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Fendu en deux, un brin goguenard, un vieux monsieur s'avance, une tulipe non éclose à la main. « C'est pour Catherine, pour Catherine », répète-t-il en entrant dans le local de campagne du PS, rue la Division-Leclerc, où l'ancienne maire de Strasbourg tient permanence une heure tous les samedis. « Vous voyez, ici, on dit " Catherine", alors que les autres, c'est "Ries", ou "Barseghian" », jubile Éric Schultz, adjoint au maire sortant et huitième sur la liste PS.
Un deuxième souffle
Ce genre de témoignage d'amour, les supporters de Catherine Trautmann ne s'en lassent pas. Surtout après le départ de Mathieu Cahn, ex-tête de liste mais aussi photographe connu pour ses clichés érotiques réalisés entre 2010 et 2011. Sur cette double vie – Mathieu Cahn le jour, adjoint en charge de la jeunesse, et Mathieu Borowicz la nuit, amateur d'étudiantes dénudées -, exhumée début février par Mediapart et Rue89, l'ancienne maire de Strasbourg ne s'est pas exprimée publiquement. À en croire sa colistière, Anne-Pernelle Richardot, c'est « par devoir » qu'elle a accepté de prendre la tête de la liste au pied levé. Depuis, elle préfère mettre en avant, c'est plus commode, le dernier sondage BVA, paru le 27 février, qui la porte en troisième position, derrière Alain Fontanel et Jeanne Barseghian. « La dynamique est de notre côté ; de ce point de vue, nous avons une longueur d'avance », crâne-t-elle en présence des autres candidats, lors du débat du 4 février, à la librairie Kléber. « C'est la seule chance pour les socialistes d'éviter le ridicule », moquait il y a peu Jean-Marie Brom, numéro trois de la liste LFI « Strasbourg en commun ». Sur ce plan, la partie est déjà gagnée pour l'ancienne maire.
La reine Catherine
D'autant plus que c'est avec son nom que l'ancienne maire de Strasbourg a donné un nouveau souffle à la campagne du PS. « Sur les marchés, les gens voient sa photo sur les tracts et viennent nous parler de « Catherine », rapporte Eric Schultz. Les Strasbourgeois ont un lien fort, personnel avec elle. » À la tête de la capitale alsacienne entre 1989 et 1997, puis de 2000 à 2001 après un passage comme ministre de la Culture et porte-parole du gouvernement Jospin, Catherine Trautmann a non seulement façonné la capitale alsacienne mais jouit aussi d'une envergure nationale.
Première femme maire d’une ville de plus de 100 000 habitants, elle reste dans les mémoires comme celle qui a fait reculer la voiture à Strasbourg, ville pionnière du tram. « Elle l’a imposé dès son arrivée au pouvoir, contre tout le monde, y compris les membres de sa majorité », rappelle Anne-Pernelle Richardot. Quitte à passer pour despotique et à écoper des surnoms de « reine Catherine » et de « tsarine ». « Dès qu’une femme est déterminée, elle est qualifiée d’autoritaire », réfute Andrée Buchmann, candidate Les Verts contre Trautmann en 1989. Certes, reconnaît l’élue schilikoise, une fois aux manettes, « le PS de Trautmann a fait preuve d’arrogance, et n’a pas compris notre posture d’opposition constructive. » Encore aujourd’hui, l’ancienne première édile répète à qui veut l’entendre que les écolos se sont opposés au tram à sa naissance. Buchmann s’en étonne : « C’est marrant, à l’époque, déjà elle avait fait courir le bruit que nous étions contre le tram, ce qui est faux [voir notre fact-checking, NDLR]. Je pensais qu’elle avait évolué. »
14h. À bord de son SUV, Alice Morel sillonne les chemins de Bellefosse. « J’ai trouvé des bois de cerfs, apparemment c’est toi l’expert ? », demande-t-elle d'un ton enjoué à un habitant. À la ferme auberge « Au Ban de la Roche », la patronne Véronique Weilbacher, aux manettes depuis trois décennies, en parle comme d’une « maire dévouée, qui se donne pour le village ». Amie de l’édile, elle a aussi siégé au conseil municipal à ses côtés pendant quatorze ans. « Quand quelque chose ne nous plaît pas, on n’a pas peur de lui dire. Elle nous entend et puis, ça évite les querelles ! »
Alice Morel aime le débat. « Heureusement qu’on n’est pas toujours d’accord ! », lance-t-elle. Des opposants politiques, elle en a connus lors des scrutins précédents, parfois même élus au sein du conseil municipal. Il y a eu des remous, mais elle ne s’étend pas. Elle préfère revenir aux sujets pragmatiques. « En ce moment, on parle beaucoup des dégâts causés par les sangliers, et des différentes solutions pour y remédier, précise-t-elle. Avant le vote, le conseil était partagé, et finalement, ce n’est pas la solution que je prônais qui l’a emporté ! »
Maire et mère
Dans les années 1970, en rase campagne, l’élection d’une étudiante de 21 ans surprend. « J’étais jeune et j’étais une femme. On me prenait pour une gamine. » Mais rapidement, elle s’affirme : « Les gens se sont rendu compte qu’une femme aussi pouvait être compétente sur des sujets techniques, comme la voirie ou le réseau d’eau. »
Malgré tout, les commentaires vont bon train. « Ils portent surtout sur l’apparence », sans qu’elle « n’y prête attention », assure-t-elle. Et puis, il y a les remarques sexistes, qui perdurent pendant quarante-trois ans de mandat : « Alice peut être maire car elle est célibataire », « Alice a de la chance car elle a un mari compréhensif. Mais si un jour, elle a un enfant… », « Un enfant ça va, mais le jour où elle en aura plusieurs… ». La maire en plaisante : « J’ai finalement eu trois filles ! »
Petite commune, petits moyens
Les réunions qui s’éternisent, les rendez-vous de dernière minute, sans compter les voyages d’affaires réguliers de son mari… La jeune mère s’organise. « Ma maman et ma tante étaient très présentes, elles s’occupaient de mes enfants quand je n'étais pas là ». C’est plutôt quand elle « reste trois soirs de suite à la maison » que ses filles s’inquiètent, rapporte-t-elle. « Elles m’ont toujours vue engagée », poursuit l’élue. Grandir avec une « mère maire », c’est faire coup double : c’est elle qui a célébré le mariage de l’aînée, Sophie.
Avec Alice Morel, à chaque problème sa solution. « Bellefosse est une petite commune, avec un budget serré et peu de personnel, souligne la sexagénaire. On ne peut pas tout le temps faire appel à une entreprise extérieure, alors c’est à nous de nous adapter. » Il y a quelques jours, les habitants se sont réveillés sans eau. « Nous sommes partis en pleine forêt, malgré la tempête, pour découvrir l’origine du sinistre. » Elle sourit : « Ce genre d’imprévus, c’est le quotidien d’un maire ».
Son adjointe Claudine Bohy est admirative : « Je ne comprends pas comment elle a pu tenir aussi longtemps ». Rénovation de la piscine municipale construite en 1936, mise en souterrain du réseau électrique, restauration de la voirie… Il faut mener les projets alors que les dotations se réduisent, que les normes sont de plus en plus complexes. La fonction de maire s’alourdit. Malgré les difficultés, Alice Morel n’a jamais pensé à arrêter.
Judith Barbe et Laurie Correia
Elle était la plus jeune édile de France en 1977. Quarante-trois ans plus tard, Alice Morel, 64 ans, se présente pour un huitième mandat dans sa commune de Bellefosse (Bas-Rhin).
Ce mardi matin, les rues abruptes de Bellefosse (Bas-Rhin) sont presque désertes. Les flocons de neige disparaissent instantanément. Alice Morel soupire : « Les pistes de ski du Champ du Feu n’ont pas souvent été ouvertes cet hiver. » La maire de la commune nichée dans les Vosges, bottes fourrées aux pieds et anorak de ski bleu, admire sa montagne. À 64 ans, le sourire aux lèvres et le regard pétillant, elle semble toujours aussi amoureuse de l’endroit où elle a grandi. L’élue brigue cette année son huitième mandat.
Quand elle se présente la première fois, en 1977, c’est une étudiante de 21 ans, encore sur les bancs de Sciences Po Strasbourg. « J’étais attachée à ma commune, j’avais envie de participer à la vie du village, mais je comptais seulement intégrer le conseil municipal. » Surprise : elle se retrouve finalement propulsée à la tête de Bellefosse. Et devient la plus jeune maire de France.
Une maire centriste
Au cours de son premier mandat, Alice Morel décroche son diplôme puis un poste de fonctionnaire territoriale dans les Vosges. Elle est loin de se douter qu’une longue carrière de maire, puis de conseillère générale du Bas-Rhin, l’attend. « Tout s’est fait naturellement », explique-t-elle.
L’élue, qui défend l’Europe et l’environnement, se revendique centriste. Son mentor ? Daniel Hoeffel (UDF puis UMP), ancien ministre et sénateur, qu’elle a rencontré lorsqu’il était président de l’Association des Maires du Bas-Rhin. « Sa connaissance des dossiers, son respect des institutions, son sens de l’intérêt général » impressionnent la jeune femme d’alors.
Un champ lexical végétal
Les images qui renvoient à la nature apparaissent en premier dans la communication de chaque candidat. Tous utilisent massivement les termes « végétalisation », « arbre » ou « espaces verts » pour symboliser leur engagement sur la question de l’environnement. S’ils s’accordent pour mettre en avant la préservation du parc végétal, certains candidats jouent sur le sens des mots. Jean-Philippe Vetter emploie le terme négatif « bétonisation », antonyme de « végétalisation », pour dénoncer la politique urbanistique menée à Strasbourg ces dix dernières années. Sa solution : « Verdir et fleurir les places et rues strasbourgeoises ».
Des candidats favorables à une économie verte
En quantité variable, chaque candidat présente des mesures en lien avec l’économie rurale. C’est « bio », en référence à l’agriculture biologique, qui revient dans le discours de tous les prétendants à la mairie de Strasbourg : en particulier chez Barseghian et Trautmann. La candidate écologiste déploie un vocabulaire plus varié sur ce thème avec les termes « agriculture urbaine » et « local », utilisés aussi par Alain Fontanel qui défend une production agricole de proximité.
Un état d’urgence climatique
À l’exception de Vetter, la locution « urgence climatique » apparait dans le programme de chaque candidat. Barseghian et Trautmann l’emploient en majorité, pour alerter sur la nécessité d’adopter un système de gouvernance respectueux de la planète et insister sur la rapidité du changement climatique et ses effets. Kevin Loquais utilise un ton plus alarmiste : « Il est temps de déclarer la ville de Strasbourg et l’Eurométropole en état d’urgence climatique ! » Et remet en cause « l’échec cuisant du plan climat » instauré par la Ville.
L’histogramme ci-dessous classe les termes verts qu’on retrouve chez chaque candidat en quatre catégories : nature, énergie, déchets et économie agricole. Deux autres qualifient les occurrences écologiques de manière positive ou négative. ⇩
Mariella Hutt
La bataille du GCO est perdue, mais il reste d’autres problèmes locaux : « Il n’y a pas que le GCO dans la vie de notre village », explique Annie Kessouri, justifiant sa décision de se présenter. Le conseil municipal veut continuer à sensibiliser à l’écologie, créer un lieu de rencontre dans l’ancienne école et mener une enquête sur les idées des citoyens pour développer le village. Mais le GCO ne sera pas tout à fait absent de la campagne : « Être déterminés à obtenir des aménagements destinés à réduire les impacts du GCO » lit-on sur les tracts. Avec pour objectif, pas « trop de bruit, trop de pollution et trop de répercussions négatives ».
Car, malgré le combat perdu, une chose est claire pour Annie Kessouri : « Nous sommes toujours contre le GCO. » C'est pourquoi la banderole, accrochée au fronton de la mairie, y restera encore suspendue.
Ballottés par des vents contraires depuis le début de la campagne, les socialistes ont désormais le vent dans le dos. La figure de Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg, n'y est pas pour rien.
Tous sont déçus par la politique, surtout par le gouvernement français, qui a décidé malgré eux. « Je suis écœuré par ces ministres qui auraient pu arrêter le GCO », soupire Dany Karcher. « Il faut que le gouvernement soutienne davantage les maires », affirme Hélène Scheffer, 61 ans, vendeuse à l’épicerie du village. Après une petite pause, elle ajoute : « Au lieu de les gazer. »
L’autoroute, c'est aussi, pour certains, la victoire des grands et des puissants. La pasteure Caroline Ingrand-Hoffet s’inquiète : « Ce chantier montre la puissance du privé ». Une image qui suscite la « haine », comme le dit Marie-Claire Karcher, l’épouse du maire. « Je n'ai jamais regardé les travaux, ça me rend malade », avoue la vendeuse de l’épicerie, désespérée.
Toutes les batailles ne sont pas encore perdues
À l’approche de l’élection, une partie de la population semble pourtant décidée à reprendre le chemin des urnes. Comme Sandrine Fritsch : « Je suis déçue mais je vais quand même voter. » Ou encore Hélène Scheffer, convaincue que « c’est un devoir de voter » en ajoutant qu’elle « aime bien celle qui se représente ».
« Annie est née ici, elle est de chez nous », explique la pasteure. Elle fait la différence entre les candidats locaux « que l’on connaît » et les hommes politiques nationaux qui ont impliqués dans le GCO. Selon Caroline Ingrand-Hoffet, cela joue un rôle dans le choix des Kolbsheimois d’aller voter ou non.