Valérie Wild et sa famille habitent depuis deux ans le seul bâtiment qui ne sera pas détruit lors de la réhabilitation. Il s’agit de la maison en briques rouges Rhein Fischer située 5 rue du Péage. Cet ancien hôtel-restaurant du début du XXe siècle est désormais la propriété du Port autonome de Strasbourg. Il peut compter jusqu’à quatre locataires, mais actuellement n’en héberge que deux. Disposant d’un pigeonnier dans l’arrière-cour, la bâtisse est classée monument historique et ne peut pas être démolie par la Ville.
Située loin des commerces et des grandes voies de circulation, la belle bâtisse voit passer le tram depuis 2016. « Nous n’avions pas de relation avec le reste du quartier auparavant » rapporte Valérie Wild. Un arrêt est programmé à deux pas pour 2019. Mais cela ne change rien au quotidien des Wild : « Nous nous déplaçons principalement en voiture et à vélo pour nous rendre au travail ou dans les commerces ». La mère de famille concède tout de même qu’avec l’arrivée du tram, « on voit un peu plus de monde ».
Martin Schock et Quentin Monaton
Robert Peter, ancien chauffeur livreur à la retraite pour diverses entreprises en relation avec le Port autonome, vit au 2 rue du Port-du-Rhin depuis le 15 avril 1975. De sa fenêtre, il a vu le quartier se transformer. Lorsqu’il a emménagé, de nombreux espaces verts permettaient aux enfants de jouer. Désormais, « ils ne sont plus entretenus ». En 1996, l’ouverture du port aux containers ne l’a pas affecté, malgré le bruit, « car cela permet à des gens de travailler ». Robert Peter souligne que les plus gros changements ont eu lieu dans les trois dernières années, alors que le quartier n’avait pas évolué pendant trois décennies. C’est l’arrivée du tram et la construction de nouveaux bâtiments qui ont transformé le paysage.
Depuis une dizaine d’années, la Ville de Strasbourg rachète de nombreux bâtiments pour réaménager le quartier. Quelques-uns résistent encore, notamment ceux appartenant aux entreprises du site. L’immeuble où résident Robert Peter et quatre autres locataires n’a pas été acquis par les autorités locales. Il va tout de même être détruit au premier trimestre 2018 pour laisser place à des bureaux du Port autonome en 2019.
Le retraité va être relogé au 5 rue du Péage. Les frais de déménagement et les travaux seront payés par son ancien employeur. Il en est ravi car il ne voulait surtout pas quitter le quartier : « Mes racines sont ici, tous mes enfants sont nés ici ». Mais il reste nostalgique : « Il y avait des usines, des gens qui se côtoyaient, maintenant tout ça s’est terminé ».
Jean-Pierre Haessig, 73 ans, habite 12 rue du Port-du-Rhin et a toujours vécu dans le quartier. Dans sa jeunesse « ici, c’était un beau village », avec de nombreux magasins dont deux boucheries, des boulangeries et une dizaine de restaurants. « Tout le monde avait du boulot avec la Coop, le Port autonome, ou avec l’usine de farine. Quand les maisons ont disparu, les gens sont partis en Allemagne ou dans le centre de Strasbourg ». Ex-peintre en lettre à la Coop, il vit depuis 2002 dans l’ancien bâtiment réservé aux personnes d’astreinte de l’entreprise. Passionné par son travail, il lui a consacré un musée dans son propre jardin : « Il représente tout pour moi, tout mon travail, toute ma vie … », confie-t-il.
Aujourd’hui, ne subsistent que quelques magasins d’alimentation, des banques, une pharmacie et une pâtisserie. Selon lui, les projets de rénovation pour faciliter la circulation « ne sont pas réellement importants pour les riverains, car ils utilisent plus le vélo que la voiture. »
Assise sur sa terrasse, Edithe Bresch contemple son luxuriant jardin. Pots de fleurs, cabane à oiseaux et jardinières se déploient autour d'elle. Mais dès la clôture de son jardinet franchie, on passe du vert au gris. Grues, terrains vagues en friche, câbles électriques enchevêtrés... Son petit coin de paradis est cerné par les travaux. Cette quinquagénaire alsacienne habite depuis octobre 2016 dans un immeuble de l'éco-quartier Danube. Comme elle, environ 600 personnes vivent dans ce chantier permanent, appelé à devenir une vitrine de la ville de demain.
D'ici 2020, 1800 à 2000 habitants, répartis en 600 logements devraient peupler cette zone de sept hectares, à deux pas du centre commercial Rivetoile. « Le but est que les gens y vivent autrement que dans des cages fermées, décrit le maire de Strasbourg Roland Ries, venu inaugurer la résidence Belved’air le 20 octobre 2017. On fait des bâtiments pour permettre aux habitants de vivre entre eux, pas seulement pour s'abriter. Du lien social peut se créer, c'est ce qui manque aux grands ensembles. »
10h, place de l’Hippodrome : peu de passage, pas de jeux pour enfants, du mobilier urbain quasi inexistant… La vie peine à s’installer dans le nouveau quartier du Port-du-Rhin. Seule la pharmacie reconstruite en 2009 sur la place anime le quartier.
Et surtout, pas de marché. « C’est une demande que nous faisons depuis plusieurs années, grogne Anne-Véronique Auzet, secrétaire de l’Association des citoyens du Port-du-Rhin. Tout le monde va au marché de la Marne. Ça fait loin, surtout pour les femmes âgées. » L’association des résidents du quartier n’a même pas de local. Ses membres doivent se réunir dans l’église Sainte-Jeanne d’Arc qui domine la place.
« On est obligés d’aller à Kehl pour faire nos courses », renchérit Anne-Marie Hesse, résidente dans un des nouveaux logements sociaux. La venue d’un traiteur asiatique, d’une agence du Crédit Mutuel, d’un bureau de Poste et l’ouverture prochaine d’une crèche vont dans le bon sens. Mais les habitants réclament davantage de commerces, en particulier alimentaires.
Autour de la place de l’Hippodrome, entre la cité Loucheur et le jardin des Deux-Rives, la construction s’active. Toujours davantage de barres sortent de terre. Le projet Deux-Rives, initié en 2005 et accéléré après les échauffourées en marge du sommet de l’OTAN de 2009, devrait prendre fin en 2030, selon la Ville.
Dans l’ancien périmètre du Port autonome de Strasbourg, quelques immeubles sont encore occupés par des habitants. Plus pour très longtemps, car la Ville souhaite les démolir pour réaménager le quartier.
Jean-Pierre Haessig, Robert Peter et Valérie Wild habitent dans des immeubles éparpillés sur d’anciens terrains du Port autonome de Strasbourg. Ils ont aussi comme propriétaire leur employeur, le Port autonome, ou l’ancienne Coop. Mais depuis 2013, la Ville a entrepris de réaménager la rue du Péage, qui se situe à hauteur de la rue du Port-du-Rhin, au nord, et de la route nationale 4, au sud. Le projet consiste à transférer la circulation de la route du Petit-Rhin vers la rue du Péage. De ce fait, la plupart des habitations vont être rasées et leurs occupants relogés.
Ancienne zone portuaire aux fonctions de glacis militaires, le Heyritz s'est radicalement transformé depuis les années 1990. Au sud de l'hôpital civil, entre le bassin de la Porte de l'hôpital et la N4 (E52), il révèle son nouveau visage depuis 2013, après un grand projet de réaménagement. Si le nouveau quartier du Heyritz est visible aux yeux des promeneurs, le vieux, beaucoup plus discret, vit toujours.