves, ainsi que des facultés de théologie, sont sorties de terre et le nombre de pratiquants parmi les jeunes avait doublé : de 17 % en 1990 à 34 % en 1999. « Ces dix dernières années, de moins en moins de jeunes s’investissent dans la vie de la paroisse, même si beaucoup continuent de pratiquer. Ils croient encore mais ne viennent plus », déplore le diacre de la cathédrale, Simeon Pintea. De l’avis de la plupart des sociologues, ce phénomène est une des conséquences de l’influence du monde occidental sur l’évolution de la société roumaine, renforcée par l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007. Et particulièrement à Cluj, comme l’indique Dani Sandu : « Cluj, en tant que grande ville très prospère et universitaire, est beaucoup plus connectée avec l’Europe. L’occidentalisation y est plus rapide. »
En Roumanie, cette spécialité qui assure les soins de base a perdu environ un quart de ses effectifs en dix ans. Rémunération et conditions de travail attirent peu les praticiens. Décryptage et diaporama.
À cinq kilomètres du prisé centre-ville de Cluj-Napoca, les collines verdoyantes de Pata Rât abritent l’un des plus vastes bidonvilles du pays. Entre les centaines de cabanons faits de bric et de broc, des tas d’ordures et des détritus parsèment les chemins boueux. Environ 1 600 Roms dont un millier d’enfants vivent à seulement quelques mètres d’une décharge illégale, sans eau courante, ni chauffage. Symbole de la misère sociale d’une minorité discriminée, à Pata Rât les bambins grandissent exclus et franchissent timidement les portes de l’école. Au collège Traian Dârjan, à deux kilomètres d’ici, trois, peut-être quatre élèves viendront assister au cours ce matin-là, sur une classe d’une vingtaine de têtes. La grande majorité habitent le ghetto. Au fil des dernières années, les enfants roumains non issus de la communauté ont déserté l’établissement. « Ils étaient séparés des Roms dans des bâtiments distincts, mais les problèmes de comportement, les bagarres, ont fait fuir les familles », pointe Sergiu, un enseignant. Aujourd’hui, le collège est aussi ségrégué que vide.
« C’est un combat quotidien pour convaincre les parents d’envoyer leurs enfants en cours », soupire le professeur qui se rend à Pata Rât presque chaque après-midi. « Ils ne considèrent pas que l’école est importante. Il y a une forte tradition d'éducation intra-familiale. » Gamins sous le bras, les femmes sont souvent cantonnées à un rôle de mère de famille. « Je suis née ici et aujourd’hui, j'élève mes huit enfants. Je dors à même le sol, comme un chat », plaisante une femme âgée d’une quarantaine d’années. Son sourire laisse apparaître une bouche édentée. Les mains abîmées, les hommes travaillent pour la plupart dans la décharge, souvent avec l’aide de leur progéniture. « Une grande partie des adultes ne savent ni lire, ni écrire. Cette génération a subi de fortes ségrégations depuis des décennies et ils ont peur pour leurs enfants, peur qu’ils soient maltraités, analyse la sociologue Cristina Raț. La ségrégation sociale et la précarité causent inévitablement une ségrégation scolaire. »
En Roumanie, la communauté rom reste fortement ségréguée. Dans le bidonville de Pata Rât à Cluj-Napoca, des enseignants et travailleurs sociaux se battent pour pousser les enfants du ghetto à rejoindre, et surtout rester à l’école. Une lutte peu soutenue par les autorités locales.
Dans la salle d’attente où le papier peint synthétique orné de coquelicots se décolle peu à peu, une mère et son enfant attendent patiemment leur tour. Dans la salle d’à côté, Gheorghe et Elena Dulau, un couple de médecins de famille, enchaînent les consultations et ce, depuis 35 ans. Dévoués pleinement à leur métier, ils exercent à Valea Lungă, commune d’environ 3 000 habitants. Ils ont prévu de prendre leur retraite dans deux ans, or personne ne semble vouloir reprendre le flambeau. En Roumanie, la spécialisation « médecine de famille », qui assure les soins de santé de base, peine à attirer. En dix ans, le pays a perdu 2 500 médecins de famille. Assujetti à un rythme élevé, le couple Dulau suit près de 5 000 patients : une conséquence directe de l’absence de confrères dans les environs. À titre de comparaison, un praticien français suit en moyenne 650 personnes.