Artistes déprogrammés, festivals annulés, établissements fermés… L’appel au boycott s’est popularisé sur les réseaux sociaux comme moyen de faire pression sur des établissements jugés problématiques. Rencontre avec ces Strasbourgeois qui le pratiquent dans le milieu festif.
Le soir, à la sortie des bars strasbourgeois, un sujet revient sur la table : « Où est-ce qu'on sort ensuite ? ». Question anodine aux premiers abords, mais depuis quelque temps, pas si évidente pour tout le monde. Dans le monde de la nuit à Strasbourg, de plus en plus de gens, de collectifs ou d’associations appellent au boycott quand un lieu ne respecte pas ses usagers, véhiculent des valeurs qu’ils désavouent, ou quand un patron d’établissement est incriminé.
Mardi 17 septembre, une enquête du média Rue89 Strasbourg revient sur les accusations qui touchent le gérant du Wagon Souk, lieu solidaire programmant des événements culturels dans la ville. Discrimination, abus de faiblesse, détournement de fonds… La liste des griefs serait longue (sollicité par la rédaction Webex à ce sujet, il n’a pas donné suite). De quoi pousser des citoyens, des militants ou des collectifs, comme diaspora.sxb, mouvement « antiraciste décolonial et queer », à appeler depuis le 27 août, à un boycott de l’établissement sur Instagram.
« L’union fait la force »
Pour Victor, 28 ans, passionné de musique électronique et habitué de la scène strasbourgeoise depuis dix ans, le boycott est une évidence : « Quand j’ai entendu que le patron d’un établissement à Strasbourg recrutait des femmes sur le physique et était misogyne et violent, je me suis dit que je n’irais plus. » Pour le jeune homme, « c’est un très bon outil de lutte ». « L’union fait la force et ça a un impact économique réel sur ces lieux », veut-il croire
Ne plus fréquenter un lieu comme moyen de pression : le boycott se popularise comme outil militant dans les milieux festifs strasbourgeois. © Wendy Wei
Toutefois, il reconnaît avoir parfois été tiraillé, faute de preuves suffisantes sur la véracité des accusations. « Quand on boycotte un lieu, ça touche aussi les bonnes personnes qui y travaillent : elles peuvent se retrouver dans une situation de précarité et se faire juger », déplore Victor. Le jeune homme opte dans ces cas-là pour une alternative : « Assister quand même aux soirées pour soutenir les collectifs qui y jouent, mais ne pas consommer sur place pour ne pas participer à l’économie de l’établissement. »
« Je ne veux pas enrichir des personnes qui ne l’ont pas mérité »
Rafa, 23 ans, apprentie dans un atelier d’artistes, le pratique aussi. Engagée depuis son jeune âge, la sculptrice est convaincue de l’efficacité politique du boycott : elle en a été témoin. En effet, un autre lieu de fête strasbourgeois, le Molodoi, s’était retrouvé en octobre 2021 sur la sellette. Deux personnes avaient pointé du doigt sur Instagram, l’inaction de l’établissement face à des comportements racistes à leur égard, au cours de l’une de leurs soirées. Rafa avait participé à l’époque à l’appel au boycott qui avait suivi sur les réseaux sociaux. L’établissement s’était excusé et avait adopté plusieurs outils pour lutter contre les violences racistes, dont la mise en place d’une « safe team » dans les soirées. « Notre pouvoir, c’est notre pouvoir d’achat, affirme Rafa. Les gérants ont réagi très vite car ces lieux tiennent à leur image. »
DJ dans un collectif de musique électronique à Strasbourg, Igor ne dit pas autre chose : « Il nous est déjà arrivé de refuser de jouer dans des lieux pour ne pas soutenir et être affilié à ses gérants ». Les raisons sont diverses : violences sexuelles, soutien ou non à une cause politique, conditions de travail non respectées… « Je ne veux pas enrichir des personnes qui ne l’ont pas mérité, dit-il. Le boycott, c’est la seule arme du public. Les autorités compétentes devraient intervenir, mais en l’absence de réaction de leur part, c’est un bon moyen d’agir. »
« Aujourd’hui avec les réseaux sociaux tout va vite »
Pour les établissements accueillant les événements, le fait de bannir des personnes jugées problématiques est aussi devenu un enjeu. Jennifer, programmatrice d'événement au People Bar, l’assure : « Si demain il y a une accusation de viol contre un artiste, bien sûr que je ne vais pas le faire programmer ». Mais elle nuance : « Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tout va très vite. Parfois les réactions peuvent être disproportionnées et plomber une personne pour rien. »
Les établissements peuvent se retrouver au milieu de griefs interpersonnels, fruits de rumeurs lancées volontairement pour nuire, ou insuffisantes pour refuser de programmer un musicien. Elle tempère : « Ma priorité reste la sécurité de mes clients et collaborateurs, mais il faut faire attention à ne pas participer aux petites guéguerres entre associations. »
Carol Burel
Édité par Pierrot Destrez