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Le chant du pivert peine à se faire entendre sous le vrombissement incessant des camions qui se dirigent vers le port aux pétroles, sa zone Seveso et ses friches. À partir du pont du Canal, une dizaine de bâtiments abandonnés ou terrains inutilisés jalonnent le quai Jacoutot. Ici, la nature reprend ses droits, aidée ou non par la main de l’Homme. Cachée par d’épais sapins, Euroasis est la première de ces friches.

 

La “jungle”  d’Euroasis

A l’orée d’un bois qui abrite un hêtre remarquable, des ifs ou encore un pin noir, se dévoilent trois villas de maître abandonnées. “Ça ressemble à une jungle”, s’exclame Gaby Guthmann, présidente de l’association Euroasis. Le mot sonne juste pour décrire cet espace de permaculture, qui tente de reproduire un écosystème naturel. Au cœur de ce désordre organisé dans lequel poussent lavande, blettes, fraisiers, Anne-Claire, une nouvelle recrue, pointe l’enjeu du “sol très pollué. La mairie a recensé du mercure, de l’arsenic et du plomb”. Une problématique qui concerne l’ensemble du quai Jacoutot. Fred, jardinier à ses heures perdues, confie avoir “nettoyé, par précaution, le sol, et ajouté de la terre”.  De son côté, l’association fait pousser ses courges, son maïs, ses citrouilles, dans des bacs à lasagnes : empiler les couches de matériaux permet d’éviter que les cultures ne touchent le sol. La permaculture, en favorisant la biodiversité, a aussi permis le retour de la faune. Désormais classée refuge Ligue de protection des oiseaux (LPO), Euroasis affirme tout mettre en œuvre pour encourager l’installation des oiseaux. L’association a déjà observé un couple de buses, des crécerelles et même une chouette hulule. “On a la chance d’avoir un jardin avec une clôture naturelle de haies, qui permet d’abriter les oiseaux. Des feuilles, du compost et des briques concassées forment des tas à l’extérieur pour les hérissons ou les orvets”, décrit Gaby Guthmann.

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Cueillette des tulipes chez les Horn, au 63 rue Himmerich. ©collection Thérèse Clerc, retouche Bernard Irrmann

©Anthony Jilli et Joffray Vasseur

“La proximité avec la Cité de l’Ill n’est pas dissuasive”

Au fond de la rue Hechner, deux bâtisses se distinguent, l’une orange, l’autre jaune, reliées par un même jardin. Elles appartiennent à André Mauchoffé, qui a racheté le terrain d'une ancienne ferme en 1977. Le grand-père a eu la surprise il y a quelques années d'un “regroupement familial imprévu”, quand ses deux fils sont revenus au domaine parental. “Je réside dans l'ancien habitat de la ferme, et il y a moins de dix ans, mon fils a transformé la grange.” Une troisième maisonnette “entretenue pour éventuellement la louer”, a fini entre les mains de son second fils. Un mélange s’opère à travers les opérations de rachat des propriétés de sa rue: “Petit à petit, des nouveaux viennent, investissent et agrandissent. Beaucoup de gens vendent par succession, d’autres décèdent.” Logé à la frontière même entre quartier résidentiel et cité HLM, André lutte contre les stéréotypes: “La proximité avec la cité de l'Ill n'est pas dissuasive. C'est une ânerie monstrueuse de vouloir dire que ces bâtiments ne se trouvent pas dans la Robertsau.”

À la Robertsau, les professionnels de santé privilégient l'est du quartier au détriment de la Cité de l’Ill. Cette inégalité s'explique par les conditions socio-économiques des habitants.

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©Alexia Avril et Martin Hortin

"Pour nous, c’était du patrimoine"

Pourtant de nouvelles constructions détonnent. En décembre 2017, l’ancienne blanchisserie, un bâtiment historique appelé “la Bleich”, a été démolie. À la place, douze logements d’accession à la propriété de forme cubique en bois brut ont été érigés. À l’époque, l’Association de défense des intérêts de la Robertsau avait déposé un recours gracieux contre les permis de démolir et de construire. “Ils ont fait un truc en bois, c’est bien, mais ils auraient pu mettre un toit en tuiles par-dessus”, déplore Claude.

Certains habitants auraient préféré que la bâtisse soit rénovée pour lui donner une seconde vie. “Pour nous, c’était du patrimoine, explique Alain Kempf. C’était un symbole du style de vie du quartier: il y avait des oies, des canards et des poules qui se promenaient en liberté autour de la Bleich.” La mairie ambitionnait aussi la construction de deux petits immeubles collectifs de huit logements chacun au 59 route des Chasseurs, l’adresse de la plus vieille maison de la cité, qui lui a donné son nom. Mais après avoir pris connaissance du projet, le propriétaire s’est ravisé.

 

Un défi à relever

Toutefois, les particularités de la forêt de la Robertsau en font un environnement plus difficile à appréhender que celui de l’île située au milieu du Rhin. “On a tout d’abord beaucoup de contraintes liées aux réseaux de gaz et d’électricité, puis il y aussi la présence de la station d’épuration (cinquième plus grande de France, NDLR)… C’est pourquoi la perspective de réinonder la zone reste compliquée”, précise Samuel Dehan, responsable du pôle hydraulique chez Artelia, société en charge de l’étude de faisabilité du projet. S’y ajoute la problématique de la fréquentation, puisque la forêt de la Robertsau accueille plus de 400 000 visiteurs par an. Une population importante à prévenir en cas d’inondation: “Cela demanderait de faire beaucoup de sensibilisation auprès du public, c’est une démarche qui prendra nécessairement du temps”, poursuit l’ingénieur.

Deux impératifs majeurs s’opposent: la nécessité de réguler les crues du fleuve dans une optique de sécurité et la préservation de l’identité alluviale de la réserve, qui implique de renouveler régulièrement les inondations. Ce casse-tête explique le temps long qui entoure ce dossier. Les études hydrographiques ont débuté il y a plus de trois ans, sous le mandat de l’ancien maire Roland Ries. En place depuis un an et demi, l’équipe municipale écologiste aura la charge de relever ce défi. Une réunion du comité consultatif de la réserve est programmée le 7 décembre.

 

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Surperficie dédiée au maraîchage et à l’horticulture de l’âge d’or à aujourd’hui, en hectares. ©Lisa Ducazaux et Louise Llavori

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