La politique déboussolée

L'année 2014 sera marquée par les élections européennes. Elles prennent une dimension inédite puisque pour la première fois, le Parlement sera chargé d'élire le président de la Commission européenne. Mais est-ce une avancée marquante qui dépassera le simple accès de fièvre médiatique ? Les luttes d'influence auxquelles les  diplomaties nationales se livrent en coulisses pour  placer leurs poulains à des postes clés, ne sont elles pas plus significatives ?

Pour répondre aux urgences de la crise de l'eurozone, des  lieux d'exercice du pouvoir imprévus se sont affirmés et les cadres institutionnels chargés d'en assurer le contrôle se révèlent dépassés. Dans les instances nationales et européennes chacun tente de retrouver une place au sein du nouveau jeu.

Le Parlement de Strasbourg ©  Esteban Wendling/Cuej 


La farce de l'élection du président de la Commission

Du 22 au 25 mai, 380 millions d'électeurs européens sont appelés aux urnes. Tout est fait pour convaincre le public qu’il choisira à l’occasion le chef du gouvernement de l’Union.

Sur la façade du Parlement européen, un slogan prometteur est inscrit en grand : agir, réagir, accomplir. Trois mots choisis pour annoncer la couleur des prochaines élections européennes. « Cette fois-ci, c'est différent », promet même un clip vidéo réalisé pour inciter les électeurs à voter. Le Parlement européen part en quête d'un public. « Les élections européennes sont boudées par les électeurs car il n'y a pas d'enjeu », admet Alain Lamassoure, eurodéputé du PPE.


Mais le traité de Lisbonne a introduit une nouveauté majeure. Le prochain président de la Commission sera élu par le Parlement, sur proposition du Conseil européen, qui doit tenir compte du résultat des élections.


Les partis politiques européens se sont pris au jeu. Plus encore, le plupart ont pris l'initiative de désigner leur candidat à la présidence de la Commission. Ils auront mission de les personnifier à l'échelle européenne et de s'affronter au sommet à grands coups de programme. « Maintenant, le candidat va faire le tour des 28 États membres, poursuit Alain Lamassoure, enthousiaste. On n'a jamais fait ça ! Les grands médias qui ne s'intéressent pas du tout à l'Europe vont s'y intéresser. Tout le monde va regarder ! C'est l'occasion pour le Parlement européen et pour l'Europe de devenir vraiment démocratique. »


Pour l'électeur ce scénario de rêve pourrait rapidement tourner à la déception. Car, même si le prochain président de la Commission est choisi parmi ces candidats, celui-ci ne pourra tout simplement pas appliquer un programme partisan.


« Les présidents de la Commission ont habituellement une forte expérience politique, mais n'ont jamais eu un mandat qui leur permette d'appliquer un programme », analysent Heather Grabbe et Stefan Lehne dans un article publié par le think-tank Center for european reform. Le collège des Commissaires prête même serment devant la cour de justice de l'Union européenne de « faire respecter les Traités et d'être complètement indépendant dans l'accomplissement de ses devoirs au cours de son mandat ».

Bras de fer entre Conseil européen et Parlement

Pourquoi les partis politiques européens, qui connaissent parfaitement les contraintes pesant sur le président de la Commission, ont-ils néanmoins décidé de s'engager dans cette voie apparemment sans issue ?


Parce que le Parlement compte profiter de l'occasion pour prendre du poids face au Conseil européen. A l'épreuve de la crise, c'est bien ce dernier qui a endossé publiquement le rôle de véritable exécutif européen. Les chefs d'État et de gouvernement ont fixé les règles d'une nouvelle gouvernance que la Commission a la charge de faire respecter. L'exécutif communautaire est en la matière réduit à un simple rôle d'auxiliaire. Quant au Parlement, les compétences que lui reconnaissent les traités en matière de politique économique, qui relève des parlements nationaux,  sont proches de zéro. Le grand spectacle des élections, s'il parvient à mobiliser suffisamment de public, pourrait modifier ces équilibres.


« À partir du moment où ce sont les citoyens qui élisent le président de la Commission européenne à travers l'élection parlementaire, l'exécutif ce n'est pas le Conseil européen, c'est bien la Commission, rétorque Alain Lamassoure. Cela va créer un Monsieur Europe. Il est évident que la personnalité qui va sortir de ces élections aura cent fois plus de poids que José Manuel Barroso. »


Le remède promu par les eurodéputés pourrait se révéler pire que le mal. Car faire du président de la Commission le prisonnier d'une majorité politique à Strasbourg, c'est le placer dans une situation pour le moins inconfortable vis-à-vis du Conseil européen. « La Commission a acquis de nouvelles attributions avec la crise de l'euro. Mais, pour les exercer efficacement, elle doit agir comme arbitre sur la scène politique et non comme le capitaine d'une des équipes, ajoutent Heather Grabbe et Stefan Lehne. Un président qui appartient à un parti manquera de crédibilité pour imposer des sanctions ou prendre des mesures contre les gouvernements nationaux qui sont d'un autre bord politique. » Un président partisan fragiliserait donc encore davantage cette institution.


Qu'importe, les partis politiques ont décidé de jouer leur va-tout. Le Parti socialiste européen (PSE) a désigné son candidat : ce sera l'actuel président du Parlement, Martin Schulz. La gauche radicale européenne (PGE)  a choisi Alexis Tsipras, le député grec de Syriza. Les Verts ont entamé une primaire en ligne et les libéraux de l'ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux européens) décideront qui de Olli Rehn  ou de Guy Verhofstadt sera leur candidat en avril. Même le Parti populaire européen (PPE), pourtant divisé sur l'opportunité de cette initiative, a finalement décidé de suivre le mouvement. Son candidat - Michel Barnier, Jean-Claude Junker, Enda Kenny? -sera désigné au début du mois de mars.


Le Conseil européen n'entend pourtant pas à se faire dicter sa conduite. Il ne manque pas une occasion de rappeler, Angela Merkel en tête,  que c'est bien sur son candidat que les députés seront invités à se prononcer par un vote. Et que rien ne l'oblige à désigner l'une des têtes de file retenues par les europartis. « Le risque pour lui (le Conseil européen, ndlr), c'est qu'on lui refuse son candidat », fait valoir Alain Lamassoure. Un bras de fer pour le moins tendu s'annonce entre les deux institutions. L'Europe est décidément compliquée. Trop.

Anthime Verdier


Des élections pas assez sexy ?

© European parliament
© Old Continent

Ce clip de promotion de la politique européenne a été mis en ligne le 10 septembre 2013, date à laquelle le service de communication du Parlement européen a présenté sa campagne d'information et de sensibilisation. Le but est de convaincre les électeurs européens d'aller voter en mai. En 2009, plus de 50% des européens n'ont pas participé au scrutin.

Old Continent Agency est une agence de communication spécialisée sur l'Europe. Cette vidéo a été réalisée à son initiative pour faire parler d'elle. Voici en substance ce qu'elle y raconte : L'Union européenne ne ramènera pas la paix dans le monde, ni ne mettra fin à la famine. Mais voter aux élections peut permettre de changer « beaucoup de choses pas sexy qui comptent quand même. »

Et ces mots en conclusion : « Les élections européennes : nous ne sommes pas sexy, et nous le savons. Mais qu’importe, nous faisons vraiment des choses. »



Les Etats se disputent
les postes clés

En marge du spectacle démocratique communautaire, les diplomaties nationales cherchent à placer leurs hommes. Coup d'œil  sur un maquignonnage.

 À l’ombre des élections européennes, le poids et l'influence de chaque État dans l'Union pour les cinq années à venir se dispute férocement dans la sphère diplomatique. Les 28 États membres s'affairent à se partager les postes clés de la machine Europe. Il y en a des centaines, du haut fonctionnaire au commissaire européen. « La question qu’on commence à se poser, c’est comment maintenir l’influence française au sein de l’Union européenne, explique-t-on du côté de la représentation permanente française à Bruxelles. Il y a des postes stratégiques pour nous. »


Pour promouvoir les couleurs nationales et servir les intérêts du pays, deux services français sont à la manœuvre : le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) basé à Paris et la Représentation permanente, à Bruxelles.


« Le gros morceau, c’est la présidence de la Commission. Tout découlera ensuite de là. Mais aujourd’hui c’est un peu tôt pour en parler. Il faut attendre le deuxième semestre 2014 », explique-t-on du côté de la diplomatie française. Chaque État-membre ayant droit à un commissaire les discussions vont bon train.


Tous les portefeuilles ne se valent pas et chaque pays a à cœur de défendre ses intérêts. « Tous les grands postes intéressent la France. Mais tout ça se monnaye. Le problème, ce n'est pas ce que vous obtenez, mais à quel prix vous l'obtenez », confie-t-on au SGAE. Si la première question est de savoir où l'on place son commissaire, la seconde est de savoir où placer ses alliés.

 « Tout ça se monnaye »

« Ce n’est pas forcément la meilleure solution d’avoir un commissaire français sur un dossier qui intéresse la France, explique-t-on à la représentation permanente française. Exemple : si on a un commissaire français pour l’agriculture, il sera accusé de prendre des décisions favorables à la France. En revanche, il faut que ces postes qui intéressent la France soient occupés, non pas par des Français, mais par des francophiles. C’est beaucoup plus subtil. Par exemple, en 2009, le commissaire roumain placé à l’agriculture (Dacian Ciolos, ndlr) : il parlait français, avait fait des études en France. »


Le ministre français chargé des affaires européennes, Thierry Repentin, a tout de même déclaré, dans un entretien à Reuters, que la France visait en priorité les postes économiques. Un objectif partagé par les pays membres de la zone euro qui veulent ainsi se réserver les postes qui les concernent particulièrement. « Mais si les Etats de la zone euro se mettent les autres à dos… c’est un désastre annoncé ! », prévient-on du côté de la diplomatie française. Il faut donc avancer ses pions en prenant soin de ne se fâcher avec personne, même si un des objectifs avoué est d'écarter le Royaume-Uni des postes les plus importants: une façon de lui faire payer son manque d'engagement vis-à-vis de l'Union européenne.


Le Conseil européen choisira son candidat à la présidence de la Commission au mois de juin. Pour le collège des commissaires, il faudra attendre septembre ou octobre. Mais il n'y a pas que la Commission. Le Conseil européen devra également se choisir un nouveau président pour succéder à Herman Van Rompuy. « Tout le monde s'en fiche, commente un diplomate. C'est le moins important des postes à pourvoir. Ce sera un lot de consolation. »


Les autres places qui attisent l'appétit des États membres sont à chercher parmi les postes de hauts fonctionnaires de la machine administrative européenne. Des fonctions méconnues du grand public mais qui jouent un rôle clé dans les processus communautaires.

Deutsche Qualität

« Dans l'administration du Parlement européen, la France veut des directeurs importants et des directeurs généraux, explique-t-on au SGAE. Il nous faudrait également quelqu'un dans le cabinet du prochain président du Parlement. Et le secrétariat du Conseil, on le veut. » Le but est d'avoir accès à des hommes de confiance dans l'ensemble des institutions européennes. À la Commission bien sûr, mais aussi dans les bureaux du Parlement et du Conseil.


« Pour tout ça, il faut élaborer une stratégie, prendre des contacts, identifier des candidats. Il faut être très ambitieux si on veut de bons résultats, ajoute le SGAE. Alors, on met en place de gros moyens : réseaux, contacts, veille, sensibilisation de tous ceux qui sont dans la boucle de décision finale. C'est maintenant que nos ambassades dans les pays de l'Union européenne commencent à passer des messages. »


Un jeu à la subtilité toute bismarckienne auquel l'Allemagne excelle. « En Allemagne, Merkel passe elle-même les coups de fil ! confie, admiratif, ce diplomate français. Aujourd’hui, la France ne peut pas contrer l’Allemagne, il faut le savoir. »


Ce grand marchandage entre les 28 ne doit pas conduire à un blocage des négociations. Il est nécessaire de trouver un terrain d'entente. « Le but de tout cela est de constituer des équipes qui puissent travailler ensemble », précise-t-on à la représentation française. En somme, il faut que que la somme des intérêts nationaux soit soluble dans les institutions européennes.

Anthime Verdier




L'Union aux urnes

© Anthime Verdier/Cuej 


La Loi fondamentale ne l’est plus

De Lisbonne à Karlsruhe, la gestion de sa crise par la zone euro soumet les constitutions nationales à rude épreuve.

19 décembre 2013, la Cour constitutionnelle portugaise censure les coupes de près de 10% dans les retraites des fonctionnaires prévues dans le budget 2014. C’est la cinquième fois que les 13 juges déclarent contraire à la Constitution une mesure d’austérité négociée avec la Troïka. Cet arrêt met le gouvernement dans l’embarras. La sortie du Portugal de son programme d'aide, prévue pour juin 2014, pourrait se voir compromise et la note de sa dette souveraine menacée de dégradation.

Au Portugal, les exigences de la troïka  se heurtent à la Constitution de 1976  © Creative commons/Pedro Simoes/Flickr 

« Pour statuer, un juge constitutionnel se réfère exclusivement à la Constitution de son pays. Si une mesure européenne n’est pas jugée constitutionnelle, alors c’est à elle de s’adapter à la Constitution », commente Marcus C. Kerber, professeur de droit à la Technische Universität de Berlin et fondateur d’Europolis, un think-tank germanophone qui milite pour le respect de la subsidiarité. C'est le raisonnement revendiqué par les juges constitutionnels portugais au moment où ils ont rendus leur décision. Vlad Constantinesco, professeur de droit constitutionnel à l'Institut d'études politiques de Strasbourg et corédacteur de l’actuelle Constitution roumaine ne pas cette interprétation : « Cette vision d’un juge qui statue en pure abstraction est jolie, mais je ne suis pas sûr que ce soit la réalité. Même s’ils statuent en toute indépendance, les juges prennent toutefois en compte le contexte environnant. Sinon autant faire confiance à une machine. » Ce « contexte environnant », c’est la crise financière et économique qui secoue la zone euro depuis 2010 et qui se transforme peu à peu en crise politique et institutionnelle.


Dans la plupart des pays européens les constitutions, écrites au sortir de la guerre ou d’une dictature, forment le socle de l'Etat-Providence. Au Portugal, au moment de rédiger la Loi fondamentale de 1976, les constituants étaient loin d’envisager une situation de dépendance mutuelle. Leur pays, qui n’était alors pas membre de la Communauté européenne, disposait d’une monnaie souveraine et pouvait donc faire face à une dette publique insoutenable par la dévaluation ou le défaut. Soucieux de fonder un Etat social au sortir de la dictature salazariste, les constituants ont choisi de lui imposer la promotion de l’emploi, l'objectif de la santé et l’éducation gratuite, et même de « développer des centres de vacances » pour les travailleurs…


Les cibles  choisies par l’eurozone pour purger ses dettes, accroître sa compétitivité et enrayer sa crise mettent aujourd’hui ces constitutions sous pression, en particulier dans les pays du sud. Si la Cour constitutionnelle portugaise montre aujourd’hui ses muscles, nombre de mesures d'austérité ont été ailleurs écartées par le juge ordinaire.

© Hélène Goutany/Cuej

Le Tribunal fédéral de Karlsruhe illustre quant à lui l’inconfort des cours constitutionnelles des pays du nord face à la perspective d’exposer leurs citoyens aux conséquences budgétaires d’une solidarité européenne. En 2012, il avait finalement choisi de déclarer le Mécanisme européen de stabilité (MES) conforme à la Loi fondamentale, malgré les risques auxquels il expose le contribuable allemand. Pour Guillaume Tusseau, professeur de droit public et membre de l'Institut universitaire de France la décision aurait provoqué un scandale il y a une dizaine d'année. Mais aujourd'hui, « l’Allemagne est le plus gros contributeur du MES, si elle avait refusé, la Cour de Karlsruhe aurait fait sauter le mécanisme européen. » C’est elle qui aurait du en endosser les responsabilités.


L’arrêt définitif qu’elle doit rendre en début d’année sur la constitutionnalité de l’OMT, c’est à dire de la faculté de la BCE de racheter, sur le marché secondaire, des dettes publiques à court terme, précisera les limites de ce compromis.

 

Vlad Constantinesco prend acte de ces évolutions. Pour lui, les cours constitutionnelles européennes sont désormais « tiraillées entre les choix acceptés par l’Etat dans une enceinte internationale et les constitutions nationales. Mais pour que la zone euro tienne, il faut que les États membres tirent les conséquences des règles qu’ils ont eux-mêmes établies et que les juges constitutionnels statuent en faveur du droit européen. » Un dilemme qui reste pour le moment sans solution tranchée.

Élodie Toto


 L'hémicycle du Parlement de Strasbourg
© Esteban Wendling/Cuej



Une nouvelle arène interparlementaire

Qui doit combler le déficit démocratique de la gouvernance économique ? La compétition est ouverte entre Parlement européen et parlements nationaux.

Le 22 janvier se tiendra à Bruxelles la deuxième conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière (CIGEF). Trois mois à peine après sa session inaugurale, tenue les 16 et 17 octobre à Vilnius, parlementaires européens et nationaux, qui s'y retrouveront, sont toujours incapables de s'entendre sur leurs compétences et rôles respectifs.


Prévue par l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), entré en vigueur en janvier 2013, la conférence réunit les représentants parlementaires, européens et nationaux, des commissions concernées par les mesures de coordination économique et budgétaire auxquelles se sont engagés ses 25 Etats signataires. L’enceinte, calquée sur une autre conférence interparlementaire consacrée aux questions de sécurité et de défense (La CIPESC) alloue 16 sièges au Parlement européen (PE) et 6 à chaque représentation nationale. Une répartition des sièges qui fait d’ailleurs débat.


La discorde se cristallise autour de l’ordre du jour :  « Le PE souhaite que la prochaine conférence soit séparée en deux, explique Christine Verger, directrice des relations avec les Parlements nationaux (PN) au PE. Une partie concernant le semestre européen où le parlement de Strasbourg informerait les PN, et une autre sur les budgets où les représentations nationales pourraient être plus fortement impliquées, puisque c'est sur ce sujet que l'article 13 du TSCG prévoit leur entrée en jeu. »


Les eurodéputés considèrent le contrôle parlementaire  du cycle européen comme leur chasse-gardée et qu'il n'y a donc pas lieu de donner voix au chapitre aux représentants nationaux. À l'inverse, ces derniers arguent qu'ils doivent être impliqués tout au long du semestre européen puisque ce dernier a des répercussions sur les politiques budgétaires nationales.

Compromis au placard

Le statut même de cette enceinte divise les parlements nationaux, comme en a témoigné le premier rendez-vous d'octobre. « Les discussions ont été difficiles, confirme le français Christophe Caresche. Deux visions s’opposaient : une première, portée par la France notamment, qui veut que cette conférence puisse adopter des textes, des résolutions et prendre position. Et une seconde qui préfère que cela reste un simple lieu d’échanges et de discussion. »


L'adoption d’un règlement intérieur a donc été renvoyée à la session de janvier mais rien ne dit qu'un compromis y sera trouvé. Plusieurs pays, dont l'Allemagne, préféreraient d'ailleurs se passer de règlement intérieur afin de donner plus de souplesse à la rencontre et d’éviter de donner aux eurodéputés une occasion régulière de se mêler des politiques budgétaires des États membres.


Christine Verger rappelle que la grande sœur de la CIGEF, la CIPESC, a mis un an et demi avant d'adopter son propre règlement. Une façon de suggérer que le soin de trouver un compromis risque fort d’être laissé à la législature européenne de 2014.

Gabriel Nedelec



Une zone euro maltraitée
à Strasbourg

Aménager un espace réservé aux seuls représentants de l’eurozone met Strasbourg mal à l’aise. La prochaine mandature devra pourtant s'y atteler.

Le prochain Parlement européen n’est pas encore élu mais déjà un dossier délicat l’attend : faut-il ou non offrir un espace de représentation particulier aux députés de la zone euro ? La question se pose avec d’autant plus de force qu’elle trouve appui dans la contribution franco-allemande de mai 2013, qui propose des « structures dédiées spécifiques à la zone euro à mettre en place au sein du Parlement européen après les prochaines élections européennes », afin renforcer la gouvernance et la légitimité de la zone euro.

C’est la gestion de la crise de la zone euro qui a mis en évidence un problème de représentativité de l’Union économique et monétaire au sein du Parlement. Ces deux dernières années, les législations s’appliquant uniquement à elle se sont multipliées. Cette assemblée de représentants de 28 pays a par exemple voté en novembre 2013 la nomination de la présidente de l’autorité de supervision bancaire. Ou encore le règlement instaurant la supervision unique des banques. Deux sujets qui n’affectent directement que les électeurs d’une zone euro de 17 (18 au 1er janvier 2014) et non 28 membres.


La commission des Affaires économiques et monétaires (Econ) s'est trouvée elle aussi dans une situation inconfortable. Composée politiquement dans des proportions proches de celles du Parlement pris dans son ensemble, elle compte néanmoins 18 membres sur 50 qui ne sont pas élus d’États de l’eurozone. Elle a par ailleurs été présidée pendant toute la législature par une député libérale britannique, Sharon Bowles (ALDE), dont le pays refuse de troquer la livre sterling pour la monnaie unique, mais qui auditionne néanmoins Mario Draghi.

Le risque pour le Parlement de se retrouver à l’écart

Depuis plus de deux ans, Pervenche Berès (PSE, France) milite pour la création d’une sous-commission de la zone euro, dépendante, par exemple, de la commission ECON. Seuls les membres de la zone euro pourraient y voter, les autres pouvant y siéger en qualité d’observateurs, à la manière de ce qui se pratique avec les candidats à l'adhésion à l’Union.


« On ne peut pas à la fois dire que le Conseil n’est pas légitime ou qu’il faut associer les parlements nationaux, et ne pas adapter nos propres structures », explique la présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales, qui craint que le Parlement européen ne finisse par se trouver « hors-circuit ». Car l’une des autres solutions débattues serait de créer une conférence des parlementaires nationaux de la zone euro.


Cette proposition de sous-commission avait en fait été avancée par Pervenche Berès dans son rapport sur le semestre européen dès l’automne 2011. L’idée,  finalement supprimée du rapport, avait alors rencontré une vive opposition. Au cours des débats, Jean-Paul Gauzès (PPE, France) avait justifié son désaccord par la volonté de « ne pas créer de disparités entre les parlementaires ». Le polonais Rafał Trzaskowski se rangeait à cet avis, au motif qu’il fallait « éviter la fragmentation ». 

La Britannique Sharon Bowles, ici avec le président de la BCE, Mario Draghi, préside la commission des affaires économiques et monétaires, alors même que son pays ne fait pas partie de la zone euro.

© Creative common/European parliament/Flickr 

Car c’est le principe de l’unicité du Parlement qui est au centre de ce débat sur une représentation spécifique à la zone euro. Depuis son origine, le Parlement européen s'efforce de gommer les appartenances nationales, qui persistent pourtant dans son mode d'élection, pour ne retenir comme principe de distinction que l'appartenance à un groupe politique. La remise en cause de ce principe fondateur, qui ébranle son organisation, entraîne de fortes résistances.


Le fédéraliste Andrew Duff (ALDE, Royaume-Uni) soulignait ainsi l’an dernier sur son blog qu’une « telle différenciation n’est pas prévue par les traités », rappelant que l’euro est la monnaie de l’Union (article 3 du traité sur l’Union européenne) ou encore que « les députés européens ne représentent pas leurs États »  mais les citoyens européens (article 14), gommant au passage le fait que cette citoyenneté est dérivée de la citoyenneté nationale. « Le mandat des députés n’est pas divisible selon les politiques des Etats membres dans lesquels ils sont élus. Les députés bavarois votent par exemple sur la politique maritime, tout comme les députés baltes votent sur les questions méditerranéennes » , argumente l'eurodéputé britannique.


En fin de compte,  les textes adoptés par une hypothétique sous-commission de la zone euro devraient passer devant le Parlement réuni en plénière, où la suspension du droit de vote d'un député selon le principe de nationalité est impossible. L’idée d’une sous-commission de la zone euro est donc  avant tout symbolique.


Elle  a néanmoins  fait du chemin depuis 2011. « On a davantage le droit d’en parler et il y a plus de personnes qui en sont convaincues qu’à l’époque », constate Pervenche Berès. A tel point qu’en décembre 2012 le président du Parlement européen, Martin Schultz (PSE, Allemagne), a déposé une proposition en ce sens sur la table des présidents de groupes politiques du Parlement.


« S’il en a le courage, le prochain Parlement devra faire cette sous-commission. Tant que je serai là je plaiderai en ce sens », prévient Pervenche Berès.

Guillaume Jacquot



Alain Lamassoure
« Le Parlement doit être associé aux discussions avec le Conseil européen »

Strasbourg a adopté en décembre le rapport de son président de la commission des budgets, qui réclame un face à face régulier entre eurodéputés et chefs d’État et de gouvernement.

Votre rapport traite des relations entre le Conseil européen (CE) et le Parlement européen (PE). Pourquoi maintenant ?

Dans le traité de Lisbonne, le CE n’a pas de pouvoir législatif. Mais dans le contexte exceptionnel de la crise financière, il a dépassé son rôle. Il a multiplié ses réunions. C’est normal, il y avait urgence et les remèdes relevaient de compétences nationales. Mais il en a profité pour prendre des décisions qui empiètent sur le pouvoir législatif.

Par exemple, dans le traitement des conséquences de la crise, toute la législation sur les marchés financiers, les produits dérivés et l’activité de banque a été traitée logiquement par le PE et le conseil des ministres concernés. Mais la position de ce Conseil a été élaborée directement par les chefs de gouvernement au CE. Du coup, les ministres ont considéré ces positions comme des lignes rouges non-négociables avec les eurodéputés. Cela fausse le contrôle démocratique de l’Union européenne, il faut y remédier.


Concrètement que demandez-vous au CE ?

Si on veut vraiment appliquer le traité de Lisbonne, lorsqu’on estime qu’un sujet doit être traité au plus haut niveau, le PE doit être associé aux discussions avec le CE, au moins par un échange de lettres. Les conclusions du CE doivent être des recommandations aux ministres pour leurs négociations avec le PE, pas des lignes rouges à ne pas dépasser, afin que le processus législatif traditionnel reprenne normalement.


Le CE peut-il accepter cette demande ?

Non, car Herman Van Rompuy (le président du CE ndlr) sait qu’il ne peut se soumettre à un échange de lettres que s’il en a présenté le texte à ses homologues, et ils n’accepteront pas. Ce rapport sera donc une déclaration unilatérale du PE, mais il servira de base de travail pour le futur.

Alain Lamassoure a mené la bataille sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020
©  Creative commons/European parliament/Flickr


La résolution du PE demande aussi à Herman Van Rompuy de se présenter devant le Parlement avant chaque sommet alors que, pour l'instant, il ne vient qu'après...

Oui. Mais il y est hostile. Avant, parce qu’il peut être amené à dire aux parlementaires des choses qu’il n’a pas encore dites à ses homologues. Ce qui le mettrait dans une position délicate. Après, parce que le président du Conseil européen est indépendant : il n‘a pas de compte à rendre aux eurodéputés. Le PE, de son côté, n’a pas su bien gérer ses relations avec Van Rompuy. Chaque fois qu’il est venu, il s’est fait injurier. Il n’y a pas eu de vraie discussion sur les conclusions du Conseil européen.


Le sommet de l'eurozone est encore plus innaccessible pour le Parlement. À terme, ambitionnez-vous aussi de renforcer votre contrôle sur lui ?

Les gouvernements veulent se passer des organes communautaires. La Commission et le PE agacent les gouvernements. Dès qu’ils peuvent s’en passer, ils le font. C’est à courte vue et c’est condamné à l’échec. Dans mon pays je me bats contre une idée qui dit que l’Europe utile, c’est la zone euro et pas la grande Europe des 28. Alors que c’est l’inverse. Le traité de Lisbonne prévoit que si un certain nombre de pays veulent se rapprocher plus fortement, ils peuvent le faire à travers les coopérations renforcées. Tout ce qui a été fait à travers le Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance pour la zone euro aurait pu se faire au sein des coopérations renforcées.

De toute façon, dans quelques années tout le monde sera dans la zone euro. Et puis, prenons le Danemark, sa monnaie est de fait rattachée à l’euro. Quand la BCE change son taux directeur, la banque du Danemark le fait deux heures après. Pareil pour la Suisse. Donc dire que seuls ceux qui ont la même monnaie sont liés, c’est absurde. Toutes les monnaies sont déjà rattachées. Si certains États veulent se rapprocher, faisons-le dans le cadre des institutions et des procédures existantes.

Recueilli par Gabriel Nedelec



Paris ou l'impossible
contrôle du président

Quelle prise la représentation nationale peut-elle avoir sur ce qui se décide au Conseil européen ? Depuis trois ans, la question agite plus que jamais les parlements nationaux, chacun de son côté, ou collectivement au sein de leur organe de réflexion collectif, la COSAC.


Principal point d'accroche : le contrôle exercé par chaque parlement sur son chef d'Etat ou de gouvernement au sein du Conseil européen. Les parlements néérlandais, danois, suédois, ou finlandais suivis de près par les allemands sont les mieux lotis. Ils délivrent un mandat à leurs représentants qui doivent, au terme des sommets, venir leur rendre des comptes.


 
Bons derniers et désarmés, les parlements des deux seuls régimes présidentiels de l'Union : Chypre... et Paris. 
Avant le traité de Lisbonne, le Président de la République et le premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères se rendaient tous deux au Conseil européen. Les deux chambres avaient donc la possibilité, d'ailleurs peu exploitée, de demander des comptes au gouvernement, responsable devant elles.

Depuis son entrée en vigueur, seul le chef du gouvernement ou de l'Etat siège au Conseil européen. Pour la France, c'est donc aujourd'hui François Hollande. Or, la Vème République interdit au président de se rendre à l'Assemblée nationale ou au Sénat ... Les échanges que les deux chambres organisent avec des représentants du gouvernement avant et après les sommets sont donc condamnés au pur exercice de style.
François Hollande devant le Parlement européen.
©  Creative commons/European parliament/Flickr 


Camille Guttin