Youtubeur, c’est un métier selon toi ?
Pour moi, c’est plus qu’un métier. Quand tu es youtubeur, différents métiers se regroupent à l’intérieur. On est à la fois acteur de sa vidéo et on touche aux autres métiers de l’audiovisuel, que ce soit le graphisme pour faire les miniatures (onglet de présentation de chaque vidéo, ndlr), le montage jusqu’à la communication avec la sortie des vidéos et des posts. Il y a de l’administratif à régler. C’est très complet et demande énormément de temps.
Combien de temps travailles-tu ?
Je travaille non-stop de 8h à 22h. Je ne prends pas de week-end. Je me laisse une demi-journée de repos, généralement le dimanche.
Faire des vidéos sur Internet, c’est une pratique assez récente ?
YouTube est nouveau comme secteur. La plupart des vidéastes ont maintenant des networks (MCN, à la fois agences artistiques, régies publicitaires et sociétés de production, ndlr) qui les aident. Il y a une vraie professionnalisation dans le milieu de YouTube.
Es-tu soutenu par un network ?
Je collabore avec un network mais ce n’est pas un réel soutien en termes de production ou de travail concret sur ma chaîne YouTube. C’est un petit plus car il me met en relation avec des marques. Mais cela ne diminue pas ma charge de travail.
L’activité de youtubeur suscite toujours des préjugés ?
C’est un métier qui vient de se créer mais qui est de plus en plus reconnu. C’est appréciable. Je suis youtubeur depuis cinq ans, j’ai pu voir l’évolution de notre statut au fil du temps. Dans les personnes qui ne sont pas consommatrices de vidéos en ligne, elles sont plutôt curieuses. Quand on leur explique ce qu’est YouTube, le résultat est positif. La plupart des gens ne se rend pas compte de la portée qu’ont les youtubeurs. Ce n’est pas juste quelques vidéos mais on fait des millions de vues.
Tu as plus de deux millions d’abonnés. Te sens-tu privilégié par rapport aux milliers de vidéastes qui peuplent YouTube ?
Je ne sais pas si je suis privilégié. Les vrais vidéastes ne se concentrent pas sur les chiffres. La plupart des gros youtubeurs actuels ont tous commencé par passion pour partager du contenu. C’est exactement ce que j’ai fait. Au regard des chiffres, comparé à quelqu’un qui a 100 ou 100 000 abonnés, je suis favorisé. J’ai juste travaillé depuis plus longtemps, avec une communauté plus grande. Aujourd’hui, l’algorithme a été modifié. YouTube fait varier le contenu en mettant en avant des youtubeurs qui ont moins d’abonnés.
« Il ne faut pas se faire oublier en postant régulièrement des vidéos »
Comment conserver la fidélité de tes abonnés ?
Il faut être authentique. Les internautes accrochent à une personnalité qu’on va découvrir avec le temps. En regardant les vidéos du youtubeur, les gens apprennent à le connaître, à savoir qui il est, ses délires, comme si c’était leur pote. Si la personnalité accroche, il n’y a pas de travail réel à faire à part l’envie de partager. Il ne faut pas se faire oublier en postant régulièrement des vidéos.
En quoi YouTube aujourd’hui a évolué depuis sa création ?
C’est plus difficile de commencer à l’heure actuelle. Il y a quelques années, il y avait très peu de gens sur YouTube. On était comme une petite famille, tout le monde se connaissait. Tout est plus grand maintenant. Le milieu devient aussi de plus en plus professionnel. Nous sommes pris de plus en plus au sérieux ce qui nous permet, en tant que créateur de contenus, de faire des vidéos de meilleure qualité à chaque fois, de réaliser des projets, d’aller sur d’autres médias.
La publicité rémunère les vidéastes. On évoque la somme d’un euro pour 1 000 vues. Combien gagne-t-on sur YouTube ?
Tous les youtubeurs ont des revenus différents. Ça dépend beaucoup en fonction du contenu, de la durée de la vidéo, de la communauté, de la monétisation des vidéos. Certains vidéastes ont diffusé des contenus avec des insultes, l’algorithme de YouTube est devenu plus strict et ces vidéos ont été démonétisées (non rémunérées par la publicité, ndlr). Avec la cuisine, je n’ai eu aucune vidéo démonétisée. Pour moi, les revenus publicitaires n’ont pas diminué. 1 euro pour 1 000 vues, c’est une moyenne un peu haute à mon avis. La plupart des vidéastes est payée en dollars, c’est plutôt 1 dollar les 1 000 vues qu’il faut convertir en euros en fonction du taux de change. Il peut arriver qu’on soit rémunéré 80 centimes d’euros pour 1 000 vues.
« Il y a une différence entre ce que les gens pensent et la réalité »
Arrives-tu à en vivre ?
Après mon BTS, il y a cinq ans, j’avais un petit salaire, même pas un SMIC, grâce à YouTube. A partir du moment où j’ai travaillé à temps plein pour ça, j’ai pu développer différents projets. YouTube coûte beaucoup d’argent. Il faut investir dans du matériel, prendre du temps pour créer du contenu. Ce n’est pas évident de vivre uniquement avec YouTube. C’est pour cela qu’il y a d’autres projets à côté comme le livre, le placement de produits, des actions de communication… J’arrive à en vivre correctement. Mais cela me demande beaucoup, beaucoup de travail. Au regard du temps investi, ce n’est pas si rentable. Je n’ai pas un salaire fixe. Ma chaîne fait 10 millions de vues en moyenne par mois. En appliquant le critère 1 euro pour 1 000 vues, tu peux en déduire que je gagne 10 000 euros par mois. La plupart des youtubeurs appartiennent à des sociétés, donc ils doivent payer les charges, ce qui représente près de la moitié de ce salaire. Sur le reste, il faut compter les charges pour la production de la vidéo. Pour moi, je dois faire les courses, payer mon équipement et mon cadreur. A la fin, sur un mois, tu peux te retrouver avec 1 500-2 000 euros, un salaire classique.
Vous avez une image de privilégié qui vous colle un peu à la peau ?
Le youtubeur est dans la communication. Quand on regarde les stories de youtubeurs lors de leurs activités, on a l’impression de mener une vie incroyable et hors du commun. Etre youtubeur, c’est une chance qui nous permet de vivre des trucs dingues. Mais si on ne s’intéresse pas à fond au sujet, on se fait une fausse idée des vidéastes. Par exemple, les marques invitent des youtubeurs pour faire des voyages. Les gens peuvent penser : « Regarde, il est encore en voyage. Comment il fait ? » Tu passes des vacances gratuites certes, tu ne gagnes pas d’argent. Mais tu vas avoir plein de travail derrière. Je ne veux pas me plaindre mais il y a une différence entre ce que les gens pensent et la réalité.
Quels sont tes projets ?
A plus court terme, c’est de travailler sur ma chaîne YouTube, trouver de nouvelles idées. Ouvrir mon propre restaurant à l’image de ma chaîne est un projet à moyen-long terme. Je resterai toujours dans le côté cuisine et digital, peut-être sous la forme de vidéos sur YouTube ou une autre plateforme. Sans aller dans le domaine de la gastronomie pur et dur qui ne m’intéresse pas. Quand j’étais jeune, j’étais dans cet univers et je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que j’aimais.
David HENRY
« YouTube nous tire dans les pattes »
La démonétisation des petits youtubeurs est en marche. A partir du 20 février, il ne sera plus possible de monétiser ses vidéos avec de la publicité dès lors que les chaînes ne sont pas suivies par au moins 1 000 abonnés et ne comptabilisent pas 4 000 heures de vues sur leurs vidéos sur un an. « 99% de ceux qui sont affectés ont gagné moins de 100 dollars par an l’année dernière, dont 90% ont gagné moins de 2,5 dollars le mois dernier », fait valoir le géant américain des vidéos en ligne qui a pris cette décision dans la foulée de l’affaire Logan Paul.
Ce youtubeur américain aux 16 millions d’abonnés avait défrayé la chronique en riant et plaisantant à côté du cadavre d’un jeune homme pendu dans la « forêt des suicides » au Japon. Pour la plateforme américaine, les vidéos doivent présenter un contenu « approprié » en conformité avec la charte. YouTube l’a alors sanctionné : suspension des projets en cours de préparation et surtout démonétisation provisoire de sa chaîne. Il est ainsi privé de ses revenus publicitaires. Les annonceurs refusent que leurs publicités soient associées à des contenus douteux. Au début du mois de février, la sanction est reconduite suite à une nouvelle polémique. Dans sa vidéo, Logan Paul « tase » des rats morts sur son balcon. « Il a fait preuve d’un problème de comportement dans ses vidéos », explique un porte-parole de YouTube.
Cette nouvelle politique du géant américain inquiète le milieu des vidéastes. En effet, les revenus publicitaires rémunèrent les créateurs de vidéos. Dans un tweet, Amixem, youtubeur qui culmine à plus de 3,5 millions d’abonnés, prévient : « La monétisation YouTube depuis début janvier est divisée par quatre. C’est la m**** et pour les petites chaînes, c’est catastrophique. Imaginez que votre salaire passe de 1000€ à 300€ du jour au lendemain… »
https://twitter.com/_Amixem/status/953612321707917312
Pour les youtubeurs sous le seuil critique, la course aux abonnés bat son plein pour continuer à percevoir de l’argent de la plateforme californienne.