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Tribuns des marges


18 février 2012

Les "non-inscrits" sont trente et pèsent 4% du Parlement. Quatre d'entre eux viennent de la gauche et les vingt-six autres appartiennent à des courants de la droite nationaliste. Ces derniers, issus de 8 pays, se confortent dans leur statut de marginaux et se cherchent une tribune dans l'hémicycle pour faire entendre leur voix. Leur pays et leur parti national avant tout.

"Ici, on préjuge généralement de mes idées et il est arrivé que l'on me dise que je ne devrais pas participer aux travaux parlementaires", affirme Dimitar Stoyanov, député bulgare non-inscrit. Il est élu au Parlement en 2007, lorsque la Bulgarie et la Roumanie intègrent l'Union européenne. En Bulgarie, son parti Ataka, créé en 2005, est très largement reconnu pour être ouvertement xénophobe et antisémite. A Strasbourg, Dimitar Stoyanov le définit comme "basé sur des vues patriotiques". Une question de point de vue. Avec Slavi Binev, l'autre membre d'Ataka élu au Parlement, il se propose de corriger l'action des "Yes men bulgares qui ont dit oui à tout pour entrer dans l'Union."

Mais quelle marge de manoeuvre ont-ils ? Les députés non-inscrits ne bénéficient pas des ressources d'un groupe parlementaire. Ceux-ci disposent d'une véritable machine politique et d'une lisibilité dans la fourmilière de l'institution. Quant au temps de parole qui leur est alloué dans les débats, le règlement du Parlement prévoit de l'attribuer "globalement d'après les fractions accordées à chaque groupe politique." Comprenez : les non inscrits se partagent un temps de parole qui correspond à leur poids dans l'hémicycle, soit pas grand chose.

Concrètement, Bruno Gollnisch, ponte du Front national, estime qu'il ne prend "presque jamais plus d'une minute trente la parole." Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen complètent le trio de l'extrême droite française présente au Parlement européen. Quand on est, a priori, seulement trois sur 754 à défendre les mêmes opinions, on représente une goutte d'eau dans l'océan des débats parlementaires. Pour compenser des prises de paroles sporadiques, Bruno Gollnisch dit s'attacher à rédiger ses explications de vote aussi souvent qu'il le peut. Cet exercice d'expression publique n'est en effet pas contingenté.

Pas de vie de groupe, donc, rythmée par les réunions de travail, les prises de position et soudée par les consignes de vote. C'est chacun son aire. Mais pour se répartir les temps de parole en fonction des affinités de chacun sur les dossiers, les non-inscrits se réunissent de façon informelle plusieurs fois dans l'année. Parce que, Bruno Gollnisch et Dimitar Stoyanov, l'affirment, ils se sentent néanmoins utiles au Parlement. D'après le site indépendant votewatch.eu, ils se rendent respectivement à 90% et 76% de ses séances plénières. La moyenne de la présence des non-inscrits est de 82% et celle des deux grands groupes parlementaires, PPE et S&D avoisine les 90%.


Souverainismes font mauvais ménage

Bruno Gollnisch et Dimitar Stoyanov sont de bons camarades. Sous la présidence de Bruno Gollnish, Dimitar Stoyanov et 20 autres députés de 7 pays étaient même parvenus à se rassembler, en janvier 2007, dans un groupe parlementaire d'extrême droite, Identité, tradition, souveraineté. A l'époque, il fallait 20 eurodéputés provenant de 5 États différents pour former un groupe. Bref moment de visibilité et d'opulence: en novembre de la même année, le groupe se dissolvait. Les 5 députés du parti de la grande Roumanie venaient de claquer la porte après les déclarations d'une des membres du groupe, l'italienne Alessandra Mussolini, sur les Roumains, "déliquants par habitude." Pour Bruno Gollnisch, "les Roumains ont feint de croire que ces propos concernaient l'ensemble des habitants de la Roumanie" alors que la petite-fille de Benito Mussolini n'aurait voulu parler que des Roms (sic).

Difficile de s'entendre entre nationalistes. Si c'était à refaire, Bruno Gollnisch s'assurerait que le groupe formé "ne soit pas à la limite" du pré-requis arithmétique pour "ne pas être à la merci des oukases." Depuis 2009 créer un groupe politique demande  25 eurodéputés de 7 pays. En attendant des jours meilleurs pour l'extrême droite européenne, Bruno Gollnisch continuera à déplorer un "esprit germano-anglosaxon [du Parlement] moins verbeux qu'à l'Assemblée nationale" où le rôle de tribun serait plus aisé.

Quant à Dimitar Stoyanov, il devrait s'emparer dans les mois qui viennent de la question du site internet du PVV (parti pour la liberté, populiste et xénophobe) hollandais qui invite les citoyens néérlandais à dénoncer des "nuisances" de travailleurs immigrés. "Ma femme a travaillé pendant 10 ans aux Pays-Bas, je peux vous dire qu'elle a contribué à la croissance économique de ce pays, je ne peux pas laisser faire ces discriminations portées aux Bulgares", s'émeut-il. Et les Roms qu'Ataka discrimine chaque jour ? "On ne peut pas comparer."

Anna Cuxac
 

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