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Les femmes cantonnées à la pâtisserie ?
« La pâtisserie est souvent reliée à la séduction. Donner du sucre, c’est donner de l’amour : être gentil et doux. La cuisine est un acte beaucoup plus barbare. C’est un lieu où l’on donne la mort : vider des poissons, des poulets, les couper et avoir du sang sur les mains.
Il y a un côté « Eros Thanatos » (pulsion de vie/pulsion de mort, ndlr) que l’on oublie facilement avec la cuisine en pièces détachées, souvent pratiquée à la maison avec deux blancs de poulet. L’anthropologue Alain Testart parlait du tabou ancestral qui séparait les femmes de la chasse, du malaise de voir une femme avec un couteau. Il y a un interdit inconscient là dessus. Les femmes utilisent des aiguilles, des objets émoussés mais les choses tranchantes sont l’apanage du mâle. C’est en creux dans la civilisation occidentale : attention, il y a le sang qui va jaillir, de l’impureté. Il y a un interdit très sous-terrain. On ne met pas de grands couteaux dans les mains des filles pour qu’elles apprennent à les aiguiser. Elles sont infantilisées. »
Estérelle Payany
Pour aller plus loin
Estérelle Payany est journaliste et critique culinaire pour Télérama Sortir, auteure de nombreux ouvrages sur la gastronomie. Depuis quelques années, elle prête une attention particulière aux cheffes et se rend principalement dans des restaurants tenus par des femmes, qu’elle recense.
« Étant moi même une femme, je vois le monde à travers un certain type de lunettes. Une fois j’ai un peu écorché un restaurant de viande dans un article. J’ai entendu : « tu sais c’est une femme, elle ne sait pas vraiment manger de la viande ! » Je n’ai pas particulièrement apprécié. Mon rôle de critique, c’est de concilier ma subjectivité et l’objectivité. Ma subjectivité je ne peux pas la changer : je suis une femme, parisienne, d’une quarantaine d’années. Mon rôle est de me demander ce qui touchera les lecteurs du magazine pour lequel je travaille. »
« Les critiques gastronomiques d’aujourd’hui jugent avec des critères et des lunettes très masculines : est-ce que c’est bien vu de manger dans ces lieux là ? On peut changer de lunettes et se mettre dans une vision que certains diraient « féminine », que moi j’appelle de « mangeur contemporain ». Est-ce que c’est bon, bien fait et intéressant ? Oui c’est intéressant de bien nourrir les gens. Des femmes il y en a beaucoup : dans les cuisines collectives, cuisines du monde et des petits restaurants. Ce ne sont pas ceux que l’on trouve dans les guides. Mais lorsque l’on passe devant, ils sont pleins.
Ce sont deux catégories différentes de cuisine. Pour moi les deux sont nobles. Réussir à bien nourrir au quotidien est aussi difficile que nourrir de façon exceptionnelle une fois par an. La gastronomie dans le sens du Guide Michelin n’est peut-être pas la plus intéressante. On s’éloigne de l’aspect paillettes pour revenir aux fondamentaux. Ce qu’il y avait dans les années 30 du Guide, où il pas mal de femmes se trouvaient à l’époque. »
« Les premières femmes étoilées, étaient les mères lyonnaises. La première femme étoilée était la mère Brazier en 1933. C’est aussi la première personne au monde à avoir eu deux fois trois étoiles ! Paul Bocuse a travaillé dans son restaurant et lui doit beaucoup de ses recettes. Dans les années 50, il y en avait bien plus qu’une, comme la mère Bise. Années 30, années 50 : toujours des périodes d’après-guerre. Il a fallu que les hommes désertent les cuisines pour que les femmes prennent le pouvoir.
Tous les grands chefs parlent avec émotion de la cuisine de leurs grand-mères. Elles faisaient ca pour rien, alors qu’eux pouvaient en faire de l’argent. Il y a eu une confiscation du savoir faire. C’est comme pour la haute couture, dès qu’il y a eu des capitaux financiers en jeu, ce n’était plus l’affaire des femmes. On a fait de la cuisine une affaire d’homme, tout en laissant aux femmes la charge du quotidien.
« Il ne faut pas forcément révolutionner le Michelin. Chaque guide a le public qui va avec, chaque génération veut créer son nouveau guide. Le Michelin restera Le Michelin. On ne peut pas lui demander d’évoluer. C’est comme demander à un grand-père d’avoir des idées très progressistes. C’est un témoignage de générations, des témoignages patriarcaux en quelque sorte. Le Michelin reste un critère important, ils font du très bon boulot sur de nombreux points. Si le moule ne va pas, il faut changer le moule. C’est à nous de faire évoluer les critères par lesquels on choisit d’ouvrir la porte d’un restaurant et d’aller dîner tous les jours.
« Oui, on peut choisir volontairement de visiter plus de restaurants tenus par des femmes »
Avec Vérane Frédiani, la réalisatrice du film À la recherche des Femmes Cheffes, on a lancé la collecte de noms de femmes cheffes. Pour montrer aux médias qu’il y a beaucoup de femmes dans les cuisines en France mais qu’ils ne les voient pas, qu’ils ne les cherchent pas. C’est à nous de les mettre en avant.
« Le prix Femme Chef du Michelin vient un peu tard. » Il y a eu Fanny Rey en 2017 pour la première édition. Mais il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt. Il y en a une, demain j’espère qu’il y en aura 10 000. Cela a le mérite d’ouvrir une porte, d’inciter les médias à parler d’elle. Des petites filles verront que c’est faisable et oseront dire : « moi plus tard je veux être cheffe », sans ce sentiment perpétuel de défricher. On est au début de l’histoire. C’est un combat de visibilité, de reconnaissance, d’affirmation.
Pour aller plus loin
INTERVIEW avec Isabelle Bidegain, médecin du travail
Selon la Mildeca, les Français sont les premiers consommateurs de psychotropes au monde. De quoi parle-t-on exactement ?
I.B. : Il faut différencier les substances psychoactives qui agissent sur le cerveau (tabac, alcool, caféine, cocaïne, cannabis), des produits médicamenteux autorisés (antidouleurs, somnifères, antidépresseurs). C'est cette dernière catégorie, que l'on qualifie de psychotropes. Les Français sont donc les premiers consommateurs au monde de produits médicamentaux délivrés par le corps médical, essentiellement pour des troubles d'anxiété, de dépression ou des troubles du sommeil. Mais aujourd'hui, quand on parle de psychotropes, cela inclut souvent les substances psychoactives.
D'après l'OFDT, la consommation de psychotropes touche toutes les catégories socio-professionnelles.
I.B. : Bien sûr. Et les produits consommés dépendent du secteur d'activité. Par exemple, dans le secteur du BTP, le produit le plus consommé est l'alcool. Parmi les saisonniers, c'est le cannabis. Dans les secteurs bancaire, financier et de l'audiovisuel, il est surtout question de cocaïne et d'ecstasy. Et dans le secteur de la santé, ce sont les psychotropes médicamenteux.
Comment luttez-vous contre ce phénomène ?
I.B. : Ce n'est plus uniquement l'affaire du médecin du travail, ce qui était le cas jusque là. Mon rôle aujourd'hui est d'amener les partenaires du monde du travail à apporter une réponse pluridisciplinaire. L'idée est d'associer les représentants des employeurs, des salariés, les caisses régionales d'assurance maladie, les organismes professionnels et le monde de la santé au travail (médecins, infirmiers, psychologues) afin de construire ensemble une réponse par rapport à la problématique de la consommation au travail.
Et les entreprises coopèrent ?
I.B : Évidemment toutes les entreprises ne sont pas volontaires. La tendance actuelle vise plutôt à développer des contrôles en entreprises. Les employeurs favorables à ces contrôles inopinés pensent que cela suffit à réduire la consommation au travail. Je pense que c'est une illusion.
Mais la méthode de traitement a évolué ?
I.B. : Oui. Il y a quelques années, on interrogeait les personnes essentiellement sur ce qu'elles consommaient. Aujourd'hui, on les interroge plutôt sur les causes de leur consommation. On est passé du simple traitement de l'usager au traitement de l'usage. Car si vous ne traitez pas ce qui déclenche la consommation (par exemple, le stress au travail), ça ne sert à rien d'interdire un produit ou de traiter la personne qui consomme. Ce qui pose problème, ce sont les facteurs professionnels qui conduisent à la consommation. Par exemple, le management à l'objectif, avec à chaque fois un objectif plus poussé. Cela n'entraîne pas une consommation de cocaïne pour toutes les personnes. Mais pour certaines, notamment celles qui ont déjà une consommation festive de cocaïne, ces méthodes de management - à l'objectif - vont renforcer leur consommation.
Le travail à l'objectif est répandu dans notre société. La consommation de psychotropes est-elle liée à la conception actuelle du travail ?
I.B. : Bien sûr. Et c'est cette conception du travail qu'il faut changer. C'est la seule façon de faire évoluer les choses. Mais cela nécessite une prise de conscience, de la part des entreprises comme des salariés. Par exemple, une entreprise automobile qui pratique le management à l'objectif doit faire prendre conscience à ses salariés que leur consommation de cocaïne peut être liée au stress. Mais au-delà, l'entreprise doit évidemment réorganiser le travail pour diminuer la source de stress et la pression que subissent ses salariés. L'idée derrière tout cela, ce n'est pas d'obtenir que les gens ne consomment plus du tout, mais qu'ils ne se mettent pas en danger dans le cadre de leur travail du fait de leur consommation.
Cette consommation de psychotropes en lien avec le travail, est-ce un phénomène nouveau ?
I.B. : Le phénomène s'est beaucoup développé depuis les années 1980 avec la réorganisation du monde du travail, c'est-à-dire avec la précarisation, l'instantanéité, le développement des nouvelles technologies ayant entraîné une surcharge. À cela, s'est ajouté une perte du collectif. L'intensification du travail a poussé les personnes à chercher des réponses individuelles. Chacun a développé une stratégie individuelle pour s'en sortir au mieux, aux dépens d'une stratégie collective. C'est devenu chacun pour soi. Cet isolement peut renforcer les troubles anxieux des personnes concernées et donc leur consommation de psychotropes.
Par : Wyloën Munhoz-Boillot
Nicolas, 28 ans, est conseiller financier dans l'immobilier. Ce jeune cadre a commencé à consommer de la drogue de manière purement récréative, le week-end essentiellement. Puis, il s'est mis à en consommer avant d'aller travailler, pour « tenir le coup » après un week-end festif. Et petit à petit, pour faire face à une charge de travail toujours plus importante et une pression accrue de ses supérieurs, sa consommation est devenue quasi quotidienne.
Julien, 56 ans est un technicien du spectacle à la retraite. « Accro » pendant 27 ans, il a consommé toutes sortes de produits dopants. De l'héroïne à l'alcool, en passant par les opiacés et les médicaments antiasthéniques, comme le Guronsan. Parfois même sous forme de cocktails. Il ingérait alors plusieurs substances à la fois. Julien consommait lui aussi pour « tenir le coup »...
Nicolas et Julien ne sont pas des cas isolés. D’après une étude de la Mildeca, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (décembre 2016), les Français sont les premiers consommateurs de psychotropes (alcool, cannabis et médicaments type Guronsan en tête) au monde avec 20 millions d’actifs ayant recours à ces produits dopants. Et selon un rapport de l'OFDT, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Juin 2010), la consommation de psychotropes touche toutes les professions et catégories sociales. Il s’agit donc d'un phénomène généralisé.
Des témoignages de consommateurs de psychotropes, il ressort que le travail est souvent le point de départ de l'addiction. Comme pour Nicolas et Julien, l’objectif avancé est d'assurer, d’être performant, de palier le stress ou encore de faire face à une charge de travail trop importante. Le phénomène serait donc lié au monde du travail d'aujourd'hui, caractérisé par la course à la performance, la pression de l’objectif, l’intensification, l’individualisation avec parfois une perte de sens, la peur de perdre son emploi, ...etc.
Par : Wyloën Munhoz-Boillot
Travailler toujours plus vite, être le meilleur, faire du chiffre … Dans cette course effrénée à la performance et au gain, nombreux sont ceux qui craquent et se tournent vers les produits dopants (alcool, drogues, médicaments). Portraits croisés de ces dopés du quotidien.
Photo Par Ji-Elle — Travail personnel, CC BY-SA 3.0
Pour aller plus loin
« Les caractéristiques d’un bon curé sont ceux du Christ-Bon Pasteur. Comme un pasteur qui connaît son troupeau, le curé connaît sa paroisse et les membres de la communauté », explique Bernard Xibaut, chancelier de l’archidiocèse de Strasbourg. Avec cette description presque rurale, il est difficile d'imaginer les conditions de travail d'un prêtre dans le monde moderne. Pourtant aujourd’hui comme autrefois, l'église reste un employeur, proposant des emplois depuis presque 2000 ans, avec une histoire à succès passant d’un statut de petite start-up à la détention du monopole du salut de l’âme dans une partie considérable du monde. Il est sûrement discutable de considérer le salut de l'âme comme un domaine professionnel, mais l'activité pastorale est une vocation personnelle autant que professionnelle.
Si l’Eglise catholique est universelle dans sa structure globale, l’organisation du travail et, surtout, le régime de travail auquel les prêtres et plus spécifiquement les curés sont soumis varient selon le pays. L’Alsace-Moselle se trouve, par son histoire, au croisement de deux systèmes différents: initialement, la relation entre État et église catholique en France était réglée par le concordat de 1801 signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VIII. Transformé en législation, cela signifiait entre autres que l’État salarie les ministres des cultes alors reconnus sur le territoire français (catholique, luthérien, réformé et israélite). Quand en 1905, en France, la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat modifie les rapports aux cultes, l’Alsace-Moselle fait partie de l’empire allemand. Les règles du Concordat sont maintenues dans les trois départements alsaciens-mosellan, même après leur réintégration dans le territoire français en 1918. Cette décision est souvent contestée, mais elle reste en vigueur. La différence entre prêtres alsaciens et mosellans et « de l’intérieur » se manifeste ainsi jusqu’à leur fiche de paie : dans les territoires de l’Est, en vertu du Concordat, celle-ci est délivrée par l’État selon la grille indiciaire de la Fonction publique, pendant que les prêtres du reste de la France reçoivent une « indemnité » de l’Eglise. Le montant diffère selon les régimes — un prêtre en Alsace-Moselle, selon le quotidien La Croix(10 février 2018) reçoit 1300€ pour un vicaire et 2300€ pour un curé confirmé. Son homologue « de l’intérieur » doit se contenter d’environ 1000 euros, selon la même source.
Outre-Rhin, dans l’archidiocèse de Fribourg en Allemagne, les prêtres sont considérés comme exerçant une mission de service public. Leur salaire est au niveau de celui d'un proviseur de lycée, environ 4500 euros par mois et plus, selon l'ancienneté. L'église n'est pas aussi généreuse avec tous ses employés : fin 2017, l'archidiocèse de Fribourg était au cœur d'un scandale autour de cotisations sociales impayées depuis des années, concernant surtout les petits emplois dans les paroisses. Depuis, l'archidiocèse a mis à disposition un budget d'urgence de 160 millions d'euros pour rembourser impayés, dettes et amendes.
Etre prêtre et curé apparait comme un emploi stable, avec un revenu satisfaisant (selon la région). Pourtant les chiffres de futurs prêtres entrant et sortant du séminaire sont en baisse constante en France comme en en Allemagne. Fini, le temps où chaque paroisse avait son propre curé et plusieurs vicaires. Aujourd'hui, dans l'archidiocèse de Strasbourg, ils sont 360 prêtres (retraités inclus) pour 767 paroisses, regroupées dans 14 zones pastorales. Correspondre à l’image du bon curé « pasteur qui connaît son troupeau » est donc un défi de plus en plus difficile pour ceux qui l’acceptent.