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La Représentation permanente

Créée en 1958
14, place de Louvain, Bruxelles
Effectif: 200 fonctionnaires

La Représentation permanente française, surnommée RP, est l’ambassade de la France auprès de l’UE. Composée de diplomates et de fonctionnaires, elle applique les règles du multilatéralisme pour défendre la position du gouvernement français au Conseil de l’Union. Situé en plein centre-ville de Bruxelles, son immeuble jouxte le Conseil, la Commission et le Parlement européen. A sa tête, Pierre Sellal, représentant permanent, porte le titre d’ambassadeur. Il est secondé par Christian Masset, représentant permanent adjoint. L’ambassadrice Christine Roger, responsable de la stratégie politique, civile et militaire, occupe un étage à part. En raison des compétences de plus en plus larges du Conseil, les fonctionnaires du Quai d’Orsay ne forment plus qu’une forte minorité de la RP. Tous les ministères concernés y sont présents. Chacun travaille sur les dossiers relatifs à son domaine d’expertise.

Négociateur et informateur

La mission de la RP: porter la voix de la France dans les négociations européennes. Elle relaie pour cela les instructions du Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE). La RP travaille d’abord en amont des propositions de la Commission. Là, répartie entre les groupes d’experts, elle se renseigne sur les dossiers en germe, et prépare la négociation à venir. Une fois la proposition arrêtée, les conseillers RP entrent dans la phase de pré-négociation. Des groupes de travail prennent alors le relais. Réunis par secteurs, ils discutent de points techniques précis. Au sein de ces groupes, les Etats membres composent leurs intérêts, selon des formules qui varieront en fonction de la matière. Les alliances trouvées, ils multiplient les réunions informelles pour consolider leur camp. Le but est en fin de compte de parvenir au compromis. C'est le rôle de la présidence de le formuler.
Près de 90% des textes qu'adopteront les ministres se bouclent dans cette phase, qui peut durer plusieurs années. Ces travaux de groupe aboutissent, une fois par semaine, à l'un des Comités des Représentants permanents (Coreper). Les RP de tous les Etats membres s'y réunissent sous la direction d’un représentant permanent de l’Etat membre qui préside. Ils préparent les travaux du Conseil.
Il existe deux sortes de Coreper, qui se répartissent les neuf formations du Conseil. Le Coreper 1 traite, le mercredi matin ou deux fois par semaine, des activités communautaires (agriculture, marché intérieur, transport...). Le représentant permanent adjoint de la France, Christian Masset, y siège. Le Coreper 2 s’occupe des secteurs justice - affaires intérieures, économie et finances, et affaires générales et relations extérieures. Pierre Sellal y représente le gouvernement français tous les jeudis. Le Comité de politique et de sécurité (COPS) est chargé, lui, du contrôle politique et de la direction stratégique des opérations de crise. Christine Roger siège au moins une fois par semaine dans ce fief du ministère des affaires étrangères.
Ces trois comités préparent les travaux du Conseil. Ils règlent, de préférence par consensus, 9/10e des désaccords subsistant. Les conseillers de la RP constituent la principale source d’information, sur le terrain, du SGAE. Ils doivent connaître à tout moment l’état des négociations à Bruxelles, quel qu'en soit le domaine. Soignant leur carnet d’adresses, ils communiquent également avec les parlementaires nationaux et européens, les représentants des entreprises et des syndicats, les collectivités, les ONG, les journalistes, les chercheurs, et les Français travaillant au sein des institutions européennes. Leur lobbying auprès des députés européens prend désormais de l’ampleur, même s'il reste secondaire en comparaison de l’énergie dépensée au Conseil.

 

A la pointe de l'attaque

La Représentation permanente participe à Bruxelles au processus de décision dans toutes ses étapes, de la conception d'un texte européen à ses mesures d'exécution. Réunions, tête-à-tête, négociations, ajustements: toutes leurs activités s'y font calculatrice en main. Faire partie de la majorité est un point d’honneur, mais pas question de sacrifier les intérêts nationaux.

Un chargé de mission ministériel l'admet sur un ton confidentiel: «la RP a la maîtrise de tout: elle suit à la fois les négociations au Conseil et ce qui se passe au Parlement européen». «Nous sommes sur tous les fronts», confirme ce membre de la Représentation permanente française, récemment embarqué. Présent à Strasbourg au moment des plénières, il négocie à Bruxelles tout le reste de l’année. Dés les premiers frémissements d’initiative de la Commission, les éclaireurs de la RP investissent les groupes d’experts où elle teste ses orientations. Bloc-notes quadrillés en main: la cartographie des positions nationales y vaut déjà son pesant d’or. Puis en amont des neuf formations gigognes du Conseil, ils participent aux groupes de travail à 25 du Coreper. Là, ils amendent point par point la proposition de la Commission, toujours en sa présence. Enfin, une fois la législation adoptée, ils assistent avec autant d’assiduité aux comités, aussi nombreux, chargés d’approuver ses mesures d’éxécution. A raison de 4000 réunions par an, où rien n’est gagné d’avance, et dont le rythme s’accélère à l’approche de chaque échéance semestrielle. Sautant d’un rôle à l’autre, les soutiers de la RP française y appliquent une même règle de calcul: la pondération, engendrant pour eux d'incessantes opérations statistiques.Un imaginaire de feuilles de calcul Excel, pour virtuoses de la combinatoire.

Majorité qualifiée avant tout

Chaque conseiller français pèse 29 voix sur 321 au Conseil et 13,1% de la population européenne. Et chaque représentant des 25 pèse à ses yeux de son poids et de son pourcentage propre. Sur chaque point, la victoire obéit à la règle de la majorité qualifiée, version Nice. Elle requiert une coalition de 232 voix, et parfois, en plus, 60% de la population. Pour minimiser les pertes, une formule de repli: la minorité de blocage, qui pèse 90 voix. «Simplement en tenant tête, nous arrivons souvent à nous faire entendre», affirme pourtant un conseiller. La technique fonctionne certes dans les domaines embourbés dans l’unanimité, comme dans la politique extérieure. Dans tous les autres cas, il faut réussir à mûrir un compromis favorable, ce qui demande d’être attentif à ce qui intéresse les autres. Les conseillers consultent, sondent les positions de leurs homologues, qu’ils rencontrent de manière informelle. Ils identifient les oppositions, et cherchent à les éliminer une par une. Cela leur permet d’affûter leurs techniques de négociation.
Aujourd’hui, les coalitions sont souvent plus faciles avec les petits Etats membres nouvellement arrivés. Ils sont plus flexibles sur leurs positions, du fait de leur inexpérience européenne, et moins tributaires d’instructions. Mais leur poids ne suffit pas. La France, pour asseoir sa majorité, recherche avant tout le soutien du Royaume-Uni (29 voix) ou de l’Allemagne (29 voix). Traditionnellement leader d’un camp, elle est presque toujours accompagnée par l’Espagne (27 voix) et l’Italie (29 voix), avec lesquelles elle entretient des affinités historiques. Ce qui ne l’empêche pas de varier ses alliances au gré des dossiers. Dans l’Europe à 15, elle pouvait sans peine tirer son épingle du jeu sur les lignes budgétaires des politiques régionales. Les quatre DOM-TOM faisaient statistiquement partie des régions les plus défavorisées de l’UE, avec les Canaries (Espagne) et les Açores (Portugal, 12 voix). A 25, elles ne figurent plus parmi les plus mal loties. Et cessent d’être allocataires à ce titre.
Au cours de la présidence autrichienne (10 voix) au premier semestre 2006, elle a donc choisi de s’allier avec les pays nordiques, comme la Finlande (7 voix), pour balancer ce manque à gagner par une «allocation de compensation». Raison commune: l’isolement lointain des DOM, comme de la Laponie. Les unes et l’autre partagent le handicap naturel du climat, et la situation géographique ultra-périphérique. La tactique, trouvée en épluchant la stratégie de Lisbonne, s’est avérée gagnante ce semestre. Sous présidence finlandaise: DOM et Laponie se sont vu ouvrir une enveloppe budgétaire de substitution, au titre de la «compétitivité régionale et de l’emploi».
Quand le conseiller ne peut pas obtenir de majorité qualifiée, il se replie sur la minorité de blocage. Une solution qui le hérisse néanmoins : «Il est difficile pour un pays comme la France de se retrouver isolé, dans une UE qui cherche en permanence le compromis», explique un diplomate. Pour l’éviter, «il faut toujours miser sur deux terrains, pour limiter les chances de se retrouver seul», selon un autre. La RP française privilégie les contacts en marge des réunions formelles. Au cas par cas, elle organise des rencontres avec les délégations de son camp, où se scellent les pactes de majorité ou de minorité.

Sur deux tableaux

Si la combinaison échoue au Conseil, il reste un moyen de faire tout de même pencher la balance: l’appui du Parlement. Les contacts avec les députés à Bruxelles prennent une importance croissante. L’assistante d’une députée française témoigne de cette évolution: «Les membres de la RP se sont renouvelés, et leur méthode est plus dynamique. Depuis quelques années, nous les voyons beaucoup plus.» Avec les élargissements successifs, qui ne cessent de faire varier les seuils à atteindre, ces relations s’avèrent indispensables. «Nous discutons en permanence avec les députés. Quand nous n’arrivons pas à gagner au Conseil, il faut trouver un terrain d’entente au Parlement, et si possible avec le rapporteur. Nous avons pour les convaincre les ressources de notre expertise technique. C’est ce qui a permis de faire voter certains amendements de la directive Services», raconte un diplomate. Qui se compare à un «prestataire de services gouvernemental».
Ces tête-à-tête débouchent parfois sur des relations privilégiées. Des amitiés se nouent: «On sort, on se voit, on dîne... Certains deviennent de très bons amis», raconte ce même diplomate. Dans ce monde que les champions français vivent comme un tournoi perpétuel, les instructions de Paris, certes respectées dans le principe, sont parfois en décalage avec l'arithmétique communautaire.
La RP n’hésite pas, alors, à mettre en avant sa meilleure connaissance de la situation. «Nous sommes protéiformes, nous avons la géographie de toutes les positions en tête», affirme ce haut-fonctionnaire. Alors, obligation de résultat, oui, mais pas de moyens. Un autre confie, toujours sous couvert d'anonymat: «Les instructions reçues du SGAE dictent parfois des positions très franco-françaises. Dans ce cas, notre rôle est de leur donner un habillage communautaire, pour éviter le ridicule.» Et quand la situation évolue vite, le conseiller doit vérifier que sa formule de compromis reste acceptable pour la capitale, et assez ouverte pour ses partenaires. Ce qui passe par d’innombrables coups de téléphone avec le SGAE, et avec les RP des autres Etats-membres. Sans jamais oublier le drapeau, rappelle un diplomate chevronné: «La dimension communautaire compte, mais la dimension nationale prime toujours.»

Armelle Parion

 

Créé le 25 juin 1948, rebaptisé le 17 octobre 2005
Hôtel Matignon, rue de Varennes, Paris 7e
Effectif: variable

Une première : le 6 novembre, le comité interministériel sur l’Europe a été retransmis en direct sur Public Sénat. Au menu, la panne de courant européenne du 4 novembre, la directive sur le temps de travail (en cours de négociation), ainsi que la procédure ouverte par Bruxelles contre la France pour ses déficits excessifs. Depuis l’invention du petit écran, seuls la sécurité routière et le développement durable ont eu droit à un tel traitement. Créée à l’occasion du plan Marshall, cette instance d’arbitrage politique en dernier ressort a connu une existence à éclipses. Lionel Jospin en a fait usage régulièrement, pour cause de majorité plurielle. En juillet 2005, Dominique de Villepin l’a réveillée d’un long sommeil au lendemain du référendum.

La leçon du "non" au référendum

Depuis, le CIE se réunit une fois par mois. La secrétaire générale du SGAE, Pascale Andréani, et le représentant permanent à Bruxelles, Pierre Sellal, y sont présents. « Véritable outil de coordination politique », selon Dominique de Villepin, le Comité ambitionne « d’anticiper les enjeux à venir », de garantir un suivi politique des négociations européennes, de déterminer la position française et d’offrir la possibilité aux ministres de faire connaître leurs propositions. Dans les faits, le CIE est surtout un outil de communication. « Il marque notre volonté de tirer les leçons du 29 mai. […] Les Français demandent davantage d’explication, davantage de pédagogie, davantage de transparence sur l’Europe », a déclaré le Premier ministre à l’ouverture du 12ème CIE. Les décisions continuent de se prendre ailleurs.

Guillaume Guichard

Le décret Villepin du 17 octobre 2005

La rubrique Europe de Matignon

 

 

Au quotidien, le Secrétariat général aux affaires européennes fait constamment le lien entre Paris et Bruxelles, entre les ministères et la Représentation permanente.

1) Choisir qui est concerné par les documents de l’Union européenne
Une communication de la Commission sur la politique de voisinage avec l’Europe orientale et la Méditerranée, par exemple. C’est au secteur "Elargissement" du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui la reçoit par l’intermédiaire de la Représentation permanente (RP) française à Bruxelles, de choisir quels ministères sont susceptibles d’être concernés. Affaires étrangères, Justice, Economie et Finances, etc. : le chef de secteur ou l'adjoint l’envoie par courriel aux administrations sélectionnées. Souvent, le panel s’avère assez large. « Il n’existe plus beaucoup de ministères qui échappent à la sphère communautaire », constate Serge Guillon, secrétaire général adjoint.

2) Echanger avec l’avant-garde française à Bruxelles
L’essentiel pour comprendre les possibilités réelles de peser sur un texte, c’est de communiquer avec l’avant-garde sur le terrain. « Mes adjoints parlent avec les correspondants de la RP au moins dix fois par jour », souligne Florence Ferrari, chef du secteur Elargissement. Chacun passe une ou deux heures au téléphone avec son interlocuteur privilégié à Bruxelles, pour discuter des sujets qui passent dans les groupes de travail du Conseil. Sans compter les courriels. Les « bruits de couloir » qui parviennent aux oreilles de la RP apparaissent d’autant plus précieux pour le SGAE depuis l’élargissement de l’Union à dix nouveaux Etats membres en mai 2004. Les personnes à convaincre sont plus nombreuses, la pondération des voix a changé et le poids des nouveaux parlementaires dans le processus législatif doit être pris en compte. Les échanges informels en amont se multiplient à Bruxelles. Toutes ces informations concourent à définir la base de la ligne qui sera défendue plus tard de façon officielle.

3) Désigner un ministère « chef de file »
Pas toujours évident de désigner le ministère « chef de file », a priori le plus concerné par telle proposition de la Commission. Même si parfois deux « chefs de file » peuvent être désignés sur un sujet, comment déterminer par exemple celui d’une proposition de directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles ? C’est important car il peut peser un peu plus dans la négociation interministérielle, avant le Conseil. En général, c’est lui qui étudie l’impact du texte proposé sur le droit français. Il doit aussi prendre en compte ses effets potentiels sur les activités professionnelles, les collectivités locales... Leur consultation n’est pas vérifiée par le SGAE, mais pour les sujets sensibles, les chefs de secteur et les secrétaires généraux adjoints peuvent avoir des contacts informels avec des associations, des organisations syndicales et patronales, etc., pour recouper les informations des ministères. Ce qui fut le cas avec les notaires sur la directive services par exemple.

4) Définir une ligne
Dans le secteur Elargissement, qui traite l’une des priorités européennes de ce semestre, les ministères peuvent disposer de trois jours à quelques heures pour définir leur position initiale sur les projets de la Commission ou les compromis de la présidence. Une fois précisé ce qu’ils pensent de la proposition, le chef de secteur décide éventuellement de les réunir, notamment en cas de désaccord. Même si parfois certains ne répondent pas à l’invitation, décidant que le texte en question ne les concerne pas. « Pour la dernière réunion que j'ai présidée, on disposait d’une position consolidée et signée du ministère de l’Agriculture, moins formelle mais par écrit du ministère des Affaires étrangères, non écrite de Bercy, moins concerné par le sujet, raconte Florence Ferrari. J’ai réuni mes deux adjoints pour mettre en commun nos informations et voir la ligne vers laquelle on pouvait se diriger. » Le secrétaire général adjoint Serge Guillon résume: « Le SGAE doit définir des priorités de négociations, identifier ce qui pose problème, les points sur lesquels la France peut céder ou non… Parce que les ministères ont tendance à présenter tout comme prioritaire, ils n’ont pas de vision horizontale comme nous. »

5) Confronter
Représentation permanente et ministères La visioconférence est une manière d’instiller une culture du communautaire et du compromis dans l’administration française. Le système a des avantages, notamment pour le SGAE qui se trouve au cœur d’un réseau de contraintes. « Cette méthode de travail est intéressante pour tout le monde, affirme Lionel Rinuy, chef du secteur Espace judiciaire européen. Les experts parisiens s’informent sur le souhait de la présidence d’aboutir ou non sur tel texte, le contexte dans lequel une réunion a lieu, etc. Et les conseillers RP, moins spécialisés, car ils traitent par exemple à la fois du droit civil et du pénal, bénéficient de l’expertise de leurs collègues parisiens sur le sujet traité. » Ils entendent également les préoccupations des ministères, en direct.

6) Préparer les consignes de négociation
Après une réunion interministérielle, le projet d'instructions est en général rédigé par un adjoint du chef de secteur. Ces fiches indiquent l’objectif recherché par la réunion et suggèrent des arguments. Elles se divisent en général en deux parties : l’état du dossier, les « éléments de langage » à utiliser. Une relecture, éventuellement une confirmation par le secrétaire général adjoint, et le chef de secteur les envoie à la RP par courriel. Voire par téléphone juste avant la réunion, ou si elle a déjà commencé et que des précisions semblent nécessaires. « En sachant que dans la pratique, la RP est toujours en copie dans les échanges donc elle a une idée de ce à quoi vont ressembler les instructions», précise Florence Ferrari.

7) Les transmettre officiellement
Même si pour des sujets sensibles, la secrétaire générale Pascale Andréani peut relire les instructions, elles sont toujours signées par ses adjoints. Ceux-ci les envoient par télégramme diplomatique codé, dans une petite salle à l’accès réservé. « Ce degré de formalisme est nécessaire pour fixer la position française, et pour les archives », estime la chef du secteur Elargissement.

8) Obtenir un retour
Le jour même de la réunion du groupe de travail, du Coreper ou du Conseil, le SGAE reçoit le compte-rendu par courriel et par télégramme diplomatique. La RP l’écrit de manière hiérarchisée, avec beaucoup de précision. Celui-ci est également adressé au ministère des Affaires étrangères, avec copie aux postes diplomatiques et ministères concernés. Comme certains ministères n’ont pas l’habitude de recevoir des télégrammes diplomatiques, qui mettent parfois des jours à arriver au bon interlocuteur, le SGAE envoie par courriel à la personne qui suit le dossier les parties qui la concernent.

Jeanne Cavelier

 

Une journée à créer du compromis

Jeudi matin, Sandrine Gaudin reçoit comme d’habitude la revue de presse du centre d’information du Secrétariat général des affaires européennes, composée d’articles sur l’Union européenne (UE) et plus particulièrement sur la politique commerciale, son domaine. 9h30. Rendez-vous à la salle de réunion du 1er étage. Ses partenaires habituels sont là : des représentants du ministère de l’Agriculture, de l’Economie et des Finances, des Affaires étrangères. Et la Représentation permanente (RP), visible sur un écran depuis Bruxelles. Il s’agit de préparer le puissant comité 133, qui veille dans les négociations commerciales à ce que la Commission respecte le mandat donné par les Etats. C’est un représentant du ministère de l'Economie, flanqué d’un conseiller de la Représentation permanente, qui siégera demain à Bruxelles. La France veut faire entendre sa voix sur deux sujets : le dumping chinois et les discussions difficiles avec l’Inde et les Etats-Unis concernant le cycle de Doha à l’OMC. En une heure, les ministères tombent d’accord sur les amendements qui seront défendus par la délégation française au comité 133. A l’issue de la réunion, le projet d’instructions pour la négociation est rédigé, les amendements mis en annexe. En principe, ceux-ci sont présentés oralement, mais une version écrite sera donnée à la présidence finlandaise, pour lui faciliter le travail. Sandrine Gaudin envoie le tout par courriel aux ministères. Après une réunion de service, présidée à 11h30 par la Secrétaire générale Pascale Andréani, Sandrine Gaudin déjeune avec la conseillère juridique de l’ambassade de Suisse. Pour discuter des accords entre l’UE et son pays, et dissiper un malentendu : au même titre que ceux de l’UE, les ressortissants suisses ont accès à tous les concours de la fonction publique française.

Le blues des petits soucis

L’après-midi est ensuite ponctuée de soucis divers, entre deux dépêches d’agences de presse de son secteur et autres messages. D’abord, s’occuper des problèmes techniques survenus lors de la visioconférence du matin. Elle échange des courriels avec le service informatique, situé au rez-de-chaussée, pour qu’il les règle et qu’il produise un mode d’emploi plus clair. C’est d’autant plus important dans son secteur que les visioconférences se font simultanément avec les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles et avec celle de Genève, auprès de l’OMC. Elle doit aussi s’occuper du départ de l’un de ses adjoints, en janvier. Un coup de téléphone et rendez-vous est pris pour préparer son remplacement. Autre souci : le Parlement français doit être consulté sur une proposition de modification d’un accord entre l’UE et l’Argentine. Sandrine Gaudin souhaiterait que ce processus soit terminé avant le Conseil de lundi. L’Assemblée nationale n’a fait aucune objection, mais le texte n’a toujours pas été examiné par le Sénat, qui l’a inscrit à son ordre du jour de mardi prochain. Un coup de téléphone au secteur Parlements, qui règle le problème: le texte passe finalement demain. Sandrine Gaudin informe la Représentation permanente qu'elle peut rassurer la présidence finlandaise : le texte peut être mis à l’ordre du jour du Conseil. Si jamais le Sénat adopte quand même une résolution, le ministre la prendra en compte et pourra indiquer au Conseil qu’il a une déclaration à faire. Quelques coups de téléphone et courriels plus tard, elle constate qu’en vue de la réunion du comité 133 du lendemain, aucun arbitrage n’est nécessaire, les désaccords entre ministères ne concernent que des détails de formulation. Coordonner la position française a été aujourd’hui une mission aisée. La journée n’est pas terminée, le soir et sa relative tranquillité sont propices au travail sur le fond des sujets.

Pascale Andréani, un parcours dans les hautes sphères

Depuis 2002, Pascale Andréani définit à Paris les grandes lignes de la politique européenne de la France. A 51 ans, elle est à la tête du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et conseiller auprès du Premier ministre pour les affaires européennes. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, un DEA de droit communautaire en poche, cette diplomate commence sa carrière en 1982 comme secrétaire des affaires étrangères à New York, à la mission permanente de la France auprès des Nations-Unies. Après quatre ans au service de la coopération économique du ministère des Affaires étrangères, elle devient en 1988 conseiller des affaires étrangères, avant de retourner un an à la direction des affaires économiques. C’est en 1990 qu’elle entre pour la première fois au Secrétariat général du comité interministériel pour la coopération économique européenne (SGCI, ex-SGAE), en tant que secrétaire générale adjointe. Une fonction qu’elle cumule avec le poste de secrétaire générale de la mission interministérielle pour l'Europe centrale et orientale.

Madame Europe de Jacques Chirac

De 1993 à 1997, elle accède à la sphère politique en devenant directeur de cabinet d'Alain Lamassoure, alors ministre délégué aux Affaires européennes puis au Budget, et porte-parole du Gouvernement. Puis elle passe deux ans à l’Elysée comme chargée des affaires européennes de Jacques Chirac. Durant l’année1999, Pascale Andréani devient ministre-conseiller à l'ambassade de France en Grande-Bretagne. Enfin, entre 2000 et 2002, avant sa nomination au SGCI, elle occupe au ministère des Affaires étrangères le poste de directeur de la coopération européenne. Au nom de Dominique de Villepin, c’est elle qui, entre 2002 et 2004, représente le gouvernement français à la Convention puis à la Conférence intergouvernementale préparant une constitution pour l’Europe. Après 25 ans d’un parcours sans faute, elle pourrait prétendre aux postes les plus convoités du ministère des Affaires étrangères : une ambassade de premier plan, par exemple.

 

58 ans de loyaux services

25 juin 1948 : Robert Schuman crée le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Celui-ci doit assurer la coordination entre les administrations pour gérer les fonds du plan Marshall.
3 septembre 1952 : Le comité interministériel fixe la position française au Conseil des ministres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Le SGCI, dont le secrétaire général est issu du ministère des Finances, prépare ses délibérations et veille à leur exécution.
10 juillet 1954 : Pierre Mendès-France, président du Conseil, délègue au ministère des Finances ses attributions pour les affaires et les services relevant du SGCI.
1957 : Le Traité de Rome conduit le SGCI à élaborer les positions de la France sur les questions communautaires et à coordonner les institutions publiques françaises avec les institutions européennes.
1958 : Le général de Gaulle fait du SGCI une administration d’état-major assurant l’interface entre le politique et l’administratif. Il espère ainsi éviter la concentration du pouvoir à Bruxelles.
20 septembre 1977 : Raymond Barre met fin au monopole du ministère des Finances sur le poste de Secrétaire général du SGCI. Ce dernier est désormais nommé par décret du Conseil des ministres.
18 octobre 2005 : Dominique de Villepin rebaptise le SGCI, qui devient le Secrétariat général des affaires européennes. Celui-ci assure le secrétariat du Comité interministériel sur l’Europe, présidé par le Premier ministre.

Le Secrétariat général des affaires européennes

A l’angle du boulevard Diderot et du quai de la Rapée, à Paris, se dresse un bâtiment dans le style Art déco, l’antre du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). C’est là que quelque 120 fonctionnaires triés sur le volet, répartis sur sept étages dans une vingtaine de secteurs, préparent la position de l'exécutif français au Conseil de l’Union européenne. 80 personnes les assistent. Tout échange avec Bruxelles doit passer entre leurs mains, hormis la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), gérée par le Quai d’Orsay. Au sixième, le bureau de la Secrétaire générale, Pascale Andréani, n’est pas souvent occupé. Sa fonction de conseiller aux affaires européennes auprès de Dominique de Villepin la retient à Matignon une grande partie de la semaine. C’est ce qui donne une légitimité politique au travail du SGAE, un service administratif rattaché au Premier ministre. Trois secrétaires généraux adjoints, Nicolas Quillet, Serge Guillon et Raymond Cointe, les « SGA » comme on les surnomme dans les bureaux, font tourner la maison au quotidien.

Des réunions par visioconférence

Sous leur autorité, les chefs de secteur et leurs adjoints coordonnent et hiérarchisent les positions des ministères, pour que le gouvernement français parle d’une seule voix tout au long des négociations avec ses partenaires européens sur les propositions de la Commission. Deux principes les guident : exhaustivité — formuler une position dans tous les domaines — et anticipation — réfléchir le plus tôt possible sur les sujets à venir. Pour remplir cette mission sur les sujets consensuels il peut suffire de quelques courriels. Mais l’instrument de prédilection, ce sont les réunions interministérielles. Ils en ont organisé 1113 dans les dix premiers mois de cette année. Elles se tiennent dans l’une des salles équipées pour des visioconférences, la grande au 1er étage avec deux écrans, ou la petite au 4e. Grâce à cet outil, la Représentation permanente, chargée à Bruxelles de négocier en appliquant les instructions du SGAE, a assisté à 539 réunions interministérielles. 95% des arbitrages se concluent ici. Si l’accord n’est pas trouvé à ce niveau, notamment pour les sujets politiquement sensibles, le cabinet du Premier ministre tranche, après une nouvelle réunion, à Matignon. Parallèlement, le secteur Parlement, après tri du Conseil d’Etat, et par l'intermédiaire du Secrétariat général du gouvernement, transmet pour avis à l’Assemblée nationale et au Sénat les propositions de la Commission qui relèvent du domaine de la loi. Pour les aider, le SGAE réclame aux ministères des fiches d’impact, qui décrivent les implications potentielles d’un texte européen sur le droit français. Un processus qui ne fonctionne pas aussi bien que les parlementaires le souhaiteraient : d’après le rapport Philip de juillet 2006, sur 34 propositions de directives transmises entre le 1er juillet 2005 et le 1er juin 2006, 23 seulement ont été complétées par une fiche d’impact.

Communiquer pour s'informer

Une fois les directives et règlements européens adoptés, le SGAE veille à leur transposition, et à leur exécution administrative. Un exercice où la France n’excelle pas. Mais depuis quelques mois, le conseiller juridique, Jean-Philippe Mochon, dresse un tableau de suivi des transpositions en droit français, avant chaque Comité interministériel sur l’Europe. La pression politique semble efficace. En décembre, le pays devrait selon le conseiller juridique franchir la barre de 98,5% de directives transposées, l’objectif fixé par la Commission. Toutes ces missions amènent les conseillers du SGAE, les yeux rivés sur leurs écrans et l’oreille collée au téléphone, à beaucoup communiquer entre eux mais aussi avec les directions générales des ministères, les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles, et parfois les délégations de l'Union européenne du parlement français ou même la Cour de justice des communautés européennes. Le fruit de leurs échanges est conservé au deuxième étage, le centre de documentation, où dix-sept personnes répondent aux questions des fonctionnaires. Chaque année, ce centre reçoit 100 000 documents venant du Conseil, de la Commission, des ministères, de la Représentation permanente, etc. Des étagères remplies de dossiers s’emboîtent les unes derrière les autres. Au bout d’une dizaine d’années, ils sont rangés dans des cartons. Direction : les Archives nationales.

Jeanne Cavelier

 

SGAE
2, boulevard Diderot, Paris 12e
Créé le 25 juin 1948 sous le nom de Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne(SGCI) et rebaptisé Secrétariat général des affaires européennes le 18 octobre 2005.
Effectif : environ 200 fonctionnaires

La France n'est pas passée entre les mailles du filet

Quinze ans de bataille judiciaire, et la France sort enfin la tête de l’eau. Le contentieux avec la Commission européenne sur les « merluchons », qui lui a coûté près de 78 millions d’euros, ne fera plus de remous. Ainsi en a décidé la Commission : elle a mis fin, jeudi 23 novembre, à l’astreinte semestrielle qui pesait sur notre pays depuis le 12 juillet 2005. Ce qui a déclenché la tempête : la pêche de jeunes merlus n’ayant pas encore participé à la reproduction de leur espèce, notamment au large des côtes bretonnes et de l’Atlantique nord-est.
Au début des années 80, les experts de la Commission envoient des signaux. Si rien n’est fait, la pêche à outrance des poissons dits « sous taille » risque d’entraîner l’extinction de plusieurs espèces. La protection des ressources halieutiques est érigée en intérêt général de la Communauté européenne. En tant qu’Etat membre, la France participe aux négociations qui aboutissent en 1982 au vote d’un règlement sur le contrôle des pêches.
Mais face à la mer, l'exécutif s’enlise. Les circulaires de mise en conformité tardent. Les irrégularités se multiplient sur le terrain. La faiblesse des contrôles et le laxisme en matière de sanctions aux pêcheurs fraudeurs perdurent et les merluchons continuent d’être présents sur les étals des poissonneries. Le gouvernement hésite. Entre le sort des poissons et celui des pêcheurs, son cœur balance. Malgré un premier arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) en 1991, les problèmes persistent. Les rapports des inspecteurs de la Commission font des vagues : insuffisance des contrôles sur la taille des mailles des filets, sur les poissons pris « par hasard » dans les filets des pêcheurs, sur la vente de poissons « sous-taille » et manquements à l’obligation de poursuite des infractions. La Commission a l’impression que la France la mène en bateau. Ses mises en demeures répétées restent lettres mortes.
Le 12 juillet 2005, la France touche le fond. La CJCE décide d’infliger au pays récalcitrant une sanction historique : 20 millions d’euros d’amende et 58,85 million d’astreinte, renouvelée tous les six mois jusqu’à mise en oeuvre de la réglementation européenne. C’est la première fois qu’un Etat écope d’une double sanction et avec une somme aussi lourde. Cinq ministères s’en partageront le paiement. Explications.

Jeanne Cavelier / Adelise Foucault

 

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