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Dans la réserve naturelle du Neuhof-Illkirch, la problématique des sangliers n’est jamais bien loin. Le mammifère, qui prolifère plus rapidement désormais, a détruit l’équivalent en cultures de maïs de 21 terrains de foot en 2017, aux abords de la forêt. Des dégâts à peine supérieurs à ceux de l’année précédente. Problème : le fonds d’indemnisation dédié refuse de payer, arguant que cela relève de la responsabilité du locataire de chasse. L’affaire est toujours en cours. Avec, en toile de fond, le mode de régulation des sangliers, dans une réserve qui accueille plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an.

Pour tout comprendre à l’affaire : Réserve naturelle : pourquoi personne ne veut payer les 17 000 € de dégâts ?

17 000 euros. Le constat est frappant : en 2017, les dégâts ont été bien plus importants que les années précédentes, si l’on se fit aux chiffres du Fonds d’indemnisation des dégâts de sangliers du Bas-Rhin (FIDS). Selon le site Rue 89 Strasbourg, le coût des dégâts en 2017 s ‘élève à 17 000 euros, tandis qu’en 2016 il était de 3415 euros, et en 2015 de 3330 euros. Une somme importante, qui est au coeur d'une polémique. Mais qui ne dit pas tout.

Les autres années, c’est le FIDS qui a pris en charge l’indemnisation des agriculteurs, lui-même financé par les cotisations des locataires de chasse de chaque secteur du département. Mais pour l’année 2017, l’ampleur des dégradations justifie selon le règlement du FIDS que le locataire de chasse en charge du lot concerné, Michel Wack, paye la facture. En effet, elles représentent plus de 1,25 % de sa surface agricole utile (plaine, tout ce qui est en dehors de la forêt), elles dépassent par conséquent le seuil à partir duquel le Fonds ne prend plus en charge l’indemnisation. Mais Mr Wack refuse depuis le début de l’année de payer. Des négociations sont en cours. Le FIDS a indemnisé, en attendant, les dix agriculteurs concernés.

« Quand on dit que les dégâts ont explosé en 2017, ça n’est pas vrai ! »

Le problème que pose ces chiffres sur lesquels certains acteurs, notamment le FIDS, se basent pour avancer que les dégâts de sangliers explosent, est qu’ils omettent une variable non négligeable dans la réserve du Neuhof-Illkirch : l’enclave de la Brunnenmatt.

Situé à l'est de la réserve, cet ensemble de parcelles agricoles d’une superficie de 11 hectares environ était encore du maïs en 2016. Mais cette année-là, « plus de 80 % des cultures ont été détruites » selon le lieutenant de louveterie Jean-Brice de Turckheim, seul habilité à chasser dans la réserve naturelle, sous l’autorité de l’Etat.

Dès lors, les propriétaires de ces terres ont décidé de les convertir au soja. « En 2017, aucun dégât n’a été constaté », car les sangliers n’aiment pas cette céréale.

Terrain privé, l’enclave de la Brunnenmatt n’est pas indemnisé par le FIDS. Par conséquent, elle n’est pas comprise dans les coûts des dégâts constatés en 2016. « Quand on dit que les dégâts ont explosé en 2017, ça n’est pas vrai ! C’est seulement que les dégâts en 2016 n’étaient pas comptabilisés par le FIDS », pointe le lieutenant.

La différence entre 2016 et 2017 en termes de dégâts bruts est mince : « un peu plus de 9 hectares» retournés par les sangliers en 2016 dans l’enclave, ajoutés aux 1,95 hectares indemnisés par le FIDS cette même année, pèsent à peine moins que les 12.86 hectares détruits couverts par le fonds en 2017.

Selon le lieutenant, la conversion au soja de l’enclave a eu une autre conséquence non négligeable : la répercussion des dégâts sur les cultures en lisière de forêt se trouvant elles sur le lot de chasse de Michel Wack. « Avant vous aviez en plein milieu de la forêt 11 hectares de nourriture abondante, ils ont disparu du jour au lendemain, qu’est-ce qu’ils ont fait les sangliers ? Ils sont allés chercher à manger en lisière ».

Mode de régulation

Si les dégâts en 2017 ne sont pas beaucoup plus importants que les années précédentes, il n’empêche que la problématique des sangliers existe. Nicolas Burgmann, agriculteur à la Ganzau, au nord de la réserve naturelle, a vu 3,4 hectares de ses cultures détruites en 2017. « Deux semaines après avoir semé ils avaient tout retourné », se souvient-il. L’agriculteur, qui concède « ne pas être un gros céréalier », compte arrêter le maïs l’année prochaine. « Y a rien à gagner, j’en faisais pour tester, mais j’en ai marre. C’est beaucoup de travail et on n’a rien à la fin », constate celui qui cultive cette céréale depuis « 5/6 ans ».

« Le sanglier prolifère, il faut continuer à tirer, il n’est toujours pas assez chassé », estime Marc Hoffsess, responsable environnement à la ville d’Illkirch.

Selon lui, la clé est justement dans la choix des céréales. « Tant qu’il y aura des cultures de maïs en lisière, véritables mangeoires à sangliers, le problème ne sera pas réglé. L’une des possibilités serait de changer culture, mais le problème est que c’est moins rentable ! »

« Nous réclamons une réflexion globale avec une régulation des populations de sangliers, ainsi que le changement des pratiques culturales menées par les agriculteurs sur les parcelles voisines de la forêt . Pour cela, il émet l’idée « d’un système d’accompagnement des agriculteurs pour la conversion ». Pour le directeur du FIDS, Pascal Perrotey-Doridant, « les villes n’ont rien à imposer aux agriculteurs, ils sont chez eux ils font ce qu’ils veulent ».

Dix sangliers dans une parcelle

« Je vois souvent des sangliers au mois de juillet quand la tige du maïs est laiteuse », raconte Gilbert Marx, agriculteur au sud de la réserve, qui cultive 50 ha de céréales. Il y a un mois, il en a aperçu dix dans l’une de ses parcelles, lorsqu’il s’y rendait avec l’estimateur des dégâts.

« Nous on cherche pas à être indemnisé, c’est les chasseurs qui devraient faire le boulot », s’agace-t-il. La question de l’efficacité du lieutenant de louveterie, bénévole, et du locataire de chasse, surtout, énerve l’un des premiers concernés, Jean-Brice de Turckheim : « Quand vous êtes sur un mirador à 8h30 du matin et que vous avez un couple avec un enfant qui se balade en bas, qu’est ce que vous faites ? », interroge-t-il, démuni.

Si les milliers de personnes qui se rendent dans la forêt chaque semaine posent un premier problème de régulation des sangliers, les habitations très proches de la forêt en posent un autre, de taille, selon ce chasseur expérimenté.

Michel Wack ne souhaitant pas répondre en raison de la sensibilité de l’affaire, le lieutenant prend sa défense : « il fait fasse à des grandes difficultés pour chasser, notamment dans le secteur de la Ganzau où les habitations sont nombreuses, la chasse étant interdite à moins de 200 mètres des habitations ».

Du côté d’Illkirch, les obstacles sont d’une autre nature : « les champs sont collés à la forêt, l’espace est trop court pour que le chasseur ait le temps d’identifier ce que c’est car ça se passe de nuit, et puis une fois identifié il doit sortir sa lampe de poche et tirer. Il n’a pas le temps de le viser », explique Jean-Brice de Turckheim.

Le piégeage, également sous la responsabilité du lieutenant de louveterie, mais dont la gestion est confiée à la ville de Strasbourg, est aussi mis en cause par certains agriculteurs, et par le FIDS. « Quand on attrape des petits et pas les gros, ceux-là vont de nouveau avoir des petits », assure Pascal Perottey-Doridant. Pourtant, le graphique répertoriant les sangliers par poids ne dit pas tout à fait la même chose :

 

Les pièges sont au nombre de onze dans la réserve. Cinq sont des enclos de 18m3. Six sont des cages de 2m3. Une fois capturés, les sangliers y sont abattus.

« On travaille sur du vivant, c’est pas toujours pas facile, c’est pas une science exacte : ils ne répondent pas toujours de la même manière », justifie Adrien Schverer, adjoint du chef du département des espaces naturels à l’Eurométropole. « Il faut savoir que seule la ville de Strasbourg finance le piégeage, cela représente en moyens humains plus de 20 000 euros par année ».

« Je ne sais pas s’il y a du courant électrique dedans, je ne m’en occupe pas »

Afin de limiter les dégâts, les clôtures électriques ont vocation à être plus efficaces que le reste. Elles se sont multipliées ces dernières années. D’ailleurs, le lot de chasse de Michel Wack est l’un des mieux protégés au niveau départemental : 11 kilomètres de clôtures électriques pour 825 hectares. « On a d’autres lots où on a 9kms de clôture pour 12 000 hectares », souligne Jeanne Perrotey-Doridant, secrétaire et comptable du FIDS.

Mais les kilomètres de clôtures sont inutiles, si le courant n’y circule pas. « Une partie des parcelles sont clôturées, je ne sais pas s’il y a du courant électrique dedans, je ne m’en occupe pas », assure, sans broncher le céréalier Gilbert Marx. « Les clôtures ne sont pas de mon ressort, c’est Michel Wack qui s’en occupe, pour avoir moins de dégâts », précise-t-il. « Parfois les batteries sont vides, du coup elles ne fonctionnent pas ».

Pour Adrien Schverer, le problème est justement celui-ci. « La difficulté c’est pas de les poser, c’est de les entretenir, elles se déconnectent, il faut régulièrement passer, régulièrement faucher en dessous ». Un travail à la seule charge de Michel Wack. Le FIDS lui, veille à changer les rubans électriques tous les cinq ans.

Lorsqu’il sort sa dernière arme, les battues administratives, Jean-Brice de Turckheim n’est pas davantage optimiste : « il faut que l’on puisse intervenir plus rapidement lorsque je demande une battue, l’année dernière ça a été beaucoup trop long ». Depuis 2013, une battue a été organisée par an, selon les chiffres de l’Eurométropole, avec une efficacité en baisse.

Si les acteurs concernés sont extrêmement divisés sur le mode de régulation, la plupart s’accordent à dire que les changements climatiques affectent directement les populations de sangliers, « qui prolifèrent partout  » rappelle Adrien Schverer. « On n’est loin d’être les seuls concernés », assure-t-il. En cause ? « Les hivers plus tempérés. Depuis deux ans, les marcassins qui naissent en novembre et décembre ne meurent plus de froid comme c’était le cas avant », explique Jean-Brice de Turckheim, qui ne sort pas beaucoup ces derniers temps.

Sa dernière prise remonte au mois de septembre : « Les tirs sont un peu compliqués dans la réserve naturelle car il y a une telle quantité de glands, de chênes et de châtaignes, que les appâts ne fonctionnent pas du tout actuellement (maïs, petit pois séchés). C’est plus les chevreuils ou les lièvres qui vont venir les manger », constate-t-il.

Lorsque la nature s’entête, les décisionnaires politiques tentent de la contenir. C’est la logique suivie par le gouvernement Macron, qui a annoncé début septembre la création d’un comité de lutte contre les dégâts causés par le gibier et notamment par le sanglier, au lendemain de critiques de la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, qui souhaitait « plus de chasseurs, moins de sangliers, moins de dégâts ».

Adrien Schverer préfère lui tempérer : « Si on exploite assez bien les moyens actuels de régulation on arrivera à contenir la population de sangliers ».

Augustin Campos

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