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L’usage abusif des antibiotiques dans les élevages pointé du doigt


10 mars 2016

Pour lutter contre la résistance des bactéries aux antibiotiques, le Parlement européen a décidé, jeudi 10 mars, de limiter les traitements préventifs et collectifs dans les élevages. Mais il soutient également la filière agricole en proposant un marché unique pour les médicaments vétérinaires et en favorisant la recherche.

« Il y a un risque de sombrer dans une ère post-antibiotique, où l’antibiorésistance tuera plus que le cancer »; Françoise Grossetête , députée française PPE (centre droit), a voulu marquer les esprits dès le début de sa prise de parole en session plénière. La résistance croissante des bactéries aux antibiotiques inquiète la Commission européenne. L'institution s'est emparée pour la première fois de ce sujet en proposant un règlement, largement adopté par le Parlement, jeudi 10 mars. Pour Françoise Grossetête, rapporteure du dossier pour la commission environnement et santé publique, il y a un triple enjeu avec cette résolution: « la protection de la santé humaine et animale, la lutte contre l’antibiorésistance et la compétitivité de nos élevages. »

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’antibiorésistance serait responsable de 25 000 décès chaque année dans le monde. L’utilisation abusive d’antibiotiques dans le secteur agricole accélère ce phénomène, puisque les élevages sont à la base de la chaîne alimentaire.

Interdiction des traitements collectifs et préventifs

L’antibiorésistance est en grande partie due aux traitements collectifs et préventifs dans les élevages. Il s’agit d’administrer aux animaux des antibiotiques en grande quantité, même sans signes apparents d’infection, afin de rendre les animaux plus résistants aux maladies. Mais sur le long terme, c’est l’effet inverse qui se produit: les bactéries deviennent insensibles à ces traitements. « Sur une génération, l’utilisation d’antibiotiques a augmenté de 67%, il faut donc la réguler », estime Jan Huitema (ALDE, libéraux démocrates). La proposition de règlement prévoit donc d’interdire ou de limiter fortement le recours à ces traitements collectifs et préventifs. Un animal malade pourra toujours bénéficier d’un traitement médicamenteux si nécessaire, mais il faudra veiller à l’isoler du reste de l’élevage.

De son côté, la Fédération des vétérinaires d'Europe (FVE) reconnait qu’il vaut mieux « prévenir que guérir ». Elle avoue cependant craindre que l’interdiction complète de certains médicaments « ne conduise à de sérieux problèmes de santé et de bien être animal ». Cette inquiétude se ressent aussi chez les agriculteurs. Pour Thierry Lacroix, éleveur de bovins charolais en Saône-et-Loire depuis 31 ans, cette interdiction serait dangereuse pour ses veaux: « Ils sont fragiles, c’est eux qui en ont le plus besoin. On est parfois obligé de leur donner une petite dose d’antibiotiques car les vaccins n’existent pas pour certaines maladies. Il faut des années pour en créer, alors on ne va pas attendre la recherche pour les soigner… »

 

Françoise Grossetête, députée PPE, est la rapporteure du projet de réglement pour les médicaments  vétérinaires

Françoise Grossetête, députée PPE, est la rapporteure du projet de réglement pour les médicaments vétérinaires

L’homéopathie comme alternative

Pour pallier l’absence de traitements antibiotiques, un amendement envisage de faciliter le recours à l’homéopathie pour les animaux. S’il a été très discuté, la plupart des groupes politiques ont cependant estimé qu’il ne fallait pas discriminer cette pratique et qu’il fallait reconnaître toutes les alternatives aux antibiotiques. Dans la réalité, l’homéopathie est déjà utilisée par les agriculteurs: « la dose d’antibiotiques, on l’a diminuée tout seul, on n’a pas attendu les réclamations de la Commission européenne », explique Thierry Lacroix. « Depuis longtemps, on préfère soigner nos bêtes avec des produits homéopathiques, qui viennent de plantes naturelles, car on sait que les consommateurs souhaitent manger des produits sains. »

Les conséquences environnementales inquiètent également les députés européens. Dans son avis pour la commission AGRI (agriculture et développement rural), la députée suédoise Marit Paulsen (ALDE, libéraux démocrates), grande défenseur de la cause animale, rappelle ainsi que les déjections animales, « qui sont l’engrais le plus important qui soit, répandent aujourd’hui de grandes quantités de bactéries résistantes aux antibiotiques dans les terres cultivables et dans l’eau ». Par ailleurs, les médicaments vétérinaires ne doivent en aucun cas être utilisés pour améliorer les performances des élevages. Pour les Verts, « garantir une meilleure vie pour les animaux demeure la meilleure prévention contre les maladies ».

Financer la recherche en unifiant le marché

Un volet majeur de la proposition de règlement porte sur le soutien à l’innovation et la recherche en matière de médicaments vétérinaires. « L’innovation est un outil important pour garantir la santé publique », souligne le commissaire européen de la Santé et de la sécurité alimentaire,  Vytenis Andriukaitis. Aujourd’hui, le marché est fragmenté à cause de la multitude d’espèces animales et le manque de remèdes pour les animaux plus rares. Françoise Grossetête souhaite développer un marché unique pour les médicaments vétérinaires: « Il y a un problème de disponibilité des médicaments, l’unification des marchés permettra donc de libérer des fonds afin de financer la recherche. »

Claudiu Tanasescu (S&D, sociaux démocrates) a été nommé rapporteur d’une proposition complémentaire pour faciliter la mise en place de ce marché unique. L’Agence européenne du médicament délivre les autorisations de commerce des médicaments et devra s’occuper de ce nouveau marché. Dans le même temps, la commission environnement du Parlement estime qu’il « convient d’interdire la vente en ligne d’antibiotiques, afin de réduire autant que possible les risques pour la santé animale et humaine ». Avec cette mesure, elle espère que le commerce de médicaments vétérinaires sur internet devienne marginal.

Une mise en œuvre difficile

Le vote définitif des deux propositions de règlement a été repoussé en attendant un trilogue entre les institutions pour finaliser le texte. Cependant, la question de sa mise en oeuvre concrète pose toujours question au sein de l'hémicycle. Klaus Buchner (Les Verts/ALE) a voulu alerter ses collègues en prenant l’exemple de son pays: « En Allemagne, 88% de la viande discount est entachée de souches antibiorésistantes. Dans un élevage de plus de 20 000 animaux, je pense aux volailles, comment voulez-vous faire pour empêcher l’usage d’antibiotiques? La lutte sera difficile et longue pour faire respecter ce règlement. »

Fanny Guiné & Léa Picard

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