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Le 8 février sur un chantier de Strasbourg, deux travailleurs du bâtiment regrettent le manque d’attractivité et les perspectives incertaines de leur profession. © Max Donzé

Entre la hausse des taux d’intérêt, du prix des matériaux de construction et le manque de demande des consommateurs, le secteur du bâtiment est en berne. Rencontre avec des professionnels du gros œuvre alsacien. 

« Nos entreprises n’en peuvent plus », alerte Benoît Ostermann, secrétaire général adjoint de la fédération française du bâtiment du Bas-Rhin (FFB67). Le 6 février, les FFB ont envoyé des lettres à leur préfet dans chaque département. Ils réclament des mesures de la part de l’État pour sortir leur secteur d’une crise qui semble s’installer, après avoir lancé une première alerte en septembre. Ils demandent le retrait de la hausse de la fiscalité du gaz non-routier, le rétablissement du prêt à taux zéro pour la construction de logements et la simplification du dispositif MaPrimRenov. Ils attendent aussi plus de commandes de logements neufs de la part des pouvoirs publics.

Benoît Ostermann dénonce une situation aberrante. « Il y a 2,4 millions de ménages en attente de logement social, et ceux qui y habitent aimeraient sûrement en sortir. Il faut construire plus, mais les gens ne peuvent pas acheter à cause de la hausse des taux d’intérêt et des coûts de construction. » Pour lui, « 80 % des solutions peuvent venir de l’État. Aujourd’hui, le bâtiment est oublié, il est nié, c’est une erreur. Réindustrialiser la France c’est bien, mais où loger les gens qui vont la réindustrialiser ? Quand on prend un emploi la première chose qu’on regarde c’est le logement ». La fédération observe un nombre de mises en chantier au plus bas depuis 1991, les carnets de commandes se vident.

1500 emplois supprimés dans le Bas-Rhin

Dans le Bas-Rhin, les professionnels du secteur qui emploie environ 30 000 personnes constatent aussi une baisse d’activité. « En 2023 dans le département on a déjà perdu 1 500 emplois », poursuit Benoît Ostermann. « Ces gens qui perdent leur emploi on ne le voit pas, c’est dans les petites entreprises ». Et selon lui, dans les crises, « ce sont les entreprises de gros œuvre qui prennent en premier, on a déjà des défaillances chez nous ».

Yassine Maadjou est chargé de projet chez Intéris, une entreprise locale d’intérim qui travaille surtout avec des PME. Il constate une certaine baisse d’activité, surtout dans le secteur du gros œuvre : « si l’année passée on me demandait 50 profils, aujourd’hui c’est plutôt 20 » par semestre. Une partie de ceux que son entreprise plaçait ont dû chercher du travail ailleurs. « On a des gars qui vont dans le tertiaire, ou dans les supermarchés ».

Changer d’activité, « c’est infaisable »

Si certains intérimaires sont contraints de se recycler, il est plus difficile pour une entreprise de changer de secteur d’activité. Benoît Ostermann explique que les entreprises du gros œuvre ont été incitées à se positionner sur le marché de la rénovation énergétique. « Ce marché on nous l’a vendu comme un paradis mais ça ne l’est pas. Les clients n’ont pas d’argent pour investir dans leur logement et il n’y a pas assez d’accompagnateurs pour MaPrimRenov », le dispositif qui aide les particuliers à rénover leur logement en leur versant une prime. Les entreprises de gros œuvre possèdent aussi des engins lourds qu’elles doivent rembourser, elles emploient des travailleurs avec des compétences spécifiques. Dans ces conditions il semble impossible de réorienter son activité d’après le secrétaire général adjoint de la FFB67 : « c’est ridicule, ça n’a aucun sens, c’est infaisable ».

Hervé Kintzelmann dirige une entreprise spécialisée dans le gros œuvre, Construction Kintzelmann à Dettwiller, qui emploie 16 salariés. Si son carnet de commandes n’est pas vide, il l’explique surtout par la multi-activité. Spécialiste de la construction de logements neufs, il travaille aussi dans la rénovation. Pour autant, il ne peut pas laisser son activité de construction de côté, « lorsqu’on a du matériel de coffrage ou des grues de chantier, il faut les faire tourner sur de la construction ». Avec un secteur en difficulté, il est pourtant amené à « limiter les prévisions d’investissement » pour le matériel de construction, sans pouvoir abandonner le secteur.

Max Donzé

Édité par Jade Lacroix

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08 février 2024

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Tout est bien qui finit bien, pour les personnages…et pour moi

Dernière remarque, et pas des moindres : j’ai tout compris. Les chants sont sous-titrés sur un écran, visibles depuis tous les fauteuils de la salle. Les solistes sont très expressifs, et l’intrigue se déploie avec clarté. Sans vouloir spoiler, tout est bien qui finit bien.

Je serais bien incapable de juger le niveau des chanteurs, mais je dois avouer que les voix m’ont impressionnée. L’interprète de Polyphème, José Coca Loza, a performé malgré une pharyngite. Sans lui, il aurait fallu annuler la représentation car peu de solistes connaissent ce répertoire, nous a-t-on expliqué en préambule. Franco Fagioli, qui incarne Acis, l’amant de Galatée, a été ovationné pendant de longues minutes. C’est lui qui incarnait le rôle pensé pour un castrat – il est contre-ténor – et qui a notamment entonné le célèbre air Alto Giovo en fin d’opéra. Un peu long tout de même. La fin est donc arrivée à point nommé au bout de trois heures.

Polifemo de Nicola Porpora est encore joué vendredi 9 et dimanche 11 février à l’Opéra national du Rhin, puis à Mulhouse et Colmar. Profanes de l’opéra, n’hésitez pas.

Clara Grouzis

Édité par Jade Lacroix

Des spectateurs pas si coincés que ça

J’ai ri pendant certaines scènes. J’ai ri parce que c’était drôle. J’ai ri avec les autres spectateurs quand la nymphe Calypso enferme Ulysse dans une cage, avec un air dominateur, ou qu’elle pose sa main au niveau de l’entrejambe du héros avant de s’excuser auprès du public. J’ai ri quand le cyclope Polyphème se délecte du nectar offert par la nymphe et le fait savoir dans le micro, en poussant des gémissements de satisfaction. Et j’ai ri quand Ulysse a débarqué sur son navire en carton avec un costume de muscles en plastique.

Pour la première française de cet opéra, Bruno Ravella, le metteur en scène, a pris le parti de s’inspirer des péplums des années 1960. Le rideau s’ouvre sur un plateau de cinéma italien. Un réalisateur autoritaire, Polyphème, et Ulysse, un acteur en veste en cuir adulé, qui a des airs de John Travolta, tournent un péplum sur les aventures d’Ulysse. Dans une mise en abyme originale, l’autre épisode mythologique se déroule entre techniciens et acteurs une fois la caméra éteinte.

Cette dimension parodique se révèle en réalité assez efficace. Elle implique des décors assez impressionnants, tous réalisés dans l’atelier de l’Opéra du Rhin à Strasbourg, dans le quartier de la Meinau. Je revois notamment la montagne du cyclope, devant laquelle les figurines d’Ulysse et ses compagnons s’inclinent. Cette mise en scène rend aussi l’opéra prenant, et étonnamment accessible. Il suffit d’avoir vu les grands péplums des années 1960, ou juste Gladiator. En outre, le réalisateur du péplum a un côté harceleur, qui a tout de suite réveillé en moi le souvenir des scandales #Metoo. Épris de Galatée qui, elle, est éperdument amoureuse d’Acis, il harcèle la première et se venge contre le second. Un parti-pris résolument moderne.

Une langue inconnue et des péripéties confuses

Enfin, je n’étais pas sûre de tout comprendre à l’intrigue. J’avais rapidement parcouru la présentation en achetant le billet il y a quelques mois, mais je ne m’en souvenais pas. Et elle n’était pas vraiment limpide. Le livret, c’est-à-dire le scénario, raconte deux épisodes mythologiques dans lesquels apparaît le cyclope Polyphème : l’aventure d’Ulysse qui lui échappe en lui crevant l’œil et la vengeance du monstre contre les amants Acis et Galatée.

J’avais en tête les pièces de théâtre de Racine, qui s’inspirent de la mythologie, et dans lesquelles les diverses péripéties sont toujours imbriquées et difficiles à démêler. Je pensais aussi à certains ballets, qui certes, se terminent toujours par le mariage des deux amants, mais réunissent souvent beaucoup de personnages, et des triangles voire des quatuors amoureux improbables. En chanson, et en italien, ça allait donc être compliqué.

Spoiler alert, je me suis trompée. Même fatiguée, en clignant des yeux pour bien voir parce que j’avais oublié mes lunettes, et en 3ème galerie – avant-dernier étage – c’est passé vite. Je me suis laissée bercer par la musique et les voix, notamment par la lamentation de Galatée au moment de la mort de son amant. A ce moment-là, aucune envie de rire, j’étais scotchée. J’ai quand même un peu pensé à la Castafiore.

Ennui et fou-rire devant trois heures de Castafiore

Ça ne me faisait pas si peur que ça, l’opéra : regarder des artistes enchanter la scène dans un lieu sublime. Mais en tant que non-initiée, j’avais tout de même quelques craintes. J’appréhendais l’ennui. L’ennui de regarder des gens chanter, sans qu’ils ne jouent ou ne dansent.  Déjà que parfois, le temps est long quand je vais voir un ballet. Et pourtant j’adore ça. Alors juste de la musique, et des voix haut perchées pendant trois heures, vraiment ? Ma référence de l’opéra, c’est la Castafiore dans Tintin : pas très flatteur. L’envie de pouffer me prend chaque fois que j’entends un air qui pourrait ressembler au fameux « Ah ! Que je ris de me voir si belle en ce miroir ». Et me voilà qui imite la plantureuse blonde, dans un éclat de rire. Là, il fallait éviter de s’esclaffer.

Et être sérieuse, parce que les gens le sont à l’opéra. Et d’ailleurs, j’imaginais que la mise en scène le serait aussi. Des costumes à froufrous et des histoires poussiéreuses. Après tout, Polifemo est un opéra baroque, qui date de la grande époque des opera seria, dont les histoires sont souvent tirées de la mythologie et dont la structure est très codifiée. Nicola Porpora, mal connu du grand public aujourd’hui, était pourtant le rival de Haendel. Dans Polifemo, joué pour la première fois en 1735 à Londres, il a voulu rivaliser avec son concurrent, en créant des rôles pour de grands artistes, notamment les castrats Sensino et Farinelli. Un castrat, c’est un chanteur qui a subi une castration avant sa puberté, de sorte qu’il a conservé une voix aiguë enfantine tout en ayant la capacité thoracique d’un adulte. Technique, tout ça.

Pour m’initier à l’opéra, je pensais commencer par Mozart ou Bizet. Des classiques, comme La Flûte enchantée ou Carmen, dont je connais les musiques et les airs. Mais je ne les ai pas trouvés cette saison à la programmation de l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg. Alors je me suis rabattue sur Polifemo, de Nicola Porpora. J’ai tenté ma chance, pris le risque. Et le pari est réussi.

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